Le Bénin teste les limites de la démocratie
L’absence des partis d’opposition des récentes élections législatives au Bénin pourrait profondément saper la légitimité du gouvernement.
Au moins deux morts, plusieurs blessés, c’est le bilan des violences post-électorales survenues après les élections législatives contestées du 28 avril au Bénin, au cours desquelles la police a tiré à balles réelles sur les manifestants. Le bilan des dégâts matériels n’a pas encore été évalué.
Une semaine après le scrutin, l’impasse politique perdure. Au cœur de la crise, l’impossibilité pour certains partis, dont tous ceux se réclamant de l’opposition, de prendre part au scrutin, à la suite de récentes réformes institutionnelles. L’absence de l’ensemble des partis d’opposition a ôté tout suspense à ces scrutins.
Alors que l’opposition appelle à l’organisation de nouvelles élections inclusives, le pouvoir quant à lui estime que « le processus électoral s’est déroulé conformément à la loi, [et] ira à son terme ».
À court terme, l’enjeu principal est le maintien de la paix et de la stabilité. À moyen et long terme, le défi majeur sera la consolidation des acquis démocratiques. Le taux de participation rendu public par la Cour constitutionnelle le 2 mai s'élève à 27,12 %. C’est le taux le plus bas jamais enregistré dans le pays. Deux éléments peuvent expliquer cette forte abstention.
Le taux de participation des élections législatives du 28 avril est le plus bas que le Bénin a connu
D’abord, ces élections ont, pour la première fois dans l’histoire démocratique du Bénin, été marquées par l'absence de participation de l’ensemble des partis d'opposition. Ceci a été le résultat des modalités d’application de nouvelles dispositions électorales, contestées par l’opposition, introduites par la charte des partis politiques adoptée le 23 juillet 2018 et le code électoral voté le 3 septembre 2018.
Dix partis politiques ont exprimé leur volonté de participer au scrutin. Trois n’ont pas déposé leurs dossiers de candidature pour n’avoir pas obtenu leur certificat de conformité du ministère de l’Intérieur. Il s’agissait, entre autres, du parti de l’ancien président Thomas Boni Yayi et de celui d’une des principales figures de l’opposition, Candide Azannaï.
Sur les sept dossiers de candidature remis à la Commission électorale nationale autonome (CENA) pour examen, seuls deux partis, membres de la mouvance présidentielle, à savoir l’Union progressiste et le Bloc républicain, ont été autorisés par la CENA à prendre part aux élections.
Certes, le principe de mise en conformité est inscrit dans l’article 56 de la nouvelle charte des partis politiques. Cependant, ni celle-ci, ni le nouveau code électoral, ne mentionne explicitement l’obtention d’un certificat de conformité. C’est la Cour constitutionnelle, dans sa décision du 1er février 2019, qui a ajouté cette exigence à laquelle les partis politiques étaient appelés à se conformer avant de participer aux élections législatives et pour continuer d’exister au-delà du 16 mars 2019.
Une assemblée nationale totalement acquise au président Patrice Talon pourrait considérablement fragiliser les acquis démocratiques du Bénin
Cette décision de la Cour, intervenue moins de 21 jours avant l’ouverture officielle de la réception des candidatures à la CENA, a contribué à alimenter le climat de suspicion. Le rejet des dossiers de mise en conformité de plusieurs partis a cependant été motivé par des insuffisances et des irrégularités sans lien avec les nouvelles réformes de la charte et du code électoral. Il s’agit notamment de défauts sur certaines pièces parmi les douze documents déclarés obligatoires pour obtenir le certificat de conformité.
La recherche de consensus entre le président et certains membres de l’opposition d’une part, et entre la majorité et la minorité parlementaire d’autre part, ont échoué. La veille du scrutin, l’opposition a appelé ses militants à ne pas voter.
Ensuite, le faible taux de participation pourrait s’expliquer par les actes de violences recensés la veille et le jour du scrutin dans plusieurs villes du pays, notamment à Tchaourou, fief de l’ancien président Yayi, où un bureau de vote et des urnes ont été incendiés. Ces incidents auraient empêché la bonne tenue des élections dans 39 des 546 arrondissements du pays.
Le calme semble être revenu depuis le 4 mai. Mais le risque de nouvelles manifestations violentes d’ici le 15 mai, date de l’investiture de la 8ème législature, ne doit pas être écarté. Au-delà des risques de violence, l'installation d’une assemblée nationale, pour un mandat de 4 ans, totalement acquise au président Patrice Talon pourrait considérablement fragiliser les acquis démocratiques du pays. Il en résulterait une remise en cause constante de la légitimité de cette institution et des lois qu’elle voterait.
Une éventuelle révision de la Constitution, projet phare du président Talon, pendant la législature à venir, pourrait dans le contexte actuel manquer grandement de légitimité. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle, la plus haute institution juridique du pays, a récemment été fortement critiquée pour avoir pris des décisions jugées partiales depuis que l’ancien ministre de la Justice, ancien avocat et proche du président Talon, Joseph Djogbénou, a été élu à sa tête en juin 2018.
La dernière chose dont le Bénin a besoin est une division sociopolitique qui pourrait accroître ses vulnérabilités régionales
Par conséquent, l’installation d’un parlement entièrement dévoué à la cause du pouvoir exécutif, menacera le principe de la séparation des pouvoirs. Cette situation inédite pourrait décrédibiliser les actions du gouvernement et fragiliser les institutions garantes de la démocratie et de l’état de droit.
Dans ce climat d’incertitude et au regard de ces risques, la période courant jusqu’au 15 mai devra être utilement mise à profit pour apaiser les tensions et parvenir à un consensus sur l’organisation d'élections inclusives et apaisées.
Deux options pourraient être explorées par les différentes parties prenantes. La première est prévue par l’article 55 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle. Il donne la possibilité à tout citoyen inscrit sur la liste électorale et aux personnes qui ont fait acte de candidature de saisir la Cour constitutionnelle dans un délai de 10 jours à compter de la date de proclamation des résultats, pour contester les résultats de l'élection. Il importe toutefois de noter qu’une invalidation des élections par la Cour semble peu probable au regard des décisions en faveur de la poursuite du processus électoral prises par cette dernière depuis le début de ce processus électoral.
La deuxième option reste la concertation et la recherche de consensus, seules issues pacifiques pour mettre fin à l’impasse. Le président Talon a un rôle important à jouer en tant que premier garant de la paix et de la stabilité du pays. Un appel au dialogue de sa part permettrait d’apaiser les tensions en vue d’une large concertation qui pourrait déboucher sur des pistes de sortie de crise. Il importe que la classe politique, tant la mouvance présidentielle que l’opposition, place l’intérêt national au-dessus de ses considérations et intérêts partisans pour en assurer la réussite.
Au-delà de la stabilité nationale, il s’agit de consolider les acquis démocratiques pour mieux relever les défis du développement dans un environnement sécuritaire régional de plus en plus incertain. L’enlèvement, le 1er mai, dans le parc de la Pendjari, de deux français et de leur guide béninois retrouvé mort le 4 mai près de la frontière avec le Burkina Faso, illustre l’instabilité du contexte régional et l’importance d’éviter de créer des fractures socio-politiques qui pourraient engendrer des vulnérabilités supplémentaires.
Jeannine Ella Abatan, Chercheuse, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar
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