Soutenir le Fonds pour la paix de l’Union africaine
Malgré la récente hausse des collectes, le Fonds pour la paix de l’UA devrait explorer d’autres financements face aux défis sécuritaires actuels.
Depuis sa revitalisation en 2018, le Fonds pour la paix (FP) de l’Union africaine (UA) est au cœur de la quête de l’Afrique pour une autonomie financière et l’appropriation de ses initiatives de rétablissement de la paix. Il constitue le pilier financier de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) et couvre trois fenêtres de stabilisation, à savoir la médiation et la diplomatie préventive, les opérations de soutien à la paix (OSP) et le renforcement des capacités institutionnelles et la préparation d’autres structures de l’APSA.
Au cours des cinq dernières années, l’UA a redoublé d’efforts pour que le fonds fonctionne pleinement, en s’attaquant aux problèmes structurels qui avaient interrompu son installation pendant les trente années qui avaient suivi sa création en 1993. Ces problèmes concernaient, entre autres, l’absence d’une structure de gouvernance efficace et de barèmes pour l’évaluation des contributions statutaires des États membres. L’article 21 du protocole relatif au CPS appelle à des contributions de diverses parties prenantes, y compris les États membres de l’UA, le secteur privé et les particuliers.
Il prévoit la possibilité de recourir à des activités adéquates de collecte de fonds, d’où la décision du secrétariat du FP de lancer un processus intensif de mobilisation des ressources. Ce processus a abouti le 20 juillet 2024 à la présentation de « mécanismes innovants pour le financement de la paix », en marge de la réunion semestrielle de coordination entre l’UA et les communautés économiques régionales à Accra, au Ghana. Ces mécanismes ont un double objectif. Le premier est d’atteindre l’objectif initial de financement du FP (400 millions de dollars US) et le second est d’assurer un réapprovisionnement durable du fonds grâce à une mobilisation accrue du secteur privé et des citoyens africains.
L’UA a intensifié ses efforts pour relever les défis structurels après la création du Fonds pour la paix
Si la cérémonie de collecte de fonds a été un succès en permettant d’obtenir des engagements substantiels de parties prenantes de premier ordre, la voie vers un réapprovisionnement durable demeure incertaine. Comme l’a souligné le Dr Donald Kaberuka, haut représentant de l’UA pour le FP, « l’Afrique a besoin de plus de ressources » que celles collectées lors de la cérémonie, compte tenu de ses énormes problèmes de paix et de sécurité.
Les avancées du Fonds pour la paix
Des progrès significatifs ont été accomplis pour rendre le FP pleinement opérationnel. D’une part, l’UA s’est attaquée aux questions structurelles urgentes susmentionnées en créant une gouvernance solide et en convenant des modalités d’utilisation des fonds disponibles. D’autre part, elle a réalisé des progrès substantiels dans la mobilisation des ressources.
La gouvernance du FP comprend un haut représentant, qui veille à la mobilisation politique, soutenu par un conseil d’administration, un comité exécutif de gestion, un panel d’évaluation indépendant, un secrétariat et un gestionnaire.
Elle a été mise en place pour répondre à certains besoins cruciaux, notamment une saine gestion des fonds et une implication continue des principales parties prenantes afin d’attirer davantage de ressources. Une solide structure de gouvernance tend également à renforcer la confiance des contributeurs et à dissiper les doutes quant à la capacité de l’UA à utiliser les fonds de manière appropriée et dans les délais impartis pour atteindre les résultats escomptés. L’accord des États membres sur l’utilisation et le décaissement des ressources a également constitué une étape importante. Cet accord a donné au FP une orientation claire pour structurer le suivi de ses dépenses et une base forte pour justifier la nécessité de recourir à des contributions privées.
Le FP a dépassé son objectif initial de 400 millions de dollars US. En date du 20 juillet 2024, il s’élevait à 398 millions de dollars US. Sur ce montant, 392 millions de dollars US proviennent des États membres (98 %) et 6 millions de contributions volontaires privées (2 %). Étant donné que les mécanismes de financement innovants ont été lancés le même jour dans le cadre de la collecte de fonds décennale du secrétariat, le FP a attiré davantage de ressources du secteur privé et des particuliers. Alors que la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) s’est engagée à verser 210 millions de dollars US, échelonnés sur les trois prochaines années, d’autres institutions telles que le Standard Bank Group et Ethiopian Airlines ont fait don d’un million de dollars chacune. La contribution d’Afreximbank sera répartie, notamment, entre les subventions, l’assistance technique, la facilité de préparation des projets et le capital d’amorçage. Les sommes promises lors de la réunion d’Accra ont porté les ressources du FP de 398 millions de dollars US à environ 610 millions de dollars US.
