Le secteur privé africain stimule le Fonds pour la paix de l'UA
Alors que les apports du secteur privé augmentent, 21 pays africains ne contribuent toujours pas au Fonds.
Publié le 31 janvier 2025 dans
ISS Today
Par
Moussa Soumahoro
chercheur, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba
Le Fonds pour la paix de l'Union africaine (UA) est au cœur de la quête de l'Afrique pour une autonomie financière durable et l'appropriation de ses initiatives de rétablissement de la paix. Le Fonds est l'épine dorsale financière des efforts de paix et de sécurité du continent, qui comprennent la médiation des conflits et la diplomatie préventive, les opérations de soutien à la paix et le renforcement des capacités institutionnelles.
Cependant, sa mise en place et son fonctionnement n’ont progressé que très lentement. Après sa création en 1993, le Fonds est resté inactif jusqu'en 2018. Puis le rythme s'est accéléré au cours des cinq dernières années, l'UA s'attaquant à certains problèmes sous-jacents, à commencer par l’installation d'une structure de gouvernance solide (graphique 1).
Le Fonds est dirigé par un haut représentant (qui assure la liaison politique avec les États membres) et un comité de gestion, les opérations quotidiennes étant administrées par un secrétariat en liaison avec un gestionnaire indépendant. Un conseil d'administration et un groupe d'évaluation indépendant assurent le contrôle.
Figure 1 : Structure de gouvernance du Fonds pour la paix de l'UA Source : Secrétariat du Fonds pour la paix de l'UA
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Un accord a été conclu sur les modalités de dépenses qui donnent au Fonds une orientation claire sur leur suivi et sur l'appel aux contributions du secteur privé. Des progrès considérables ont été accomplis dans la collecte de ressources financières.
À la mi-2024, les efforts déployés par le secrétariat pendant une décennie avaient permis de réunir 398 millions de dollars US, dont 98 % provenaient des États membres de l'UA et les 2 % restants de sources privées. Cependant, seuls 34 des 55 États membres de l'UA ont contribué au Fonds.
L'article 21 du protocole du Conseil de paix et de sécurité (CPS) portant création du Fonds autorise les contributions non seulement des membres de l'UA, mais aussi du secteur privé et des particuliers.
En juillet 2024, le secrétariat a donc annoncé des « mécanismes innovants pour le financement de la paix » en marge de la réunion de coordination de la communauté économique régionale de l'UA à Accra, au Ghana. L'objectif d'atteindre la cible initiale de 400 millions de dollars US et de lever des fonds supplémentaires auprès du secteur privé et des citoyens africains a été atteint, avec des apports privées allant jusqu'à 36 % du total (graphique 2).
La Banque africaine d'import-export (Afreximbank) s'est engagée à verser 210 millions de dollars sur trois ans, tandis que le Standard Bank Group et Ethiopian Airlines ont donné chacun un million. La contribution d'Afreximbank comprend des subventions, une assistance technique, une facilité de préparation de projet et un capital d'amorçage. Les promesses du secteur privé lors de la réunion d'Accra ont porté les ressources du Fonds à un montant estimé à 610 millions de dollars.
Figure 2 : Financement des États membres et contributions privées Source : Secrétariat du Fonds pour la paix de l'UA
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Ces apports substantiels donnent un coup de pouce aux efforts de stabilisation de l'Afrique. Ils aideront l'UA à couvrir la contribution de 25 % exigée par le Conseil de sécurité des Nations unies pour les opérations conjointes de soutien à la paix ONU-UA, et permettront d’apporter des solutions africaines aux problèmes africains.
L'augmentation des dons privés constitue également un pas important vers la réalisation de l'entité citoyenne envisagée lors de la création de l'UA, dans laquelle les États et les citoyens s'attaquent ensemble aux problèmes de sécurité. Des sources du département des Affaires politiques, de la Paix et de la Sécurité de l'UA indiquent que la tendance observée à Accra a renforcé l'appétit du secteur privé pour le Fonds et que le secrétariat de ce dernier s'efforce d'obtenir davantage de financements publics.
Toutefois, ces progrès encourageants restent en deçà du coût immense de la gestion des conflits en Afrique. Ainsi, le coût annuel de la Mission de transition de l'UA en Somalie avait été estimé à 1,5 milliard de dollars en 2023. Elle a été remplacée par la Mission de soutien et de stabilisation de l'UA en Somalie, récemment approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Les contributions du secteur privé sont passées de 2 % à 36 % du total du Fonds
Bien que les coûts des deux missions soient identiques, l'UA devra contribuer à hauteur de 375 millions de dollars, soit 61,5 % du budget total actuel du Fonds pour la paix. Les 235 millions de dollars restants couvriront à peine d'autres missions, comme la Force multinationale mixte dans le bassin du lac Tchad, sans parler des activités de prévention des conflits telles que la diplomatie préventive.
L'UA est consciente de l'ampleur de la tâche. Alors qu’il s'exprimait lors de la collecte de fonds à Accra, le haut représentant du Fonds pour la paix, Donald Kaberuka, a déclaré : « L'Afrique a besoin de plus de ressources que celles que nous avons recueillies aujourd'hui, car le chemin à parcourir est très long. J'encourage les États membres et le secteur privé à contribuer davantage ».
Compte tenu de l'ampleur des défis sécuritaires de l'Afrique, l'UA doit s'appuyer sur la dynamique créée à Accra pour obtenir de nouvelles ressources financières de la part des nombreuses entreprises rentables du continent.
Les philanthropes africains et le grand public pourraient également apporter leur participation. Pour obtenir leur appui, il faudrait multiplier les engagements bilatéraux et développer une stratégie de communication soutenue qui utilise les résultats positifs du travail réalisé par le secrétariat, malgré ses capacités limitées.
Il faut obtenir l'accord des pays africains sur les barèmes d'évaluation du Fonds pour la paix
Toutefois, le secrétariat a besoin d'une expertise supplémentaire dans ce domaine pour accroître sa portée, suivre et évaluer ses progrès et ses défis, et mieux cibler ses actions. Une plus grande utilisation des plateformes numériques pour faire connaître les avantages des contributions et des approches solides du financement participatif pourraient également être utiles.
Alors que le continent est confronté à des transitions post-coup d'État, aux conflits armés de haute intensité en République démocratique du Congo et au Soudan et à l'extrémisme violent, l'Afrique doit continuer à développer sa puissance financière.
En obtenant l'accord des pays africains sur la décision 734 de l'Assemblée de l'UA, l’Afrique franchirait une étape déterminante. La décision concerne les barèmes d'évaluation du Fonds pour la paix, qui visent à répartir équitablement la charge financière entre les États membres. Elle suggère que les contributions soient versées individuellement en fonction des « principes de solidarité, de paiements équitables et de capacité de paiement, de manière à ce qu'aucun pays ne supporte une part disproportionnée du budget ».
Bien que la plupart des États membres de l'UA aient accueilli favorablement la décision 734, qui modifie l'approche précédente basée sur les contributions régionales, l'Afrique du Nord, en particulier l'Égypte et la Tunisie, s'y est opposée. Ce type de divisions entrave la collecte harmonisée et opportune des fonds.
Si les dons du secteur privé et l'investissement judicieux des ressources actuelles du Fonds restent essentiels, la responsabilité première du financement de la paix et de la sécurité en Afrique incombe aux États membres de l'UA. Étant donné que 21 pays ne contribuent toujours pas, le plaidoyer en faveur d'un financement durable doit également cibler les chefs d'État et le secteur privé.
Cet article a été publié pour la première fois par le Rapport sur le CPS de l’ISS.
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