Le terrorisme en Côte d’Ivoire ne relève plus seulement d’une menace extérieure
Les récentes attaques soulignent la nécessité pour les autorités de faire face aux facteurs de vulnérabilités internes.
Au cours des trois derniers mois, plusieurs attaques survenues en Côte d’Ivoire, le long de la frontière avec le Burkina, ont coûté la vie à au moins six militaires ivoiriens et blessé au moins cinq autres. Ces incidents témoignent de l’expansion du spectre de l’extrémisme violent qui plane sur le pays.
Les autorités ivoiriennes attribuent ces attaques à un groupe lié à la Katiba Macina, affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
Dans la nuit du 7 juin 2021, la localité de Tougbo (voir carte) a été attaquée. Un mois plus tôt, des individus armés ont envahi la localité de Bolé et accusé des personnes d’être des informateurs des forces de sécurité nationales. Fin mars, une position des forces armées ivoiriennes à Kafolo et un poste de gendarmerie à Kolobougou ont été la cible d’attaques armées.
Le 1er avril, un véhicule a heurté un engin explosif improvisé sur la route entre Nassian et Kafolo. Il s’agit de la première fois qu’un incident de cette nature est rapporté dans le pays. Le 12 avril, une attaque similaire a été perpétrée sur le même tronçon contre un véhicule de liaison de la gendarmerie nationale.
Incidents attribués à des groupes extrémistes violents en Côte d'Ivoire (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
|
Ces incidents ne sont pas exhaustifs et ne constituent probablement que les manifestations les plus apparentes de la menace. Bien que leur nombre soit relativement peu élevé, pour l’heure, ils traduisent la volonté et la capacité des groupes extrémistes à porter la lutte armée sur le territoire ivoirien.
La Côte d’Ivoire doit se préparer à voir ses forces de défense et de sécurité subir des attaques sporadiques et la population subir des actes d’intimidation, voire de représailles contre les civils suspectés de collaborer avec elles. Les communautés qui résistent ou s’opposent aux activités et aux efforts d’implantation des groupes extrémistes seront également susceptibles de devenir des cibles.
La menace que représente l’extrémisme violent pour la Côte d’Ivoire est largement perçue comme extérieure. Les attaques seraient menées par des individus provenant du Burkina qui opèrent dans la zone frontalière aux deux pays, profitant de sa porosité. Cependant, des incidents enregistrés à des dizaines de kilomètres de la frontière suggèrent la présence sur le territoire ivoirien d’individus liés aux groupes extrémistes.
Certains, parfois originaires de pays voisins, sont suspectés d’apporter aux groupes une assistance, en termes d’informations, de logistique et de ressources financières. Il s’agit de personnes bien insérées dans le tissu socioéconomique qui, souvent, sont installées dans le pays depuis des années.
Les extrémistes profitent des vulnérabilités telles que les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs
Les autorités ivoiriennes doivent éviter l’erreur de ne considérer la menace que sous l’angle d’une contagion extérieure, comme d’autres pays de la région ont pu le faire. L’extrémisme violent résulte généralement de la combinaison de facteurs externes et de dynamiques internes. Les groupes extrémistes exploitent les vulnérabilités telles que les conflits locaux, les déficits de gouvernance, les défaillances des systèmes de sécurité et les activités illicites, au bénéfice de leurs stratégies d’implantation, de recrutement et de financement.
Le nord de la Côte d’Ivoire n’est pas exempt de ces vulnérabilités. Les conflits récurrents entre éleveurs et agriculteurs autour de l’accès aux pâturages et à l’eau, ainsi que les ressentiments que nourrissent certains anciens combattants qui estiment ne pas avoir bénéficié des programmes de réinsertion sont au nombre des facteurs de risque.
Les groupes extrémistes tirent également avantage des conditions de vie difficiles des populations des zones frontalières. Ils recrutent en promettant des gains financiers et matériels et en permettant la conduite d’activités illicites telles que le braconnage et l’orpaillage, en échange de services de protection.
Afin d’empêcher les groupes extrémistes de s’ancrer en Côte d’Ivoire, il est notamment nécessaire d’œuvrer au renforcement de la cohésion au sein et entre les communautés. Les mécanismes de prévention et de gestion des conflits locaux doivent être renforcés, que ce soit par le biais de l’action des chefferies, de la gendarmerie ou de la justice. En outre, les relations entre populations et représentants de l’État doivent être améliorées.
Les attaques ne devraient pas être la seule mesure de la menace extrémiste violente à laquelle la Côte d'Ivoire est confrontée
La menace de l’extrémisme violent ne doit pas être appréhendée sous le prisme unique des attaques. Les groupes extrémistes pourraient notamment utiliser la Côte d’Ivoire comme une source de financement et d’approvisionnement (en moyens de subsistance et opérationnels), ainsi qu’un lieu de recrutement. Des efforts seraient alors nécessaires afin de briser les chaînes d’approvisionnement et priver les groupes de ces ressources.
Les activités telles que l’orpaillage clandestin, la vente de bétail volé, la contrebande de motos volées et le banditisme ordinaire (notamment le phénomène des coupeurs de route), qui ont cours dans le nord du pays méritent une attention particulière. Une action efficace sur ces dernières contribuerait à juguler la capacité des groupes extrémistes à poursuivre leurs objectifs.
Les autorités ivoiriennes ont pris conscience de la menace terroriste et plusieurs mesures ont été adoptées au cours des six dernières années, notamment sur le plan sécuritaire. Les effectifs militaires ont été renforcés dans le nord du pays à la suite de la première attaque à Kafolo en juin 2020. En avril 2021, la lutte contre le « terrorisme transfrontalier » a été définie comme une des priorités du gouvernement pour la même année. Il reste maintenant à voir comment cela se traduira concrètement dans les faits.
La capacité de la Côte d’Ivoire à contenir une expansion de l’extrémisme violent sera tributaire de l’action du Burkina et du Mali dans leurs zones frontalières respectives. Une meilleure coopération en matière de sécurité et de gestion des frontières avec ces pays, ainsi qu’avec le Ghana, sera déterminante pour contenir la menace.
Les autorités ivoiriennes doivent aussi gagner le cœur de leurs propres communautés frontalières, qui se sentent souvent négligées. Les populations frontalières endurent des conditions de vie déplorables et manquent de services de santé et d'éducation, mais aussi de sécurité et d'opportunités économiques. L'amélioration de leurs conditions de vie contribuera à réaffirmer l’utilité et l'autorité de l'État.
La capacité de la Côte d'Ivoire à endiguer le terrorisme dépend des actions du Burkina et du Mali dans les zones frontalières
Les communautés impactées doivent en outre être impliquées dans la recherche de solutions pour contenir la menace de l’extrémisme violent. Les autorités doivent prendre en compte les contraintes auxquelles ces populations sont confrontées, notamment le risque de se retrouver prises entre les actions des forces de sécurité d'une part et des extrémistes de l'autre.
Bien que n’étant pas inéluctables, les possibilités que la menace emprunte la même trajectoire que dans d’autres pays de la région, tels que le Burkina, ne doivent pas être sous-estimées.
William Assanvo, chercheur principal, Bureau régional pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Abidjan
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds britannique pour la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité et de l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA).
En Afrique du Sud, le quotidien Daily Maverick jouit des droits exclusifs de publication des articles ISS Today. Pour les médias hors d’Afrique du Sud et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.