L'Afrique profite-t-elle de l'accord historique de l'OMC sur les subventions à la pêche ?

Bien que le nouvel accord soit novateur, il reste des lacunes qui menacent les ambitions du continent concernant l’économie bleue.

Après 21 ans de pourparlers, un accord a été conclu pour interdire les subventions nuisibles  à la pêche, un facteur majeur dans le pillage des stocks mondiaux de poissons. Cela pourrait être une avancée majeure pour l’Afrique où le secteur de la pêche, qui fournit des moyens de subsistance et la sécurité alimentaire à plus de 400 millions de personnes, est vulnérable à l’exploitation.

Selon la Banque africaine de développement, environ sept millions de tonnes de poissons sont capturés en Afrique chaque année. Les projections de croissance démographique indiquent que l’approvisionnement en poisson doit atteindre 13 millions de tonnes d’ici 2030 pour nourrir 1,7 milliard de personnes, et 19 millions de tonnes d’ici 2050 pour en nourrir 2,5 milliards. Cependant, les États côtiers ne capturent pas suffisamment de poisson pour répondre aux besoins de l’Afrique. Au moins 35 pays du continent fonctionnent avec un déficit de production de poisson et sont fortement dépendants des importations.

Alors que la demande mondiale de poisson devrait augmenter de 30 % d'ici 2030, le secteur est confronté à d'énormes pressions qui nécessitent des réponses urgentes et mondiales. L’une de ces réponses est l’adoption, le 17 juin, de l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les subventions à la pêche. Il incite les pays africains à donner la priorité à la gouvernance des pêches, à la gouvernance durable des océans et à la sécurité alimentaire pour une population qui croît rapidement.  

Cependant, pour que cet accord historique fonctionne pour l’Afrique, la capacité des gouvernements à contrôler et à surveiller les activités de pêche dans leurs eaux devra être considérablement renforcée. Et la coopération entre les services responsables de la gestion des pêches doit s’améliorer.

La capacité de l'Afrique à contrôler et surveiller les activités de pêche dans ses eaux doit être considérablement renforcée

À mesure que l’exploitation des ressources marines augmente, les stocks de poissons sont menacés d’effondrement dans plusieurs régions du monde. De nombreux gouvernements subventionnent des flottes de pêche industrielles non rentables pour couvrir la hausse des coûts de pêche et la demande croissante des consommateurs. L’OMC estime que les subventions mondiales à la pêche varient de 14 à 54 milliards de dollars US par an.

Toutes les subventions ne sont pas défavorables, et la suppression des soutiens financiers publics aux pêcheurs artisanaux dans la plupart des pays africains ferait plus de mal que l’élimination de la pêche illégale. On doit mettre un frein aux subventions qui permettent le pillage à grande échelle des stocks de poissons. Comme, par exemple, le financement de navires dotés d’équipements sophistiqués qui leur permettent de faire des captures importantes tout en opérant loin de leurs ports et marchés d’origine.

Ces approches non durables exacerbent l’insécurité en Afrique, en particulier dans les communautés côtières. Avec une valeur estimée à 24 milliards de dollars et fournissant des emplois à plus de 12 millions de personnes, l’industrie de la pêche est essentielle à la vision de l’économie bleue du continent et à la stratégie africaine de l’économie bleue de l’Union africaine.

La lutte contre les subventions nuisibles à la pêche est l’un des objectifs de développement durable des Nations unies. La directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, déclare que c’est la première fois que les membres de l’OMC « concluent un accord centré sur la durabilité environnementale ».

Le nouvel accord de l'OMC n'interdit pas purement et simplement les subventions nuisibles à la pêche

L’accord porte sur trois aspects des subventions nuisibles. Premièrement, il interdit les subventions à la pêche des stocks surexploités. Cela devrait soutenir les efforts de conservation dans les États côtiers, en particulier là où la gouvernance maritime est médiocre. Deuxièmement, il interdit de subventionner la pêche en haute mer dans les zones non couvertes par les organisations régionales de gestion des pêches. Cela vise à protéger les grands stocks de poissons les plus recherchés, qui migrent à l’intérieur et à l’extérieur de la juridiction de plusieurs États dont la capacité d’application peut être variable et inexistante.

