L’économie bleue pour renforcer la relation UA-UE ?

Un accord équitable entre l’UA et l’UE sur leurs responsabilités mutuelles permettrait de développer les espaces maritimes communs.

La Journée mondiale des océans du 8 juin permettra de réfléchir au rôle vital des océans dans le développement durable, la sécurité alimentaire et la résilience face au changement climatique. Ce sont des éléments clés pour l’Afrique, très exposée aux dommages causés par le changement climatique.

La conservation des océans relève d’une responsabilité collective qui pourrait rapprocher l’Afrique et l’Europe. Cependant, malgré des bases de coopération bien établies, elles rencontrent différents obstacles tant au niveau de leurs commissions que des États membres. Les économies bleues doivent également prendre une place plus importante dans le partenariat actuel.

La coopération internationale sur la santé des océans a connu une avancée historique cette année. En effet, au mois de mars, les États membres des Nations unies ont conclu le Traité mondial sur la haute mer, qui vise à protéger la biodiversité dans les eaux situées au-delà des juridictions nationales. Cet accord témoigne d’une évolution des mentalités, en prenant ses distances à l’égard du concept de « mer libre », qui entraîne l’exploitation irresponsable des océans, pour s’orienter vers une approche fondée sur la conservation et la réflexion sur les mauvaises pratiques.

Par cet accord, les pays reconnaissent la nécessité de coopérer pour protéger ce « patrimoine commun de l’humanité », comme le stipule la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Plus de 60 % des océans sont situés en dehors des juridictions nationales, ce qui fait de cet espace peut-être l’écosystème le plus interconnecté de la planète. Il est nécessaire de mettre en place une responsabilité partagée de la gouvernance des ressources océaniques pour aller dans le sens du développement durable et de l’action climatique.

Les bases de la coopération UA-UE sont bien établies, mais plusieurs obstacles restent à surmonter

Les pays africains ont joué un rôle primordial dans cette évolution, et nombre d’entre eux sont enthousiastes et prêts à jouer un rôle prépondérant dans la gouvernance des océans aux niveaux régional et mondial. Ils font écho à la reconnaissance de plus en plus importante par le continent de l’économie bleue comme moteur de croissance économique, de résilience climatique et de réduction de la pauvreté en Afrique. Les partenaires extérieurs à la région seront essentiels pour atteindre ces résultats.

En avril, la Commissaire de l’Union africaine (UA) chargée de l’agriculture, du développement rural, de l’économie bleue et de l’environnement durable, Josefa Sacko, a souligné l’importance de renforcer la coopération intercontinentale dans le domaine de l’économie bleue. Elle a notamment insisté sur la nécessité de « renforcer le partenariat [de l’Afrique] avec l’Europe, d’identifier les domaines de travail commun susceptibles de renforcer la collaboration existante ».

Le rapprochement entre l’UA et l’Union européenne (UE) n’a rien d’étonnant. Il vient compléter une coopération qui existe déjà dans d’autres secteurs tels que la santé, la sécurité et le développement. En outre, leurs approches de l’économie bleue présentent des atouts qui sont complémentaires et peuvent leur être mutuellement bénéfiques. Par ailleurs, les espaces maritimes qu’elles partagent et leurs écosystèmes interconnectés constituent des zones stratégiques naturelles pour mener des efforts conjoints.

Plusieurs projets africains en matière d’économie bleue bénéficient déjà d’un soutien substantiel de l’UE. L’initiative kényane Go Blue associe le développement maritime et terrestre en favorisant l’intégration des femmes et des jeunes dans l’économie de la mer. Son objectif est d’améliorer les infrastructures côtières, la croissance économique, la conservation du milieu marin et la gouvernance maritime.

Les approches de l’UA et de l’UE sur l’économie bleue se complètent et peuvent leur être bénéfiques

Il est évident qu’il faut mettre en place un partenariat transcontinental pour l’économie bleue si l’on considère les menaces transfrontalières que sont la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), l’élévation du niveau de la mer, la pollution et la perte de biodiversité.

Cependant, plusieurs obstacles entravent cette coopération. Tout d’abord, il existe un décalage entre les intérêts stratégiques et communs dans la conservation et la gestion des ressources océaniques et les réalités de la pêche illégale dans les eaux africaines. Les bateaux de pêche de l’UE sont souvent impliqués dans la pêche illégale dans les eaux africaines, privant ainsi les communautés de moyens de subsistance et les obligeant à prendre de plus grands risques.

Les subventions à la pêche peuvent aussi avoir des effets négatifs, malgré l’accord conclu l’année dernière à l’Organisation mondiale du commerce. Enfin, le manque de transparence qui persiste dans le secteur favorise la pêche illégale. Ainsi, l’UE a négocié de nombreux accords avec des pays tiers dans le cadre de ses partenariats pour une pêche durable. Bien que ces accords soient fondés sur la durabilité, ils ont été critiqués pour leurs lacunes qui permettent aux propriétaires d’échapper à leurs responsabilités.

Le deuxième obstacle est la relation asymétrique entre les deux partenaires. De nombreux pays africains sont à la traîne en matière de gouvernance maritime. Leurs difficultés institutionnelles et le décalage entre les objectifs et les progrès de l’économie bleue signifient que le partenariat pourrait profiter démesurément à l’Europe.

De nombreux pays africains sont à la traîne en gouvernance maritime, d’où une relation UA-UE asymétrique

Mais le déséquilibre de leurs relations ne s’arrête pas là. L’UE a récemment été accusée d’utiliser l’aide pour faire pression sur le Kenya afin que celui-ci retire une proposition qui aurait un impact sur les entreprises de pêche au thon de l’UE dans l’océan Indien. Malgré ses dénégations, l’UE  pourrait avoir du mal à trouver un équilibre entre ses objectifs de durabilité à long terme et les intérêts commerciaux à court terme des États membres. À cela s’ajoute le manque de ressources ou de volonté politique des pays africains pour identifier et poursuivre les contrevenants dans les eaux africaines.

Lors du sixième sommet UA-UE en 2022, les dirigeants se sont engagés à mettre en œuvre la vision 2030 sur la paix et la sécurité, les migrations et la mobilité, la sécurité énergétique et la transition verte, avec le soutien du programme d’investissement Afrique-Europe de Global Gateway. L’économie bleue qui n’y était pas explicitement mentionnée pourrait en faire partie compte tenu de l’impulsion donnée à l’action internationale en faveur des océans et de l’application du Traité sur la haute mer.

Les océans sont essentiels et recouvrent tous les Objectifs de développement durable des Nations unies, et pas le seul Objectif 14 qui intègre la conservation des océans. L’Afrique et l’Europe ont tout à gagner d’un partenariat qui englobe l’économie bleue. Il faudra toutefois aller au-delà de la diplomatie des sommets pour en obtenir des résultats.

Les deux parties doivent partager les responsabilités et les bénéfices. Elles doivent faire preuve de transparence, reconnaître leurs forces et leurs faiblesses et se concentrer sur un avenir bleu qui soit synonyme de prospérité pour tous.

Denys Reva, chercheur, et David Willima, chargé de recherche, projet maritime, ISS Pretoria

Image : © Jana Telenska / Alamy Stock Photo

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