L'Afrique et la diplomatie des sommets : les puissances internationales jouent la carte de la séduction
Le véritable enjeu n’est pas tant de savoir si les sommets sont efficaces que de les rendre bénéfiques à l'Afrique.
Le prochain sommet Russie-Afrique, qui se tiendra en juillet, viendra s'ajouter à une longue liste de rencontres organisées par des grandes puissances dans le but de « se faire des amis et d’influencer les gens » en Afrique. Il fait suite au sommet des chefs d'État et de gouvernement des États-Unis et de l'Afrique de l'année dernière, au sommet Union européenne-Union africaine (UE-UA), à la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique et au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) de 2021.
Dans le sillage de la COVID-19, la « diplomatie des sommets » est devenue un outil essentiel de promotion des ambitions géopolitiques. Ces rencontres, bien que récentes, prennent de plus en plus d'importance à mesure que la concurrence entre les puissances mondiales s'intensifie. Mais au-delà du faste, de l'apparat et des relations publiques, est-ce qu'elles fonctionnent ?
Traditionnellement, les sommets étaient mal vus, critiqués pour leur manque de substance et leur tendance à perpétuer des dynamiques de pouvoir déséquilibrées. Cependant, on observe depuis quelque temps une tentative manifeste de sortir de leur superficialité et d'aboutir à quelque chose de plus tangible. Qu'est-ce qui motive ce changement ?
Le continent africain est devenu le théâtre d'une compétition géopolitique où les puissances mondiales promeuvent activement leurs visions de l'avenir. À mesure que cette « nouvelle guerre froide » s'intensifie — accélérée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie — les puissances internationales s'efforcent fébrilement de se constituer des alliés et de situer leurs adversaires.
En raison de son profil démographique, de ses ressources minières et de son intégration grandissante, l'Afrique représente désormais un bloc trop important et trop influent pour être négligé. Sachant que, probablement, d'ici 2050 une personne sur quatre dans le monde sera africaine, les grandes puissances sont conscientes de la nécessité de se rapprocher du continent. Les sommets servent à établir des relations, principalement pour renforcer la coopération économique et militaire.
Traditionnellement, les sommets étaient mal vus, critiqués pour leur manque de substance
Contrairement aux efforts diplomatiques habituels, les sommets brouillent les frontières entre le symbolique et le concret. Ils démontrent l'engagement d'un gouvernement à l'égard d'une question et contribuent à instaurer la confiance, élément essentiel dans la nouvelle guerre froide d'aujourd'hui.
Tout sommet efficace se concentre sur le message, le point de vue et la crédibilité. Généralement, cela se traduit par des engagements, de nouvelles initiatives et des déclarations sur l'ouverture d'un nouveau chapitre dans les relations avec l’Afrique. Les résolutions sont soigneusement formulées pour mettre en valeur l'avantage comparatif de chaque puissance mondiale, de sorte que les dirigeants africains se réjouissent de leur bienveillance.
Plusieurs exemples récents confirment cette tendance. Le sommet UE-UA a été marqué par un plan d'investissement majeur pour l'Afrique dans le cadre du projet européen Global Gateway. Le FOCAC, aussi impressionnant par son ampleur que par sa profondeur, a fait l'objet d'engagements importants en matière de vaccins et de financements en 2021. L'annonce d'un investissement de 55 milliards de dollars US en Afrique au cours des trois prochaines années a constitué le point d'orgue du sommet des chefs d'État et de gouvernements américano-africains.
Dans ce contexte de concurrence féroce, quels sont les objectifs poursuivis par les grandes et moyennes puissances mondiales ?
Les sommets servent à établir des relations et à renforcer la coopération économique et militaire
Face à la montée en puissance de l'alliance entre l’ours et le dragon, les pays occidentaux redoublent d'efforts pour préserver leur influence en Afrique. Les États-Unis mettent l'accent sur l'humilité et le partenariat, s'efforçant d'écouter plutôt que de faire la leçon. Ce changement, bien que bienvenu, n'a pas convaincu de nombreux dirigeants africains, qui craignent toujours d'être utilisés pour servir les intérêts américains.
L'UE, qui compte parmi ses principaux membres des pays qui souffrent encore de la gueule de bois coloniale, est confrontée à la nécessité de diversifier ses fournisseurs d'énergie et garde fermement dans sa ligne de mire le gaz africain. Paradoxalement, alors que l'Europe devrait profiter de la jeune main-d'œuvre africaine pour stimuler son économie, le flux migratoire africain est considéré comme politiquement indésirable.
