Le soutien de la CEDEAO est crucial pour une transition apaisée en Guinée

Si rétablir un gouvernement civil au Niger est important, les transitions au Burkina Faso, au Mali et en Guinée le sont tout autant.

Alors que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’attèle à rétablir l’ordre constitutionnel au Niger suite au coup d’État du 26 juillet contre le président Mohamed Bazoum, elle doit garder à l’esprit l’urgence des transitions en cours, au Burkina, au Mali et en Guinée.

La conférence des Chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, tenue le 9 juillet, à Bissau a évoqué la difficulté des médiateurs à coopérer avec les autorités de la transition. Ils avaient appelé à une « réévaluation des efforts de médiation » et mandaté le président Patrice Talon du Bénin pour renouer le dialogue entre la CEDEAO et les pays concernés.

Si au Burkina et au Mali, le respect de la durée des transitions semble compromis, en Guinée, les autorités de la transition ont réaffirmé, le 29 septembre, leur engagement à respecter le délai de 24 mois conclu avec la CEDEAO. Les dissensions entre les autorités de la transition et certaines parties prenantes pourraient toutefois compromettre les efforts de stabilisation à long terme.

Deux ans après l’arrivée au pouvoir, le 5 septembre 2021, du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), les Forces vives de la Guinée (FVG), constituées des principaux partis politiques et organisations de la société civile, ont organisé, une manifestation pour réclamer une « transition inclusive ».

Certaines actions ont renforcé la perception d'un régime désireux de faire taire toute voix discordante

Elles ont également réclamé une lisibilité des actions prévues pour le retour à l’ordre constitutionnel conformément à l’accord-cadre et au chronogramme convenu entre la CEDEAO et les autorités de la transition. Cet accord conclu en décembre 2022, prévoit une transition de 24 mois articulée autour d’un chronogramme de dix points dont la mise en œuvre permettrait à la Guinée de rétablir l’ordre constitutionnel et de s'engager sur la voie de la stabilité.

Les promesses des autorités de la transition de respecter le chronogramme et de ne pas participer aux prochaines élections conformément à la charte de la transition, ne suffisent pas à dissiper les craintes des FVG quant à un glissement du calendrier.

Plusieurs sources d’inquiétude demeurent. La première est liée à la perception des membres des FVG de l’utilité et de l’opportunité des deux premiers points du chronogramme : le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) et le recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC). Le RGPH servira à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et programmes de développement économique et social tandis que le RAVEC permettra de générer un registre d'état civil informatisé fiable sur la base duquel un nouveau fichier électoral serait constitué.

Alors que les autorités de la transition préconisent la tenue de ces opérations avant le début du processus électoral, plusieurs forces politiques appellent à une révision du registre existant.

Une rupture du dialogue entre le FVG et les autorités de transition crée des tensions politiques

L’organisation d’un référendum constitutionnel et d’élections locales, législatives et présidentielles d’ici la fin de la transition est source de discordes. Au-delà des difficultés techniques et opérationnelles y afférentes, l’idée de confier l’organisation des élections au Ministère de l'administration des territoires et de la décentralisation est perçue comme un recul pour les acteurs politiques et de la société civile. Pour plus de transparence, ils recommandent qu'une commission électorale indépendante et impartiale organisent les scrutins.

La rupture du dialogue entre les FVG et les autorités de la transition risque à court terme de crisper l’atmosphère politique. Les principaux membres des FVG étaient absents du dialogue initié en 2022. Les autorités par le biais de la Primature et avec l’appui de trois facilitatrices et de chefs religieux ont tenté de réconcilier les différentes positions.

Elles ont également procédé à la levée des contrôles judiciaires sur plusieurs dirigeants politiques des FVG ainsi qu’à la libération des leaders du Front national pour la défense de la constitution (FNDC).

Toutefois,  plusieurs actions initiées par les autorités ont alimenté la perception de certains acteurs politiques d’un régime voulant faire taire toutes les voix discordantes. Par exemple, la Cour de répression des infractions économiques et financières est vu comme un outil de répression visant à neutraliser les rivaux du CNRD. Créée en décembre 2021, la CRIEF entend lutter contre le détournement de deniers publics, la corruption, le blanchiment de capitaux.

La CEDEAO n'a pas encore confirmé les dates d’arrivée du comité technique et de la mission de haut niveau

L’une des principales revendications des FVG est le retour au pays de Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo, figures importantes de la classe politique, respectivement basées à Abidjan et Dakar. Elles appellent aussi à la libération d’anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé détenus par cette Cour.

Enfin, pour plusieurs parties prenantes interrogées par l'ISS, le budget d’environ 600 millions de dollars US prévu pour le processus de transition entrave le soutien des partenaires internationaux. Certains ont réclamé un détail de chaque ligne budgétaire du chronogramme afin de déterminer les aspects de la transition qu'ils pourraient financer. Jusqu'à présent, seuls environ 40 millions de dollars ont été mobilisés. Le défaut de financements constitue un risque pour le respect de sa durée.

L’arrivée annoncée à Conakry d’un comité technique de la CEDEAO chargé d’évaluer l’état de mise en œuvre du chronogramme, et d’appuyer les autorités dans le travail d’évaluation et de détails de chaque ligne budgétaire permettrait d'accélérer la transition. De ce travail pourrait découler le resserrage ou non du chronogramme.

Des membres des FVG appellent à une révision du chronogramme. Celle-ci éliminerait les recensements, aboutirait au couplage des élections législatives et présidentielles ou permettrait à la prochaine équipe dirigeante civile d’organiser les locales.

À ce jour, aucune date n’a été communiquée sur l’arrivée de la mission technique d’évaluation du chronogramme, ni même celle de la mission de haut niveau. Or, l’implication de la CEDEAO dans le processus de transition est plus que nécessaire au vu de la rupture du dialogue entre les autorités de la transition et une bonne frange de la classe politique.

La CEDEAO devrait accentuer ses efforts pour restaurer la confiance entre les acteurs et établir un cadre inclusif et consensuel, unique gage d’une transition apaisée en Guinée.

Paulin Maurice Toupane, chercheur principal, et Aïssatou Kanté, chercheuse, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar

Image : © AFP

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Cet article fait partie d'une série sur la prévention des prochains coups d'État en Afrique de l'Ouest et au Sahel. La recherche qui sous-tend cet article a été financée par Irish Aid et la Fondation Bosch. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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