Le changement climatique favorise-t-il le terrorisme au Sahel ?
Les populations subissent le changement climatique, mais de nouvelles recherches ne révèlent que des liens indirects avec l'extrémisme violent.
Publié le 24 mars 2025 dans
ISS Today
Par
Djiby Sow
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Le changement climatique n’est pas une cause directe de l’augmentation du terrorisme dans le Sahel central. En revanche, les facteurs associés au changement climatique constituent un catalyseur de conflits localisés, résultant principalement de la perturbation des modes de production agricole et de la raréfaction des ressources naturelles. Les conflits locaux constituent un terreau fertile pour l'implantation de groupes terroristes.
Telles sont les conclusions d’un projet de recherche mené par l’Institut d’études de sécurité (ISS). L’étude a été réalisée suite à l’appel du Secrétaire général des Nations unies, en 2023, à « approfondir les recherches et les analyses fondées sur des données probantes et adaptées au contexte concernant la corrélation entre changements climatiques et terrorisme ainsi que ses implications en matière de programmation ».
Les liens entre le changement climatique et le terrorisme suscitent depuis longtemps de vifs débats entre les analystes et les décideurs œuvrant pour le renforcement de la sécurité humaine en Afrique. Le Sahel central, touché par ces deux menaces, est une zone idéale — avec le bassin du lac Tchad et la Somalie — pour observer leurs interrelations.
Les températures moyennes au Sahel sont passées de 0,6 °C à 0,8 °C entre 1970 et 2010, et les projections indiquent une hausse de 3 °C à 6 °C d’ici la fin du xxie siècle. Il en résulte une variabilité marquée des précipitations, une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, avec des inondations et des sécheresses plus fréquentes, et une dégradation des sols.
Le Sahel est également aux prises avec une crise sécuritaire multidimensionnelle qui a débuté au Mali en 2012 et s’est étendue au Burkina Faso et au Niger à partir de 2015. Les trois pays sont confrontés à la prolifération et à l’expansion des groupes armés, tels que le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au Sahel, ainsi que divers groupes rebelles et d’autodéfense.
Zones concernées par la recherche de l’ISS au Niger et au Burkina Faso
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En 2024, l’ISS a mené des enquêtes dans la région de Tillabéri au Niger, fortement touchée par le changement climatique et l’insécurité liée à l’extrémisme violent. Le département Fada N’Gourma du Burkina Faso a été sélectionné pour les mêmes raisons. Le Mali a été exclu de la recherche primaire, compte tenu de l’abondante littérature existante sur le sujet.
Parmi les répondants figuraient des agriculteurs, des éleveurs, des chasseurs, des agro-pasteurs, des déplacés internes et des acteurs institutionnels (services gouvernementaux, organisations internationales et non gouvernementales, autorités religieuses et traditionnelles).
Bien que les personnes interrogées ne fassent pas référence l’expression « changement climatique » en tant que telle dans leurs langues locales, les données recueillies mettent en évidence son impact sur leurs activités. Cet impact n’est cependant pas nouveau, car les phénomènes climatiques et environnementaux extrêmes tels que les sécheresses et les invasions de criquets à l’origine de famines restent gravés dans la mémoire collective. Depuis les années 1970, les populations locales ressentent les effets du changement climatique à travers la modification du calendrier cultural. Ces changements se caractérisent notamment par le démarrage tardif et la fin précoce de la saison des pluies et de la saison agricole, l'intensification des sécheresses et une multiplication des phénomènes climatiques extrêmes comme les pics de chaleur, les inondations (notamment de terres arables) et les vents violents.
La recherche n’a pas révélé de lien direct entre le changement climatique et les activités terroristes. Le changement climatique entraîne plutôt des conflits intercommunautaires, déclenchés par le boulversement des modèles de production agricole et la raréfaction des ressources naturelles, conduisant les communautés à s’affronter pour leur accès et leur contrôle .
Depuis les années 1970, les changements climatiques ont modifié le calendrier cultural
À Tillabéri comme à Fada N’Gourma, l’impact des variations climatiques sur les systèmes de production agricole et pastorale menace les moyens de subsistance des populations rurales, qui dépendent de l’agriculture de subsistance et de l’élevage.
