Les inondations dans le bassin du lac Tchad affaiblissent une région déjà sinistrée
De meilleures infrastructures de rétention d’eau aideraient les communautés à relever divers défis de sécurité et de développement.
Publié le 04 novembre 2025 dans
ISS Today
Par
Célestin Delanga
chargé de recherche, Bureau régional de l'ISS pour l'Afrique de l'Ouest et le Sahel
Le bassin du lac Tchad est confronté à de multiples défis, notamment le terrorisme de Boko Haram, les conflits communautaires et la pauvreté. Par-dessus tout, il est frappé par des inondations sans précédent.
Une plus grande résilience des communautés – c'est-à-dire leur capacité à se relever, à s'adapter, à anticiper et à résister – est essentielle pour y faire face. Les infrastructures de rétention d'eau offrent une solution durable qui pourrait contribuer à renforcer la résilience face aux inondations, au terrorisme et aux conflits, et à préserver les moyens de subsistance.
De graves inondations ont touché la région en 2016, 2020, 2022 et 2024. Dans la seule année 2024, plus de 236 025 personnes en ont été victimes, avec plus de 250 morts et la perte de 1 678 têtes de bétail dans cinq des huit provinces affectées par Boko Haram, au Cameroun, au Tchad, au Niger et au Nigeria.
Dans l'Extrême-Nord du Cameroun, 13 471 hectares de cultures ont été ravagés. Au Tchad, plus de 35 267 ménages ont souffert des inondations dans la province du Lac. Au total, 17 811 habitations ont été détruites, 4 840 têtes de bétail ont été perdues et 22 213 hectares de champs ont été ruinés.
Au Nigeria, des pluies torrentielles ont provoqué la rupture d'une digue au sud de Maiduguri, endommageant 40 % de la ville, provoquant le déplacement de 400 000 personnes et causant 30 morts. En 2022, les inondations dans la région de Diffa au Niger ont fait 155 470 victimes et détruit 2 119 habitations. Les prévisions météorologiques annoncent des inondations encore plus graves dans les années à venir.
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Le bassin du lac Tchad
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Les conséquences catastrophiques des inondations compromettent la résilience des communautés d'au moins trois façons : elles détruisent les acquis du développement, elles créent de nouvelles vulnérabilités et elles affaiblissent les efforts de lutte contre le terrorisme.
Concernant les dommages aux acquis du développement, des milliers d’habitations ont été détériorées ou détruites, et des réseaux routiers et des ponts ont été coupés. Cela rend difficile la circulation des personnes et des marchandises et freine l'agriculture et l'économie locale et nationale.
Au Cameroun, les inondations ont provoqué l’écroulement de 119 ponts entre août et novembre 2024, interrompant en partie la circulation vers N'Djamena, la capitale du Tchad. La même année, des inondations ont provoqué l’effondrement de la route nationale Diffa-N'guigmi, coupant temporairement le traffic le long du corridor transnational. À Maiduguri, des milliers de boutiques ont été inondées.
La perte de bétail, de terres arables et de récoltes aggrave la pauvreté, l'insécurité alimentaire et le chômage. Des milliers de familles ont dû se déplacer vers des sites d'accueil dans des conditions difficiles.
Les inondations détruisent les acquis du développement et créent de nouvelles vulnérabilités
L'impact des inondations sur la sécurité est également désastreux. Les ressources destinées à la lutte contre le terrorisme sont orientées vers les interventions d'urgence. Contraints d'intervenir sur deux fronts, les gouvernements et les agences d'aide humanitaire, qui manquent de ressources, réaffectent leur personnel, leur logistique et leurs fonds pour répondre aux besoins immédiats des victimes des inondations et leur fournir de la nourriture, des logements et des soins de santé.
