SERRANO REDONDO, JESUS ANDRES/ICRC

Les gouvernements du bassin du lac Tchad doivent redoubler d'efforts contre l'EIAO

La quête de ressources de l'EIAO affaiblit la capacité des communautés du nord du Cameroun à faire face aux difficultés économiques.

Depuis 2021, l'État islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO) multiplie les extorsions auprès des communautés de l'Extrême-Nord du Cameroun et mène des attaques contre des casernes militaires dans le Logone-et-Chari et dans l'État de Borno, au Nigeria.

Par ces deux tactiques, l'EIAO désire étendre sa zone d'influence et reconstituer ses ressources. Les gouvernements de la région doivent agir sans délai, car ces actes ont des répercussions sur les moyens de subsistance locaux.

Plusieurs villages et îles du Logone-et-Chari sont influencés par l'EIAO. Cette faction dissidente de Boko Haram a nommé Ibn Umar et Malam Ba'ana, deux de ses acteurs majeurs, pour collecter la « taxe » et la zakat dans cette partie du Cameroun.

Le 4 janvier, à Wuyan Yachi, une vingtaine de combattants de l'EIAO ont des augmentations de « taxes ». Celles-ci comprenaient 40 000 ₦ (26 dollars américains) par champ après chaque récolte pour les agriculteurs, contre 10 000 ₦ (6 dollars américains) auparavant, et 25 000 ₦ (16 dollars américains) par sac de poisson au lieu de 15 000 ₦ (10 dollars américains) pour les pêcheurs. Ceux qui ne paient pas sont exécutés par l’EIAO. 

Localités fortement influencées par l'EIAO

Localities heavily influenced by ISWAP

 

Une étude de l'Institut d'études de sécurité (ISS) révèle quatre raisons principales à l'augmentation des extorsions de l'EIAO. Il s'agit de financer son expansion au Nigeria, de refréner les effets des opérations militaires sur ses finances, de réduire l'impact de la chute du naira sur ses finances (le naira est la monnaie utilisée dans les zones frontalières du Bassin du Lac Tchad) et de contrer les mesures prises par le Nigeria pour endiguer le financement du terrorisme.

Premièrement, l'EIAO souhaite s'implanter dans les États du nord-est du Nigeria, à savoir Taraba, Gombe et Bauchi, jusqu'à présent épargnés par ses exactions. Le groupe souhaite également s'étendre aux régions du nord-ouest et du centre-nord. Des cellules ont été créées notamment dans l'État de Kogi, dans le centre-nord.

Ce projet nécessite des fonds pour payer les combattants et acheter des armes et du matériel pour fabriquer des engins explosifs improvisés et des véhicules (tels que des motos et des canoës). L'EIAO doit également soutenir un système de gouvernance alternatif dans les localités qu'il contrôle, pour forger un pacte social entre les civils et les insurgés. À cet égard, le groupe cherche à financer ses « œuvres caritatives », comme c’est le cas dans certaines communautés du bassin du lac Tchad.

L'EIAO souhaite s'implanter dans les régions du nord-ouest et du centre-nord du Nigeria

Deuxièmement, les opérations comme Lake Sanity, Lafiya Dole, Hadin Kai et Emergence 4 – ont eu des répercussions négatives sur les ressources humaines, l'arsenal et les actifs de Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. Elles ont également perturbé les sources de financement du groupe, telles que le vol de bétail, les enlèvements, l'extorsion, le trafic illicite, l'agriculture, l'élevage et la pêche.

L'opération Lake Sanity 2, a permis d'éliminer plus de 310 combattants de Boko Haram, de neutraliser plusieurs bases des insurgés, de détruire des points de rassemblement logistiques, de saisir des armes et de secourir des civils. Les contre-offensives militaires sont en attente d'un renouvellement (par exemple, Lake Sanity, Alpha et Emergence 4), et l'EIAO en profite pour relancer son économie de la violence.

Troisièmement, depuis 2022, le Nigeria traverse une crise économique liée à la chute du naira par rapport au dollar américain. En août 2024, l'inflation a atteint 29,9%, son plus haut niveau depuis 1996, et le naira a baissé à 1524 ₦ pour un dollar, soit une perte de valeur de 230%.

Cette baisse a réduit les finances de Boko Haram – majoritairement détenues en naira – et a incité le groupe à multiplier les levées des fonds, principalement à travers des extorsions. Dans le Logone-et-Chari, lorsque le naira baisse, l'EIAO exige les paiements dans la monnaie plus stable de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale, le franc CFA.

L'EIAO profite de la diminution des offensives militaires pour relancer son économie de la violence

Quatrièmement, les efforts déployés depuis 2019 par le Nigéria pour couper les sources de financement extérieures de Boko Haram. Ces efforts comprennent des mesures bancaires telles que la modification en 2022 du design des billets de banque de naira et la fixation d'une limite maximale de retrait aux GAB.

Des condamnations ont également été prononcées à l'encontre des personnes impliquées dans le financement du terrorisme, contribuant ainsi aux progrès dans la lutte en la matière. L'EIAO recourt désormais à l'extorsion pour éliminer ces obstacles.

La recrudescence des attaques de l'EIAO contre des positions militaires vise à contraindre les communautés à collaborer en affaiblissant la capacité d'intervention des forces de sécurité. Entre le 8 mars et le 26 avril, le groupe a revendiqué au moins cinq attaques contre des casernes militaires dans le Logone-et-Chari. Ces attaques fragilisent davantage les communautés locales et élargissent le spectre de la violence à mesure que l'EIAO gagne du terrain.

Pour libérer la population, une action est nécessaire à trois niveaux : militaire, administrative et diplomatique. Le gouvernement doit renforcer sa présence militaire dans les régions touchées, être présent dans toute la zone et mener des offensives terrestres et aériennes. Les offensives militaires, qui ont récemment baissé, doivent être renforcées.

Le gouvernement devrait fournir des services vitaux pour compenser les services de l'EIAO aux communautés

Des actions civilo-militaires pourraient améliorer la collaboration entre la communauté et les forces de défense, brisant ainsi la confiance que l'EIAO a établie avec les populations. Les campagnes de santé publique menées par l'armée, comme celles de 2024 à Darak, et les discussions civilo-militaires devraient être relancées.

Le gouvernement devrait également fournir des infrastructures vitales sur les îles – telles que des points d'eau potable, des centres de santé, des écoles, des intrants agricoles et du matériel de pêche – afin de contrebalancer les services fournis par l'EIAO aux communautés.

Enfin, les autorités de l'Extrême-Nord du Cameroun et de l'État de Borno au Nigeria devraient développer des projets communs en matière de sécurité, d'administration et d'infrastructures entre les deux pays. Cela pourrait contribuer à arrêter la domination de l'EIAO dans cette zone transfrontalière.

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