Élections communales au Bénin : vers un rétrécissement de l’espace politique ?

Au-delà de la non-participation de l’opposition à la présidentielle de 2021, l’application des dispositions issues de réformes électorales controversées comporte des risques pour l’avenir démocratique du Bénin.

Le 17 mai 2020, les électeurs béninois se sont rendus aux urnes pour élire leurs conseillers communaux et municipaux. Ces élections ont été organisées un an après les législatives contestées d’avril 2019, en dépit de la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 et de tensions politiques.

Au-delà de l’enjeu que ce scrutin présente pour la consolidation de la démocratie au niveau local, ces élections sont aussi décisives dans le choix des candidats aux élections présidentielles de 2021, qui pourraient se dérouler pour la première fois sans l’opposition. En effet, les dispositions du nouveau code électoral, révisé en novembre 2019, exigent que pour être éligibles, les candidats à la présidence et à la vice-présidence doivent être parrainés par au moins 16 députés et/ou maires.

Selon l’article 189 du code électoral, « le maire et ses adjoints sont élus par le conseil communal en son sein […]. Le candidat aux fonctions de maire ou d’adjoint au maire est présenté par le parti ayant obtenu la majorité absolue des conseillers. » Étant donné que l'opposition n'est pas représentée à l’Assemblée nationale, le parrainage des maires devient clé pour l'éligibilité des candidats de l'opposition à l'élection présidentielle.

Les résultats provisoires des élections communales annoncés le 21 mai indiquent que le parti Forces Cauris pour un Bénin Émergent (FCBE), seul parti de l’opposition à avoir pris part au scrutin, a obtenu la majorité absolue de conseillers dans sept communes. En application de l’article 189, le parti devrait donc contrôler sept des 77 mairies. Ces résultats compromettent les chances du parti d’obtenir le parrainage de 16 maires pour présenter un candidat à la présidentielle.

Les élections locales au Bénin ont été déterminantes pour le choix des candidats aux élections présidentielles de 2021

Les élections ont eu lieu en dépit de la crise provoquée par la Covid-19 et de maints appels au report. À la veille du scrutin, le Bénin comptait 339 cas diagnostiqués, dont 2 morts. Avec l’apparition des premiers cas dans le pays à la mi-mars, les autorités ont ordonné la fermeture des frontières, des écoles, des universités et des lieux de cultes, et la mise en place un cordon sanitaire en vue d’isoler et de restreindre la mobilité des personnes à l’intérieur des communes les plus exposées à la pandémie. Ce dernier a été levé juste avant les élections.

Pour éviter la propagation du virus, la campagne électorale a été menée exclusivement à travers les médias. Toutefois, de nombreuses violations des dispositions restrictives imposées par la Commission électorale nationale autonome (CENA) ont été relevées.

L’Ordre national des médecins du Bénin a par ailleurs dénoncé le non-respect des principes de distanciation physique durant la campagne. Le gouvernement et la CENA, pour leur part, ont assuré avoir pris des mesures de prévention, à savoir la distribution de masques le jour du scrutin ; l’installation de dispositifs de lavage de mains ; la mise à disposition de gels hydroalcooliques ; et le respect des mesures de distanciation physique dans les bureaux de vote. Contrairement aux attentes d’un taux d’abstention record, la participation a été de 49,14 %, comparativement à 56,95 % en 2015.

Cependant, la plateforme électorale des organisations de la société civile, qui a supervisé l’élection sur l’ensemble du territoire, craint une hausse de la contamination par le virus après les élections, à cause du non-respect des gestes barrières dans certains bureaux de vote.

L'opposition n'étant pas représentée au Parlement, les maires doivent ainsi parrainer leurs candidats aux élections présidentielles

Ces élections ont aussi été organisées dans un contexte politique tendu, une situation résiduelle de la crise électorale survenue un an plus tôt, lors des législatives contestées d’avril 2019. Ces élections avaient été marquées par la non-participation de l’ensemble des partis de l'opposition, en raison de l’application de nouvelles dispositions électorales introduites par la charte des partis politiques et le code électoral votés en 2018. En 2019, le code a été révisé par une Assemblée nationale contrôlée par les partis favorables au président de la République, Patrice Talon.

