La transition militaire en cours en Guinée pourrait-elle être la dernière ?

Avec un chronogramme basé sur des résultats dont les autorités seraient comptables, la plan d’action de la transition pourrait apporter réformes et stabilité.

Des militaires ont renversé le régime d'Alpha Condé le 5 septembre 2021, moins d'un an après que l'ancien président guinéen ait entamé un troisième mandat controversé.

En réaction, la Guinée a été suspendue des organes de décision de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de l'Union africaine (UA) qui ont exigé qu'un chronogramme de transition « raisonnable » soit adopté. Plus d'une année plus tard, les autorités guinéennes et la CEDEAO se sont mises d'accord sur une période de transition de 24 mois débutant en décembre 2022.

Dès le 16 septembre 2021, soit deux semaines après le coup d'État, la CEDEAO avait proposé un calendrier de transition de six mois, jugé irréaliste par la plupart des Guinéens. Le problème majeur était qu’il se concentrait sur un seul élément du processus de transition, à savoir la tenue des élections.

En revanche, la nouvelle approche qui a conduit à l'accord d'octobre 2022 proposait d’établir un plan d'action et un calendrier de mise en œuvre permettant de mener certaines actions de façon parallèlement. Cette approche a facilité l'adoption d'un chronogramme de transition axé sur les résultats et d’un plan d’action qui peuvent aisément faire l’objet d’un suivi.

Selon certains politiques, la transition devrait se concentrer seulement sur les actions indispensables au retour à l'ordre constitutionnel

Le chronogramme de transition contient dix éléments essentiels que les autorités considèrent comme nécessaires pour entreprendre des réformes sociopolitiques profondes. Il s'agit notamment de la réalisation de deux types de recensement de la population, de la préparation du fichier électoral, de l'élaboration d'une nouvelle constitution, de la mise en place d'un organe de gestion des élections et de l'organisation d'élections (référendaires, locales, législatives et présidentielles).

Cependant, certains acteurs politiques soutiennent que la transition devrait se concentrer uniquement sur les actions nécessaires au retour à l'ordre constitutionnel. Ils craignent que certains éléments du chronogramme ne prolongent la période de transition.

Pour rassurer les sceptiques, le président de la transition, le colonel Mamady Doumbouya, s'est engagé solennellement à respecter le chronogramme. Le 9 février, il a établi par décret un comité de suivi et d'évaluation du chronogramme sous l'autorité du Premier ministre Bernard Gomou. Mais ce comité semble avoir été mis en place unilatéralement, sans consultation avec la CEDEAO, ce qui parait être contraire à l'esprit de l'accord d'octobre 2022.

Le représentant de la CEDEAO au sein du comité est traité comme un simple observateur, à l’instar d’autres acteurs internationaux présents à Conakry. Pourtant, une représentation de la CEDEAO en tant que membre à part entière du comité respecterait non seulement l'esprit de l'accord d'octobre, mais serait de nature à renforcer la confiance des acteurs politiques.

Le président Mamady Doumbouya s'est engagé à respecter le chronogramme de la transition

Trois éléments importants du chronogramme de la transition méritent d'être soulignés. Le premier est la nouvelle constitution, qui devrait définir le choix des institutions, les contrepouvoirs ainsi que les mécanismes de redevabilité et les garanties juridiques pour les protéger. Dans la Constitution controversée de 2020 adoptée par Condé, le processus de sélection des membres de la Cour constitutionnelle conférait au président des pouvoirs disproportionnés, ce qui rendait cet organe judiciaire essentiel vulnérable à l'ingérence politique.

La question de limitation des mandats présidentiels et les garde-fous pour éviter son tripatouillage seront également définies dans la constitution, de même que les pouvoirs du Parlement et ses relations avec l'exécutif. Cependant, il convient de rappeler que s’il est vrai que les constitutions fournissent des orientations juridiques, elles ne peuvent pas délimiter entièrement le comportement des acteurs politiques. À cet égard, la volonté politique et l'attitude des dirigeants sont aussi importantes pour garantir la bonne gouvernance.

La Guinée a beaucoup souffert de la mauvaise gouvernance par des politiciens corrompus et avides de pouvoir. Par conséquent, la moralisation de la vie politique sera cruciale pour l’émergence et l’avènement de dirigeants post-transition plus soucieux de l’intérêt national et respectueux de l’éthique d’une gouvernance saine et responsable.

Une deuxième question importante du plan d’action de la transition est celle de l'organe de gestion des élections. Depuis leur création au milieu des années 2000, les commissions électorales successives ont été composées de membres des partis politiques et de quelques représentants de la société civile. Mais les commissaires partisans ont souvent transposé au sein de la commission les rivalités politiques de leurs mandants, affectant l’objectivité de la commission. De nombreux observateurs appellent aujourd’hui à la mise en place d'une commission non partisane dont les membres seraient choisis pour leur expertise technique et leur impartialité, et non pour leur appartenance politique.

Le gouvernement de transition a déjà prévu des lignes budgétaires pour certains éléments du plan d’action de la transition

Le fichier électoral est le troisième élément majeur du Plan d’action de la transition qu’il convient de souligner. Sa qualité et son caractère inclusif seront essentiels pour que les résultats des futures élections soient jugés acceptables.

Le contexte dans lequel le chronogramme de la transition est mis en œuvre est également important. Aucun effort ne doit être épargné pour que le processus de transition soit aussi largement inclusif que possible. Des ressources financières et techniques sont également nécessaires, et il est encourageant de constater que le gouvernement de transition a déjà prévu des lignes budgétaires pour certains des dix éléments du plan d’action de la transition. Mais des fonds supplémentaires seront indispensables.

Certains partenaires bilatéraux et multilatéraux de la Guinée semblent être disposés à apporter leur contribution. Mais ils souhaitent voir le plan d’action décliné en activités spécifiques, avec des lignes budgétaires précises. Dans ce plan détaillé, les autorités de la transition devraient indiquer les ressources qu'elles peuvent mobiliser et les lacunes à combler. La CEDEAO et l'UA devraient également apporter des fonds pour démontrer l'appropriation régionale du soutien au processus de transition.

Pour éviter les tensions qui pourraient compromettre le processus, le dialogue doit être continu avec toutes les parties prenantes sur les aspects importants du chronogramme de la transition. Les procédures légales doivent également être respectées. Le président de la transition, le premier ministre, les chefs religieux et le médiateur de la CEDEAO peuvent tous contribuer à prévenir et à gérer les tensions. Les politiques doivent également placer l'intérêt national au-dessus des considérations partisanes et personnelles.

Issaka K Souaré, Conseiller régional, Bureau de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © Cellou Binani/AFP

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Cet article fait partie d'une série d’analyses sur la nécessité de prévenir les coups d'État en Afrique de l'Ouest et au Sahel. La recherche pour ce travail bénéficie du soutien d’Irish Aid. L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, des Pays-Bas, et de la Suède.
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