Enfin, l’accord interdit les subventions aux navires de pêche et aux opérateurs engagés dans la pêche illégale, non déclarée et non réglementée. Lorsque les négociations ont commencé en 2001, il était entendu que les subventions contribuaient à la surpêche et étaient liées à l’augmentation de la pêche illégale. En Afrique de l’Ouest, les recherches montrent que les flottes industrielles de longue distance, qui sont les principales bénéficiaires des subventions, sont également les grandes coupables de la surpêche.

L’accord oblige les pays à cesser, de manière temporaire, de subventionner un navire ou un opérateur si un État côtier, un État du pavillon ou une organisation régionale de gestion des pêches détermine qu’il s’est livré à la pêche illégale. L’État qui subventionne déterminera la durée de l’interdiction en fonction de la nature, de la gravité et de la répétition de l’infraction.

L’efficacité de l’accord repose sur plusieurs enjeux. S’il restreint l’utilisation des subventions et prévoit des conditions pour leur retrait, l’accord de l’OMC n’interdit pas purement et simplement les subventions nuisibles. Les progrès dépendront de la volonté des États subventionnaires de travailler avec les États côtiers pour lutter contre la pêche illégale. Il s’agit d’un risque étant donné que plusieurs États subventionnaires ignorent les activités nuisibles attribuées aux flottes de pêche, aux pavillons et aux équipages de leur pays.

L'efficacité de l'accord dépend de la volonté des États subventionnaires de travailler avec les États côtiers

Le système de règlement des différends de l’OMC sera le principal moyen d’appliquer l’accord si les États côtiers et les États subventionnaires devaient s’affronter. Mais le système peut être difficile à utiliser efficacement pour les pays en développement car ils n’ont pas le pouvoir de négociation ni les ressources des pays plus puissants.

Le manque de transparence dans le secteur de la pêche représente un autre problème – un facteur majeur de la pêche illégale. Par exemple, dans le cadre de ses efforts de partenariat pour une pêche durable, l’Union européenne (UE) a négocié de nombreux accords avec des États non membres de l’UE. Mais bien que ces accords soient ancrés dans la durabilité, ils ont été critiqués pour les lacunes qui permettent aux propriétaires de navires de l’UE de ne pas apparaître et d’éviter toute responsabilité.

Pour prévenir la pêche illégale, les instruments mondiaux tels que le Plan d’action international visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée doivent être renforcés. Le plan ne détermine pas de sanctions, mais les pays en appliquent. Cela suggère que la pêche illégale devrait être réglementée comme une question administrative plutôt que pénale.

La capacité des gouvernements africains à effectuer des patrouilles et des inspections en mer doit également être soutenue. Compte tenu de la rareté des ressources, des recherches sont nécessaires pour orienter les politiques de gestion des pêches, notamment en ce qui concerne le déploiement des navires de patrouille. Il est également essentiel de renforcer les capacités et la formation pour  collecter les preuves et détecter les contrevenants. Si cela s'accompagne d'une plus grande transparence internationale sur les données de pêche, alors ces pays pourraient mieux utiliser leurs moyens de patrouille limités.

Bien souvent, les pays africains ont du mal à rentabiliser leur activité de pêche commerciale. Ils peuvent utiliser les dispositions de l'accord de l'OMC relatives au traitement spécial pour négocier un soutien en faveur du développement de la pêche à petite échelle et de l'autonomisation des communautés locales de pêcheurs. L'OMC dispose d'un fonds de roulement de 20 millions de dollars US pour aider les pays en développement à améliorer leurs capacités et leurs compétences de gestion pour une gouvernance durable de la pêche.

Le nouvel accord sur les subventions est une réussite notable, mais dans l’immédiat il n'aidera pas les pays africains à effectuer des patrouilles efficaces dans leurs zones économiques exclusives et à empêcher le pillage des stocks de poissons. Il vient toutefois renforcer les efforts multilatéraux  de lutte contre la pêche illégale qui menace la sécurité humaine actuelle et future des Africains.

Timothy Walker, chef de projet et chercheur principal, Denys Reva, chercheur et David Willima, chargé de recherche, secteur maritime, ISS Pretoria

Image : ©WTO/Jay Louvion

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