Bénin : une troisième élection sans les principaux partis d’opposition

Pour garantir leur réélection, les présidents sortants en Afrique de l’Ouest excluent intentionnellement leurs adversaires politiques avant les élections.

Le 11 avril prochain, le Bénin vivra sa septième élection présidentielle depuis 1990, année de la Conférence nationale des forces vives qui a ouvert la voie à une transition pacifique du pouvoir d’une dictature militaire à la démocratie.

La tenue d’élections inclusives successives a permis plusieurs alternances pacifiques et a fait du pays un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest. Cependant, cette image a été ternie par les violences postélectorales de 2019, au cours desquelles les forces de sécurité ont tué au moins quatre manifestants.

Cette même année, l’adoption du code électoral par les deux partis au pouvoir, le Bloc républicain (BP) et l'Union progressiste (UP), a introduit le principe du parrainage dont l’application exclut les principaux partis de l'opposition du scrutin. Cette situation entache la crédibilité de l’élection à venir.

Le dialogue qui a été engagé après l'élection législative de 2019 pour répondre aux principaux mécontentements est dans l'impasse. En outre, la détention de cinq personnalités de l'opposition par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme pour des accusations présumées de terrorisme et de sabotage politique — dossiers dans lesquels le gouvernement est accusé d’ingérence — ont accentué la crise de confiance entre les acteurs politiques. Cela pourrait déclencher de violentes manifestations.

L'absence des partis d'opposition lors de trois élections consécutives depuis 2019 compromet les progrès démocratiques du Bénin

L'absence des partis d'opposition de trois élections consécutives depuis 2019 compromet les progrès démocratiques du pays et donne le sentiment que le résultat de l'élection de 2021 est déterminé à l’avance. Elle a conduit le Bénin, entre autres facteurs, à passer de la catégorie libre à partiellement libre dans le rapport sur la liberté dans le monde de 2020.

La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples a demandé que les réformes contestées soient retirées du code électoral avant l'élection. Les partis de l'opposition appellent à un report du scrutin pour permettre une large participation et l'inclusion. Le Bénin maintient cette élection malgré ces multiples appels. 

La loi sur le parrainage stipule que les candidats à la présidence et à la vice-présidence doivent être parrainés par au moins 16 députés et/ou maires. Le BP et l’UP sont les seuls partis ayant des représentants à l'Assemblée nationale et ont la main mise sur 70 des 77 mairies existantes. Par conséquent, ils contrôlent l'éligibilité des candidats à l'élection présidentielle.

Les partis d'opposition considèrent que l'exigence de parrainage est illégitime car elle les exclut de l'élection. Les parrainages, selon eux, ont été manipulés et détournés par les deux partis au pouvoir qui ont sélectionné les deux concurrents du président Talon.

Ils soupçonnent également Alassane Soumanou, du parti d'opposition Forces Cauris pour un Bénin émergent, et Corentin Kohoué, un dissident du nouveau parti de l'opposition Les Démocrates, de jouer le jeu du président Talon.

Le dialogue engagé après l'élection législative de 2019 pour répondre aux principaux mécontentements est dans l'impasse

Le 14 février, le député de l'UP, Ahmed Affo Obo Tidjani, a contesté devant la Cour constitutionnelle l'authenticité d'un parrainage à son nom favorable à Talon. Il a déclaré avoir plutôt soutenu le candidat du parti de l'opposition Les Démocrates, Reckya Madougou. Le rejet de son appel par la  Cour a renforcé la perception de la partialité de cette dernière.

Le premier mandat du président Talon a pris fin le 5 avril 2021 selon la Constitution de 1990. Cependant, l'amendement constitutionnel de 2019, voté par un parlement contrôlé par les deux partis au pouvoir, a prolongé le mandat du président Talon de 45 jours, provoquant un mécontentement supplémentaire  de l’opposition à l'approche de l'élection présidentielle.

Le pays pourrait connaître une répétition des violences postélectorales de 2019. À quelques jours du scrutin, des manifestations ont déjà éclaté dans plusieurs villes du pays. Certains procureurs ainsi que le porte-parole du gouvernement ont mis en garde la population contre des actes qui pourraient entraver le bon déroulement de l'élection et ont menacé de sanctionner sévèrement les contrevenants.

Des violences liées aux élections auraient des effets dévastateurs à court, moyen et long terme sur la cohésion sociale, la paix et la stabilité du Bénin. Dans ce contexte, les acteurs nationaux et internationaux pourraient explorer plusieurs options afin d'en réduire les risques.

Dans l'éventualité où les manifestations dégénéreraient, les efforts déployés par la Police républicaine pour encourager ses agents à faire preuve de professionnalisme pendant le processus électoral devraient être maintenus et respectés pour éviter une escalade de la situation.

La crise politique béninoise souligne la nécessité d'un réengagement des organisations régionales africaines dans la consolidation de la démocratie

La loi d'amnistie pour les violences postélectorales adoptée en octobre 2019 a été vivement critiquée par des acteurs politiques et de la société civile, ainsi que par les organisations de défense des droits humains. Selon Amnesty International, cette loi viole le droit des victimes à la justice et aurait permis aux forces de sécurité soupçonnées de violations des droits humains d'échapper à la justice.

Pour éviter de renforcer le sentiment d'impunité, les forces de sécurité doivent s'abstenir de recourir à une force excessive et veiller à ce que leurs actions n'entraînent pas de destructions, de blessures ou de pertes en vies humaines.

Le gouvernement et toutes les parties prenantes impliquées dans l’organisation des élections au Bénin devraient tirer les leçons de la mise en œuvre des différentes réformes électorales adoptées depuis 2018, et s'interroger sur leur efficacité.

L'absence de l'opposition à la prochaine élection présidentielle sapera la légitimité du président élu, restreindra encore plus l'espace politique et érodera davantage la démocratie. Le président élu devra donc envisager de reprendre le dialogue politique avec tous les acteurs politiques concernés pour traiter les causes profondes de la crise politique actuelle.

Dans de nombreux pays africains, les résultats des élections ne sont plus annoncés le jour du scrutin. On constate avec inquiétude une tendance des présidents sortants à garantir leur réélection en excluant intentionnellement leurs adversaires politiques avant les élections. Cela rend l’observation des élections par les organisations nationales, régionales et internationales inefficace.

La crise politique qui se déroule au Bénin, et dans d'autres pays de la région, souligne la nécessité d'un réengagement des organisations régionales africaines dans la consolidation de la démocratie.

La Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest, l'Union africaine, le Bureau des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel ainsi que d'autres partenaires concernés sont déjà pleinement conscients de l'évolution des défis auxquels sont confrontés les processus démocratiques en Afrique de l'Ouest. Ils devraient repenser leurs stratégies de prévention des conflits et ajuster leurs interventions en conséquence.

David Zounmenou, Jeannine Ella Abatan, chercheurs principaux, et Michaël Matongbada, chargé de recherche, Bureau régional pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar

Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni et de la Fondation Hanns Seidel.

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