Référendum constitutionnel au Mali : quels enseignements pour la poursuite de la transition ?
La gestion de la période post-référendum est un défi pour les autorités de la transition.
Publié le 24 juillet 2023 dans
ISS Today
Par
Djiby Sow
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Hassane Koné
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Le 21 juillet 2023, la Cour constitutionnelle du Mali a confirmé la victoire du « oui » au référendum constitutionnel du 18 juin 2023 par 96,91%. Les Maliens approuvent ainsi la nouvelle constitution rédigée par une commission créée par décret le 10 juin 2022.
L’adoption de cette nouvelle constitution marque une étape clé du chronogramme de sortie de crise convenu avec la CEDEAO. Elle fait suite à deux tentatives infructueuses de révision de l’ancienne constitution datant de 1992, sous les présidences d’Amadou Toumani Touré (2012) et de Ibrahim Boubacar Keïta (2017).L’élaboration du projet de constitution avait été décidée par les autorités de la transition, en application d’une recommandation des Assises nationales de la Refondation (ANR), tenues du 11 au 30 décembre 2021.
Le principe même de la refonte de la constitution durant la transition a toutefois été contesté dès le départ par une partie des acteurs maliens. Réunis au sein de la coordination dénommée « Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali », douze partis politiques, regroupements et organisations de la société civile avaient estimé qu’étant non élu, le président de la transition, colonel Assimi Goita, n’avait aucun mandat pour modifier la constitution en vigueur, ou doter le pays d’une nouvelle constitution.
La Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l'Imam Mahmoud Dicko et la ligue malienne des imams et savants pour la solidarité islamique (LIMAMA) s’étaient aussi opposées au projet de constitution en raison du maintien du principe de laïcité de l'État dans le texte, préférant l'expression « État multiconfessionnel ».
Le remaniement ministériel du président Goïta a maintenu les militaires et écarté les partis politiques
Le principal enjeu du référendum - premier test électoral pour les militaires - était le taux de participation, qui a été confirmé à 38,23% par la cour constitutionnelle, tandis qu’il avait été estimé à 28% par la Mission d’observation des élections du Mali (Modele-Mali). Au-delà de l’écart significatif, ces deux chiffres indiquent que l’engouement espéré par les autorités n’a pas eu lieu.
À cela s’ajoute le fait que le vote n’a pu être organisé sur l’ensemble du territoire national et particulièrement à Kidal, bastion des anciens rebelles de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA). Opposés à cette réforme constitutionnelle, les groupes signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation ont officiellement récusé le projet de loi fondamental au motif que des points essentiels de cet accord n'ont pas été pris en compte.
La régularité du scrutin a par ailleurs été vivement contestée. Selon divers observateurs indépendants, le vote a été émaillé d’incidents dans plusieurs localités du centre et du nord. Au sud, les mouvements politiques et les organisations de la société civile regroupés au sein du Front uni contre le référendum ont dénoncé des fraudes massives. Le Parena a notamment rejeté les résultats et plusieurs recours ont été déposés devant la Cour constitutionnelle chargée de proclamer les résultats officiels.
Pièce maîtresse du projet de refondation du Mali porté par le gouvernement de transition, la nouvelle constitution coalise donc contre elle des forces politiques d’opposition, incluant les groupes armés signataires, des coalitions de partis politiques et d’organisations de la société civile, mais aussi des mouvements religieux. Elle accentue ce faisant la fragmentation politique des soutiens de la transition.
La promulgation de la nouvelle constitution sera sans doute suivie de protestations
L’annonce des résultats provisoires du référendum du 18 juin était intervenue à un moment charnière pour le pays tant sur le plan politique que sécuritaire, avec l’annonce inattendue, le 30 juin, du retrait du consentement du Mali à la MINUSMA.
La ferme opposition des groupes signataires et de certains partis politiques au retrait de la mission onusienne souligne également que le processus décisionnel n’a pas tenu compte de l’avis de toutes les parties prenantes. Dix ans après le début de la crise, le pays demeure divisé sur les solutions à apporter à la crise politique et sécuritaire.
Conforté par les résultats provisoires, le président Goïta avait procédé, le 1er juillet 2023, à un remaniement ministériel partiel. Tous les militaires et alliés, piliers de la transition, ont été maintenus au sein de l’équipe gouvernementale. Cependant, les représentants des partis politiques traditionnels, ainsi que la plupart des ministres affiliés au Mouvement du 5 juin (M5-RFP) du premier ministre Choguel Maïga n’ont pas été reconduits. Pourtant, les enseignements politiques du référendum et son issue militaient en faveur de plus de compromis politique et d’inclusivité.
Ce contexte, caractérisé par l’absence de consensus, pourrait être source de tensions politiques accrues d’ici la fin de la transition prévue en mars 2024.
Les autorités doivent favoriser une gouvernance inclusive et améliorer le processus électoral
La confirmation de la victoire du « oui » et la promulgation de la nouvelle constitution seront vraisemblablement suivies de protestations, notamment du Front uni contre le référendum. Ce regroupement, composé de la coordination de l’Appel du 20 février, de la Codem (convergence pour le développement du Mali, et de l'Alliance pour la solidarité au Mali-Convergence des forces patriotiques (ASMA-CFP), avait, dès le 26 juin 2023, demandé l’annulation des résultats provisoires.
Les principaux partis politiques traditionnels que sont l’ADEMA (Alliance pour la démocratie au Mali), le RPM (Rassemblement pour le Mali) et l’URD (Union pour la république et la démocratie), qui avaient jusqu’à présent opté pour l'accompagnement de la transition afin de ne pas compromettre leurs chances à la présidentielle de mars 2024, pourraient également s’engager dans la voie de contestation.
Pour éviter le risque d’une crise politique à cette période décisive de la transition, les autorités devraient privilégier une gouvernance aussi inclusive que possible, en association avec les divers acteurs politiques du pays et ceux de la société civile. La préservation d'un climat apaisé est nécessaire à la poursuite des échéances devant non seulement permettre le retour à l’ordre constitutionnel, mais aussi créer les conditions de la stabilité du Mali à moyen et long termes.
Le gouvernement de transition devrait ainsi mettre à profit les huit mois à venir afin de créer les conditions d’un dialogue constructif avec tous ces acteurs et d’initier, sur une base consensuelle, les réformes structurelles souhaitées par les populations maliennes en matière de gouvernance économique et politique, maintes fois exprimés lors des processus consultatifs menés au cours des dernières années. À cet égard, les défis associés à l’organisation du référendum mettent notamment en lumière la nécessité de poursuivre l’amélioration du processus électoral.
C’est à cette condition que se bâtiront la légitimité des réalisations auxquelles aboutira la transition actuelle et la pérennité des différentes réformes qui auront été mises en œuvre dans son cadre.
Hassane Koné, chercheur principal et Djiby Sow, chercheur principal, bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Image : © LE PICTORIUM / Alamy Live News
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