Lors des inondations de 2024 à Maiduguri, les soldats de la Force multinationale mixte ont utilisé des pirogues destinées à des opérations contre Boko Haram, afin de secourir la population. Des drones de reconnaissance de l'armée ont été réquisitionnés pour localiser les personnes disparues et celles piégées dans des zones isolées. Les victimes des inondations ont envahi les camps destinés aux personnes déplacées par les extrémistes violents, et les organisations humanitaires qui viennent en aide aux victimes du terrorisme ont été contraintes de se concentrer sur les inondations.
Les factions de Boko Haram exploitent la situation et intensifient les extorsions, les taxes sur les services et les recrutements forcés, augmentant la pression sur les communautés. Elles accentuent également leurs tactiques de guerre asymétrique, qui contraignent l'armée à affronter un ennemi sans front défini.
Les recherches de l'Institut d'études de sécurité montrent que les enlèvements augmentent pendant la saison des pluies, la poursuite des auteurs devenant difficile. Et si l'abondance de l'eau profite aux pêcheurs locaux, elle est encore plus avantageuse pour Boko Haram qui contrôle la plupart des principales zones de pêche du lac.
Chaque année, au moins 10 000 pêcheurs accèdent aux territoires contrôlés par la faction de Boko Haram, la Province d'Afrique de l'Ouest de l'État islamique. Les gains du groupe s’élèvent à environ 191 millions de dollars US par an, alimentés principalement par les taxes imposées aux pêcheurs.
La construction, les inondations et la reconstruction constituent un cercle vicieux
Les réponses aux inondations dans le bassin du lac Tchad sont insuffisantes. L'aide humanitaire d'urgence est réactive plutôt que préventive, et les projets de développement restent vulnérables aux inondations. C’est le cas, entre autres, du Fonds régional de stabilisation de la Commission du bassin du lac Tchad et des plans nationaux tels que le plan de reconstruction de l'Extrême-Nord du Cameroun.
C’est ainsi qu’un cercle vicieux s’est créé dans la région : construction, inondation, reconstruction, sans que l’on s'attaque aux causes profondes. Seules des solutions infrastructurelles pourraient le briser.
Les solutions proposées concernent généralement la construction de grands réservoirs, qui permettraient, de plus, de créer des emplois dans le secteur agricole. Il existe déjà plusieurs digues dans la région du lac Tchad, mais avec l'aggravation des inondations, leur capacité est devenue insuffisante. En outre, leur entretien laisse à désirer, comme on l’a vu avec l'effondrement en 2024 des digues au Cameroun et au Nigeria qui alimentent le lac Tchad.
Dans une région où il ne pleut que trois mois par an, l'excédent d'eau pourrait être utilisé pour développer les cultures maraîchères, la pêche et l'élevage. Cela contribuerait à la relance socio-économique et à l'autosuffisance alimentaire, comme à Maga, dans l'Extrême-Nord du Cameroun.
Le lac Maga retient les eaux du fleuve Logone qui se jettent dans le lac Tchad. Ce qui a permis de cultiver du riz et entrainé la création de la Société d'expansion et de modernisation du riz. Cette solution favorise également le reboisement, qui peut soutenir les moyens de subsistance et la résilience.
Les infrastructures de prévention des inondations sont prioritaires pour protéger les autres investissements
La Commission du bassin du lac Tchad pourrait jouer un rôle dans les projets d'infrastructures de rétention d'eau. Sa mission initiale consiste notamment à coordonner, au niveau régional, les actions des États membres susceptibles d'avoir un impact sur les eaux du bassin. Il faudrait des investissements importants de la part des États membres et les partenaires de développement. Les projets développés devront aussi s’intégrer aux programmes de résilience existants, qui nécessitent tous la participation des communautés pour réussir.
Si la région du bassin du lac Tchad ne trouve pas de solution pour lutter contre les inondations, elle ne parviendra pas à être résiliente et à atteindre une stabilité de manière durable. La rétention d'eau et l'entretien des infrastructures participent au fondement d'autres efforts de développement et de stratégies de prévention du terrorisme.
Les gouvernements, les organismes régionaux et les partenaires internationaux doivent donner la priorité aux infrastructures de prévention des inondations afin de protéger tous les autres investissements dans l'avenir de la région.
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