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Présidentielle au Cameroun : pourra-t-on voter dans les zones de conflit ?

Il pourrait s'avérer difficile de voter dans les régions touchées par le conflit, qui recensent pourtant une grande partie de l'électorat.

À 92 ans, Paul Biya, président du Cameroun, brigue un huitième mandat consécutif. Avec le rejet de la candidature du chef de l'opposition, Maurice Kamto, Biya sera confronté à une opposition remaniée, notamment avec les candidatures de Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma Bakary, deux poids lourds du nord qui soutenaient auparavant la candidature du président sortant.

À deux jours des élections, certaines parties des régions de l'Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest font face à une insécurité latente en raison des factions de Boko Haram et de la crise anglophone.

Lors des élections de 2018, le taux de participation dans les régions anglophones n'était que de 10 % à cause des problèmes de sécurité contre 54 % au niveau national. Bien que la situation se soit sans aucun doute améliorée depuis lors, la vigilance reste de mise, compte tenu de la propension des insurgés à recourir à la violence pendant les périodes électorales.

Les trois régions touchées par le conflit représentent 28,75 % des électeurs, soit une proportion relativement importante de l'électorat. La région de l’Extrême-Nord réunit plus de 15,62 % des votants et les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest plus de 13,13 %.

Une faible participation au scrutin dans ces zones risque de fausser les résultats nationaux et pourrait compromettre la légitimité des élections et la stabilité post-électorale.

 

Avec les élections législatives et municipales prévues en 2026, un scrutin pacifique dans ces trois régions ce week-end est crucial pour encourager la participation citoyenne l'année prochaine. Des mesures doivent donc être prises pour garantir qu’il se déroule dans un environnement sûr et propice.

Dans l'Extrême-Nord, les deux principales factions de Boko Haram continuent d'exercer une pression considérable sur les populations du Logone-et-Chari, du Mayo-Tsanaga et du Mayo-Sava. La logistique électorale sera particulièrement complexe dans les zones frontalières avec le Borno au Nigeria, qui sont exposées à des incursions, des enlèvements et des attaques récurrentes contre les communautés et les symboles de l'État. Les données de surveillance de l'Institut d'études de sécurité montrent qu'au moins cent incidents violents impliquant Boko Haram ont eu lieu dans ces zones depuis janvier.

Dans le même temps, la crise anglophone dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest a créé un climat de méfiance et d'hostilité ouverte à l'égard du processus électoral. Les groupes armés séparatistes ont appelé à plusieurs reprises au boycott des élections. Les opérations villes mortes visant à paralyser la vie publique, communément appelées « lockdowns » ou « ghost towns », orchestrés par ces groupes, constituent des obstacles pour les électeurs qui pourraient être pris pour cible.

Ces menaces pourraient entraver la distribution du matériel électoral, perturber le déroulement du scrutin et exposer le personnel électoral et les électeurs à de graves risques. Elles pourraient entraîner une forte baisse de la participation, en particulier dans l'Extrême-Nord et dans les régions anglophones.

Si les élections offrent à l'État camerounais l'occasion de renforcer sa légitimité, en particulier dans les zones en crise, elles pourraient également attiser les tensions. Pour les auteurs d’actes de violence, les élections sont l'occasion de défier l'État et d'exploiter les frustrations sociales. En se positionnant comme des acteurs politiques légitimes ou des protecteurs des populations marginalisées, les insurgés peuvent renforcer leur influence.

Les perturbations du vote dans les régions en conflit pourraient entrainer une faible participation

Ils pourraient exploiter le processus électoral en recourant à des violences ciblées pour perturber le scrutin et saper la confiance dans les institutions. La sécurité pendant les élections est donc un défi important qui transcende les simples considérations logistiques.

À quelques jours seulement de l'ouverture des bureaux de vote, le temps manque pour mettre en œuvre les nombreuses mesures – si elles n'ont pas déjà été engagées –pour sécuriser le processus électoral. Il s'agit, notamment d'assurer une présence des forces de sécurité proportionnelle à celle du personnel administratif et d'accroître la transparence au sein des organes électoraux.

Renforcer le dialogue entre les communautés, les autorités locales et les forces de sécurité permettrait de lutter contre la désinformation et de prévenir les actes d'intimidation, tout en rétablissant le climat de confiance nécessaire pour un scrutin libre et pacifique.

Sécuriser le processus électoral dans les zones de conflit est plus qu'une simple question technique. C’est un test décisif pour la résilience démocratique du Cameroun et la crédibilité de ses services de sécurité et de ses institutions politiques.

Outre les menaces pour la sécurité, l'isolement des zones de conflit en raison du mauvais état des routes d'accès et de la saison des pluies est également un problème. Les inondations ont endommagé considérablement les infrastructures routières, ce qui entrave le déploiement du matériel électoral et le déplacement des agents électoraux, des observateurs et des électeurs.

La sécurisation des élections est un test pour les services de sécurité et les institutions politiques

Qu'aurait pu faire le gouvernement pour garantir des élections inclusives, équitables et crédibles dans ces régions géographiquement isolées et en insécurité ? Plusieurs mesures méritent d'être envisagées, sinon pour ces élections, du moins en vue du scrutin de 2026.

Premièrement, des dispositions sont nécessaires pour renforcer la sécurité de manière ciblée afin de rassurer la population sans militariser le processus. Deuxièmement, la logistique électorale devrait être adaptée aux contraintes locales, en particulier dans les zones où les inondations et la détérioration des infrastructures routières sont fréquentes. L'utilisation des moyens aériens pourrait desservir les zones les plus isolées.

Des milliers de personnes déplacées du fait de Boko Haram, des groupes séparatistes de la crise anglophone ou des inondations pourraient ne pas être en mesure de voter, car elles ont été contraintes de quitter les zones où elles étaient inscrites. Des mécanismes de réinscription sont nécessaires pour qu’elles puissent participer aux élections.

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