La mobilité, qui a toujours été la « pierre angulaire de la résilience communautaire face aux défis environnementaux », à l’accès à la terre, à l’eau et aux pâturages, devient ainsi un facteur déterminant pour l’avenir.
L'étude a par ailleurs mis en évidence plusieurs facteurs déclencheurs de conflits. Parmi ceux-ci figurent la transhumance précoce du bétail, l'absence de marquage des couloirs de transhumance, le non-respect des dates de libération des champs, le défrichage et l'aménagement par les agriculteurs des zones de pâturage, des pistes pour le bétail et des couloirs de transhumance. D'autres éléments déclencheurs sont l'appropriation privée des points d'eau, l'accaparement des espaces pastoraux par les grands propriétaires terriens, les acteurs de l'agro-industrie, les concessionnaires de chasse et les sociétés minières.
Les impacts du changement climatique se combinent en outre aux problèmes de gouvernance, notamment la gestion équitable des zones agro-pastorales, à des méthodes de production obsolètes et à la pression foncière exacerbée par la croissance démographique. Les politiques nationales, visant à assurer la sécurité alimentaire des populations après les sécheresses des années 1970, ont privilégié l’agriculture au détriment du pastoralisme.
La perturbation de la production agricole et la raréfaction des ressources déclenchent des conflits
Dans les cas où le statut d’agriculteur sédentaire ou d’éleveur nomade se confond avec une identité ethnique, les conflits peuvent se communautariser. Des milices d'autodéfense peuvent alors se constituer, accroissant la violence et menant dans certains cas à des atrocités. La détérioration de la situation sécuritaire depuis 2012 et la circulation d’armes légères accentuent le problème.
C’est précisément à ce niveau que semble intervenir le facteur terroriste. Ce contexte de conflictualité locale, mal pris en charge par les mécanismes de gouvernance et de résolution des conflits locaux et institutionnels, constitue un terreau fertile favorisant l’implantation des groupes terroristes par le biais de leurs stratégies opportunistes d’exploitation de griefs préexistants pour pénétrer les communautés et recruter en leur sein.
Des travaux de recherche menés par l’ISS dès 2016 sur les logiques d’engagement au sein de ces groupes mettaient en évidence que la volonté de se protéger, de protéger sa famille, sa communauté ou son activité économique constituait l’un des principaux facteurs d’engagement.
Que signifient ces résultats quant aux relations entre le changement climatique et le terrorisme pour l’élaboration de programmes et de politiques ?
Une réponse intégrée est essentielle pour contrer le terrorisme lié au changement climatique
Tout d’abord, les réponses doivent éviter de lier le terrorisme et le réchauffement climatique au Sahel comme moyen de mobiliser les bailleurs de fonds ou d’accélérer l’agenda climatique international.
Les défis liés au climat dans la région se définissent davantage en termes de raréfaction des ressources naturelles et de déstabilisation des systèmes de production. Cette situation conduit à son tour à des conflits locaux, sur fond d'affaiblissement des mécanismes de gestion des conflits traditionnels comme étatiques.
Les résultats de la recherche confirment la nécessité d’une approche intégrée de la lutte contre le terrorisme et les conflits locaux, reflétant ainsi la complexité des différents contextes.
Compte tenu des liens indirects entre le changement climatique et l'insécurité, les deux défis doivent être abordés de manière intégrée. Les facteurs intermédiaires par lesquels le changement climatique contribue finalement au terrorisme doivent être ciblés, ainsi que la manière dont ces facteurs interagissent et se renforcent mutuellement.
En particulier, le potentiel de production des économies agricoles et pastorales du Sahel doit être renforcé par l’intégration de techniques innovantes et adaptées aux effets néfastes du changement climatique.
De même, l'amélioration des mécanismes locaux et institutionnels de gestion des ressources et des tensions communautaires est essentielle pour réduire les possibilités d'exploitation des vulnérabilités par les groupes terroristes.
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