Les principaux partis de l’opposition, l’Union sociale libérale (USL) de Sébastien Adjavon et Restaurer l’espoir de Candide Azannaï, n’ont pas pris part à ces élections communales. Si le premier n’a toujours pas obtenu le récépissé lui conférant une existence légale, le second a boycotté le scrutin, mettant en cause la crédibilité du processus. Ces deux partis, ainsi que d’autres personnalités de l’opposition, ont appelé les électeurs à boycotter les élections communales.

Par ailleurs, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples avait demandé aux autorités béninoises de suspendre le processus électoral et d’organiser des élections inclusives. En réaction, le 21 avril 2020, les autorités béninoises ont décidé de retirer le Bénin du protocole, qui permet aux citoyens et aux organisations non gouvernementales de saisir directement la Cour. D’après Amnesty International, cette décision « marque une étape supplémentaire dans la répression grandissante des voix dissidentes au Bénin ».

En outre, le 30 avril, la Cour constitutionnelle a statué que le protocole additionnel de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui permet aux citoyens de saisir la Cour, n’est plus opposable à l’État du Bénin.

Il convient de tirer des leçons du dialogue politique de 2019, qui a exclu les principaux chefs de l'opposition

Trois des cinq partis qui ont participé aux élections ont atteint le seuil des 10 % nécessaires à l’attribution de sièges de conseillers municipaux. Il s’agit des deux partis de la mouvance présidentielle, l’Union progressiste (UP) et le Bloc républicain (BR), qui ont obtenu respectivement 39,97 % et 37,38 % des voix, et du FCBE, seul parti se réclamant de l’opposition, qui a obtenu 14,98 %.

Cependant, le FCBE est actuellement en proie à des tensions internes, qui ont conduit à des défections et à la démission de son fondateur, l’ancien président Boni Yayi, un mois avant les élections communales. Ce dernier accuse Patrice Talon d’avoir la mainmise sur le parti. Ainsi, même si le parti parvenait à recueillir le nombre de parrainages requis pour présenter un candidat aux élections présidentielles, son statut de parti d’opposition serait entaché par les suspicions d’être à la solde du pouvoir.

L’absence de l’opposition aux élections présidentielles à venir risque de discréditer le scrutin et la légitimité du président qui sera élu. À long terme, la non-participation de l’opposition dans les processus politiques et de gouvernance ainsi que l’absence de consensus politique risquent de rétrécir davantage l’espace politique et de compromettre les acquis démocratiques du pays.

La période d’ici les élections présidentielles de 2021 devra être mise à profit pour la recherche de consensus, aussi bien par les acteurs nationaux que par les partenaires du Bénin. Par ailleurs, les recommandations de la mission d’observation de l’Union Africaine, à l’issue des élections législatives de 2019, demeurent pertinentes.

Il s’agit, notamment, de la nécessité de privilégier l’approche inclusive et consensuelle dans la mise en application des réformes, de la mise en place d’un cadre de concertation permanent entre les acteurs politiques et les autres parties prenantes au processus électoral, et du maintien du dialogue politique. À cet égard, des leçons devront être tirées du dialogue politique organisé en octobre 2019 sans les principaux chefs de l’opposition, qui l’ont jugé non inclusif et qualifié de prétexte pour réviser la constitution.

En outre, la CEDEAO, l'Union africaine, le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) devraient continuer à accompagner le gouvernement, les partis politiques et la société civile dans leur quête d’une issue consensuelle.

Pour éviter une décrédibilisation des actions du gouvernement et une délégitimation des institutions en charge de la démocratie et de l’état de droit, le président Talon, garant de la paix et de la stabilité du pays, devra œuvrer dans le sens de l’apaisement et privilégier une démarche inclusive et consultative.

Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale et Michaël Matongbada, chargé de recherche, Bureau régional pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, Dakar

Cet article a été réalisé grâce au soutien du gouvernement du Danemark et du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni.

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