Quant aux puissances émergentes que sont l'Inde, la Turquie et les États du Golfe, elles courtisent plus activement les pays africains. Leur influence dans les sphères commerciales et diplomatiques offre à l'Afrique des options autres que celles des grandes puissances. Elles ont également usé de la diplomatie des sommets, quoiqu’avec moins d'intensité. Le troisième sommet du partenariat Turquie-Afrique s'est tenu en 2021 et le dernier forum Inde-Afrique a eu lieu en 2015.
La stratégie de la Chine est attrayante en raison de sa politique de non-ingérence, même si les récentes controverses ont rendu nécessaire une offensive de charme pour rassurer les alliés africains. De son côté, la Russie profite de la méfiance persistante de l'Afrique à l'égard de l'ordre international pour renforcer son attrait. La promesse russe d'une participation égale et d'un leadership africain dans un nouvel ordre mondial multipolaire trouve un écho favorable sur le continent.
De plus, les États africains sont las des discours alarmistes de l'Occident à l'égard de la Russie et de la Chine. Ils estiment que les pays occidentaux sont davantage préoccupés par la lutte contre leurs rivaux que par les intérêts de l'Afrique.
Les États devraient utiliser les sommets pour exercer leur pouvoir de négociation collective
Les États africains préféreraient sans doute être des faiseurs de roi plutôt que de se retrouver coincés dans une autre guerre par procuration. Une approche intelligente consisterait à se mettre à équidistance de ces puissances pour en tirer le maximum d'avantages – donnant ainsi la priorité au pragmatisme et évitant de tomber dans l'idéologie et l'idéalisme. Cette approche a largement inspiré la neutralité de nombreux pays africains sur le conflit ukrainien.
Les grandes puissances internationales ont manifestement besoin d'asseoir leur influence par le biais des sommets, mais qu'est-ce que l'Afrique y gagne ?
Pour tirer parti de cette situation, les États africains devront définir leurs positions et leurs besoins collectifs. Pour ce faire, ils devront mener des négociations intelligentes dans l'intérêt du continent. Les chefs d'État et les hauts fonctionnaires ne doivent pas participer aveuglément à des sommets sans ordre du jour précis. Cette critique a déjà été formulée, notamment lors du FOCAC, où l'on a souligné la nécessité pour l'Afrique d'être plus proactive et de négocier en position de force.
Bien évidemment, c'est plus facile à dire qu'à faire. La création d'un consensus entre 55 nations est « alambiquée, politiquement stressante et difficile », note Bankole Adeoye dans son analyse des positions africaines communes de l'UA. Un manque de capacité institutionnelle, de ressources et d'appropriation étouffe les progrès. Bien que le remède soit clair (plus de communication, de consultation et de coordination) la complexité de la situation fait que les progrès seront lents.
Toutefois, cette situation est peut-être en train de changer. Lors du sommet UE-UA de l'année dernière, un rééquilibrage de la dynamique du pouvoir était évident. L'approche résolue de l'Afrique peut être attribuée à l'absence d'autorité morale de l'UE en ce qui concerne les stocks de vaccins, les interdictions de voyager et la politique de deux poids deux mesures en matière de décarbonation. En outre, avec davantage de partenaires stratégiques, l'Afrique dispose désormais d'options. Le plus important cependant est d'avoir une stratégie panafricaine solide et coordonnée.
Ce dernier point a été souligné par des experts africains, dont le professeur David Luke de l'Institut Firoz Lalji pour l'Afrique de la London School of Economics and Political Science. Cette approche permettrait de contrer les stratégies « diviser pour mieux régner » que les grandes puissances utiliseront probablement à l'égard des différents pays africains.
En outre, les pays africains doivent mettre en place des mécanismes de suivi des avancées par rapport aux engagements pris lors des sommets. Une stratégie continentale cohérente à l'égard des principaux partenaires extérieurs est nécessaire, et les principaux pays africains doivent se faire les champions de telles initiatives. Il est essentiel d'obtenir un soutien collectif pour éviter l'exploitation et obtenir des résultats tangibles.
En dépit de conditions économiques défavorables, les acteurs africains sont de plus en plus convaincus de ce qu'ils ont à offrir au monde et peuvent compter sur un large éventail de prétendants. La combinaison des chocs externes, des doubles standards et d'intérêts personnels dont ont fait preuve certains partenaires renforce l'idée que l'Afrique doit viser sa propre autonomie stratégique.
La question n'est donc pas de savoir si les sommets sont efficaces, mais comment les mettre au service de l'Afrique. Les chefs d'État et de gouvernement du continent devraient les utiliser pour contourner les complexités des relations internationales et exercer leur pouvoir de négociation dans une nouvelle ère de multilatéralisme. Si ces sommets contribuent à attirer les investissements et à diversifier les économies et les partenaires de développement, ils peuvent être d'une grande utilité.
Ronak Gopaldas, Consultant ISS, directeur de Signal Risk et professeur au Gordon Institute of Business Science
Image : © Alamy Stock Photo
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