La structure de gouvernance du FP permet de dissiper les doutes sur la capacité de l’UA à utiliser les fonds
Les progrès concernant la collecte de fonds ravivent l’espoir d’un rétablissement de la paix à l’échelle du continent, les moyens financiers ayant toujours été un obstacle. La quasi-totalité des 27 OSP dirigées par l’Afrique et l’UA et des autres dispositifs continentaux de prévention des conflits ont été à un moment ou à un autre confrontés à des contraintes financières. La mission de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel et la mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) en sont des exemples. Ainsi, des contributions substantielles telles que celles recueillies à Accra donnent un coup de pouce important aux efforts de stabilisation du continent. Elles aideront l’UA à maintenir sa participation de 25 % aux OSP continentales et à concrétiser l’ambition de l’Afrique de trouver « des solutions africaines aux problèmes africains ».
De même, l’augmentation des dons privés constitue une étape importante vers l’émergence de l’UA en tant qu’entité citoyenne, telle qu’envisagée lors de la création de l’organisation — les États et les citoyens unissant leurs efforts pour relever les défis de la paix et de la sécurité à l’échelle du continent. La tendance qui s’est manifestée à Accra semble, selon certaines sources, avoir renforcé la volonté du secteur privé de contribuer davantage. En outre, le secrétariat du FP étudie les moyens d’obtenir des dons publics plus importants.
Bien que l’UA s’efforce d’améliorer ses interventions, force est de constater que les fonds disponibles ne sont pas encore à la hauteur de l’immensité des défis de l’Afrique en matière de paix et de sécurité. Par exemple, le coût de fonctionnement annuel de l’ATMIS a été estimé à 1,5 milliard de dollars en 2023. Si la mission de soutien et de stabilisation de l’UA en Somalie (AUSSOM) venait à se concrétiser avec un coût sensiblement similaire et sur la base de la résolution 2719 des Nations unies (c’est-à-dire un partage de la facture à concurrence de 75 % pour l’ONU et 25 % pour l’UA), l’UA devrait contribuer à hauteur de 375 millions de dollars US, soit 61,5 % de la capacité actuelle du FP. Les 235 millions de dollars US restants sur les 610 millions de dollars US couvriraient à peine le financement d’autres missions telles que la Force multinationale mixte et les activités de prévention des conflits.
Pérenniser le Fonds pour la paix
Compte tenu de l’ampleur des défis en matière de paix et de sécurité en Afrique, l’UA doit assurer la pérennité du FP en maintenant la tendance actuelle et en multipliant ses ressources. Cet objectif pourrait être atteint de deux manières. La première consisterait à profiter de l’élan de la réunion d’Accra pour inciter le secteur privé et le grand public africains à contribuer davantage à l’initiative. Le continent compte sur une grande diversité d’entreprises rentables, ainsi que de nombreuses fondations caritatives à même d’alimenter le FP.
De même, les philanthropes et le grand public pourraient constituer un atout de taille pour le fonds. Afin d’intégrer ces acteurs, le FP devrait renforcer sa stratégie de communication, en utilisant davantage les plateformes numériques pour faire valoir les avantages d’une contribution, en concevant des initiatives efficaces de financement participatif et en multipliant les engagements bilatéraux. Le secrétariat devrait envisager d’institutionnaliser les contributions privées, en préconisant des protocoles d’accord lorsque cela est possible. Les marchés de l’immobilier et des actions sont des options d’investissement intéressantes
Il devrait également penser à investir une partie des ressources collectées à moyen et long termes par l’intermédiaire de son gestionnaire. Bien que plusieurs options d’investissement soient disponibles, les marchés de l’immobilier et des actions méritent que l’on s’y attarde. Selon les prévisions, l’Afrique connaîtra un taux de croissance annuel moyen de 6 % dans le secteur de l’immobilier au cours des quatre prochaines années, ce qui pourrait constituer une opportunité intéressante.
En outre, le continent dispose de marchés boursiers dynamiques dans presque toutes les régions. Par exemple, la plupart des dix plus importantes sociétés boursières de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont enregistré une croissance moyenne de 10 % et des bénéfices substantiels au cours des vingt dernières années, malgré les nombreux chocs continentaux et mondiaux. Selon des sources crédibles, le capital investi dans certaines de ces entreprises a triplé sur une période de cinq ans en raison d’une croissance moyenne soutenue de 24,6 %, dont environ 14,6 % de gains en capital et 10 % de dividendes au fur et à mesure que la valeur de l’action augmentait.
Si 10 % des ressources du FP — c’est-à-dire 61 millions de dollars US — sont investis dans une ou plusieurs grandes entreprises de l’UEMOA pendant cinq ans avec des intérêts composés — en réinvestissant le dividende annuel en tant que capital —, l’investissement initial pourrait croître d’environ 65 %. En pratique, les 61 millions de dollars US du départ sont susceptibles de se transformer en 101 millions de dollars US, y compris les 39,7 millions de dollars US d’intérêts générés après cinq ans (voir figure 1).
Figure 1 : Projection sur cinq ans avec intérêts composés
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On peut certes faire valoir que la valeur des actions est volatile et que de tels investissements seraient risqués, mais investir en suivant des approches appropriées et en faisant appel à des ressources humaines qualifiées pourrait être très bénéfique pour la paix et la sécurité en Afrique. Passer à côté d’une telle opportunité pourrait s’avérer encore plus risqué.