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Relance du trafic illégal de voitures entre le Soudan et le Tchad

Parmi les nombreux acteurs impliqués dans ce commerce illégal en plein essor, les Forces de soutien rapide figurent en bonne place.

La troisième guerre civile au Soudan, qui a débuté en avril 2023 entre les Forces de soutien rapide (FSR) et les Forces armées soudanaises, a relancé le commerce transfrontalier illicite de véhicules. Au début du conflit, d'importants pillages ont eu lieu à Khartoum et dans d'autres grandes villes, perpétrés principalement par les FSR.

Les malfaiteurs ont souvent pris pour cible les résidences des réfugiés qui avaient fui Khartoum  ou Wad Madani. Ils se sont emparés surtout des bijoux en or et des véhicules. Il est difficile d'avoir des chiffres précis sur les vols de voitures, mais le montant des biens et des marchandises dérobés entre mi-avril et mi-juillet 2023 a été estimé à 40 milliards de dollars USD.

Quoique le Soudan soit aujourd’hui devenu une source du trafic illégal de voitures, le vol de véhicules et la contrebande transfrontalière entre le Tchad et le Soudan ne sont pas nouveaux. Dans les années 2010, les marchés frontaliers soudanais sont devenus des centres de vente de voitures volées pour les combattants de la Seleka en République centrafricaine et les diverses factions armées en Libye. Les véhicules d'occasion étaient transportés au Soudan en passant par le Darfour et l'État du Nord.

Un haut fonctionnaire de la police tchadienne a confié au projet ENACT sur la criminalité organisée de l'Institut d'études de sécurité que la porosité des frontières et le manque de capacités des forces de l'ordre favorisaient l'économie criminelle. La guerre qui fait rage au Soudan a favorisé l'essor d'une économie illégale dans laquelle des trafiquants vendent des véhicules volés à des tchadiens à un prix bien inférieur à leur valeur d'origine.

La contrebande transfrontalière a attisé le ressentiment de certains Soudanais déplacés qui vivent au Tchad, qui estiment que les Tchadiens profitent du malheur de leur pays.

Zone transfrontalière entre le Tchad et le Soudan
Source: ISS

 

Si des contrebandiers, des intermédiaires et des garagistes, entre autres, sont impliqués, les membres des FSR apparaissent comme des acteurs clés. Chaque fois que les FSR occupent un nouveau site, des pillages ont lieu, les véhicules figurant parmi les principaux butins de guerre. Les voitures volées sont transportées à la frontière avec le Tchad, où elles sont vendues par les FSR.

Un juge d'Abéché, dans la province tchadienne de l’Ouaddaï, a déclaré à ENACT que les criminels déguisaient les véhicules volés et utilisaient des plaques d'immatriculation contrefaites pour faciliter leur passage à la frontière tchadienne. Cela se produit souvent tard dans la nuit, lorsque les postes de contrôle de sécurité ne fonctionnent pas ou que les contrôles sont moins rigoureux. Différents groupes criminels gèrent le transport des véhicules volés vers l'intérieur du pays.

Le vol et la contrebande de voitures, qui exacerbent la criminalité transnationale, sont liés aux conflits, à l'instabilité politique et à l'opportunisme économique. Les vols de biens de valeur comme les véhicules s'accompagnent souvent de violences, notamment contre des civils sans défense, aussi bien dans les régions pauvres que riches.

Des civils soudanais se mobilisent contre les groupes rebelles

Les civils se mobilisent et s'arment pour résister aux groupes rebelles et mener des représailles. Le cycle de violence s’intensifie et le risque d'un conflit prolongé augmente. L'afflux de véhicules volés vers le Tchad perturbe également les marchés locaux et nuit au commerce légal d'automobiles.

Alors que la paix reste difficile à atteindre au Soudan, les pays voisins ne doivent pas se rendre complices en servant de destinataires pour les produits de la guerre. Pour lutter efficacement contre l'afflux de véhicules volés, le Tchad peut s'inspirer de l’exemple du Soudan du Sud qui a récemment géré un défi similaire.

Lorsque le conflit au Soudan a éclaté, le Soudan du Sud a collaboré étroitement avec les forces de sécurité soudanaises. Une délégation d'agents de la circulation soudanais s'est rendue à Juba avec les registres électroniques des véhicules volés, ce qui a permis à la police sud-soudanaise d'identifier et de récupérer les voitures. Les autorités ont également mis en garde contre l'achat de véhicules de contrebande, ce qui a contribué à sensibiliser la population et à en réduire la demande.

Le Tchad peut s'inspirer de l’exemple récent du Soudan du Sud en collaborant avec le Soudan

Le Soudan du Sud est allé encore plus loin en interdisant l'immatriculation de tout véhicule soudanais ne disposant pas des documents requis, ce qui rend difficile l'entrée des voitures volées sur le marché.

Le Tchad pourrait adopter des stratégies similaires en renforçant la sécurité aux frontières et en officialisant sa coopération avec le Soudan grâce aux accords de sécurité. L'accès au registre des véhicules du Soudan permettrait aux autorités tchadiennes d'identifier et d'intercepter les voitures volées. Des opérations mixtes entre les forces de l'ordre et les autorités frontalières des deux pays seraient également bénéfiques.

L'expérience du Soudan du Sud montre que, même en période de conflit, des politiques solides et une collaboration régionale peuvent réduire considérablement les activités criminelles transfrontalières.

Cet article a été publié initialement par ENACT.

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