Traité sur la haute mer : l'Afrique doit concrétiser sa victoire diplomatique
Le rôle de l'Afrique dans l'élaboration du traité montre que le multilatéralisme peut favoriser une gouvernance mondiale équitable des océans.
Publié le 30 septembre 2025 dans
ISS Today
Par
Dhesigen Naidoo
chercheur principal associé, Risques climatiques et sécurité humaine, ISS Pretoria
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
Denys Reva
chercheur, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
La ratification de l’accord historique sur la gouvernance des océans, le 19 septembre, a contredit la tendance mondiale à l'abandon du multilatéralisme. Elle marque une nouvelle ère pour la haute mer, qui couvre environ les deux tiers des océans de la planète.
L'accord conclu dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (traité BBNJ) a obtenu sa 60e ratification, seuil nécessaire à son entrée en vigueur. Une période de 120 jours sera encore nécessaire pour obtenir les notifications finales, pour la préparation logistique et pour de nouveaux aménagements institutionnels avant qu'il ne devienne juridiquement contraignant le 17 janvier 2026.
Le traité BBNJ (traité sur la haute mer) vise à coordonner la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des juridictions nationales. Conçu comme quatre traités en un, il uniformise les cadres juridiques concernant : les ressources génétiques marines et le partage des avantages ; les outils de gestion par zone, comme les zones marines protégées ; les évaluations d'impact environnemental ; le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines.
D'une certaine manière, cet accord est un répit dans les attaques contre le multilatéralisme. L’échec des accords internationaux résulte en général de la concurrence entre les intérêts nationaux et un recul du partage de la gouvernance.
Ce traité témoigne également de la maîtrise de l’Afrique des affaires internationales et souligne la capacité du continent à influencer les normes mondiales. Il montre que des négociations inclusives, dans lesquelles les pays en développement expriment leurs priorités communes, peuvent aboutir à des résultats plus légitimes et largement soutenus.
Palau, État insulaire du Pacifique, a été le premier pays à faire preuve de primauté en ratifiant le traité. Il a reconnu que les États insulaires dépendaient de la bonne santé des océans, tant pour leur bien-être économique que pour leur résilience climatique. Cette démarche proactive reflète la tradition de défense de l'environnement des États insulaires, mais révèle aussi une vulnérabilité à la perte de biodiversité marine et au changement climatique. Les Seychelles ont été le premier pays africain à ratifier le traité.
Le traité démontre la maîtrise de l'Afrique des affaires internationales et son influence
Le taux de ratification en Afrique reste faible (12 pays sur 64). Cependant, le rôle du continent dans les négociations du traité et les deux dernières ratifications par la Sierra Leone et le Maroc, qui ont permis d’atteindre le seuil des 60, témoignent d'un engagement pour un « patrimoine commun de l'humanité ». Les pays africains recherchent également l'équité dans la gouvernance des hautes mers.
« Avec la 60e ratification, le traité BBNJ entrera bientôt en vigueur et l'engagement de longue date de l'Afrique en faveur de l'équité océanique deviendra une réalité », a déclaré à ISS Today l'ambassadeur Michael Kanu, représentant permanent de la Sierra Leone auprès des Nations unies et négociateur en chef du groupe africain des négociateurs du BBNJ.
« Depuis notre position prédominante à la table des négociations jusqu'à ce moment historique, l'Afrique est réputée pour l'équité, le renforcement des capacités et la protection de la biodiversité marine pour les générations futures. Ce traité garantit que les voix [africaines] sont au cœur de la gouvernance de la haute mer, contribuant ainsi à assurer un partage équitable et juste des avantages tirés des ressources génétiques marines, à renforcer la science océanographique et le renforcement des capacités, et à préserver la biodiversité au-delà des juridictions nationales pour les générations futures. »
Cet accord marque « non seulement l'aboutissement de décennies de patience diplomatique, mais aussi un nouveau chapitre où l'Afrique contribuera à façonner la gestion de près des deux tiers de l'océan dans l'esprit du patrimoine commun de l'humanité », a-t-il ajouté.
En freinant la détérioration de la haute mer, le traité BBNJ permettra de préserver la fonction essentielle de l'océan en tant qu'énorme puits de carbone. En effet, celui-ci séquestre au moins 30 % du carbone mondial grâce à la dissolution physique du carbone et à l'utilisation biologique du carbone par les ressources marines.
Cependant, à mesure que les émissions augmentent et que l'océan dissout davantage de dioxyde de carbone, son niveau d'acidité augmente. Ce mécanisme appauvrit la vie marine, ce qui diminue la séquestration du carbone, laissant le CO2 réchauffer davantage la Terre.
Les océans maintiennent ainsi l'équilibre fragile nécessaire à la vie sur Terre
La position unique de la Terre, située à une distance idéale du Soleil, permet la présence d'eau liquide. Néanmoins, ce sont les océans qui maintiennent véritablement l'équilibre fragile nécessaire à la vie en absorbant 80 % de l'excès de chaleur et en régulant le climat.
À mesure que la température des mers augmente, la capacité des océans à stocker la chaleur et à soutenir les écosystèmes marins baisse. Cela compromet la séquestration du carbone, intensifie les tempêtes, accroît l'élévation du niveau de la mer et les risques pour l'alimentation et le bien-être des zones côtières.
Le traité BBNJ sert essentiellement de référence mondiale pour la gestion durable des ressources marines vivantes et non vivantes, allant du matériel génétique aux réserves minérales et fossiles.
Son entrée en vigueur entraînera une révision des cadres de gouvernance internationaux et régionaux afin d'améliorer la compréhension, de réduire les failles qui permettent des activités illégales telles que la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, et de favoriser la coopération institutionnelle entre les secteurs.
Les États africains doivent réfléchir à la meilleure façon de traduire cette victoire diplomatique en avantages domestiques concrets. Il est nécessaire d'intégrer les dispositions du traité dans les législations nationales, de renforcer les capacités scientifiques et d'application, et d'encourager l'action collective entre les organismes régionaux.
Les nouvelles institutions créées dans le cadre du traité BBNJ, en particulier la Conférence des Parties, établiront prochainement des règles de mise en œuvre. La participation de l'Afrique est essentielle pour garantir l'équité, le renforcement des capacités et l'accès préférentiel à la technologie et au financement.
Les États africains doivent traduire cette victoire diplomatique en avantages domestiques
Ces engagements internationaux doivent être étroitement alignés sur les réformes nationales et régionales dans la gestion des pêches et être soutenus par des partenariats solides avec les acteurs scientifiques et la société civile.
L'Afrique doit développer une approche stratégique unifiée pour la mise en œuvre de l'accord. Ce point a été souligné lors de la récente table ronde politique de haut niveau organisée par l'Union internationale pour la conservation de la nature et l'Institut d'études de sécurité (ISS).
À l'heure où le traité BBNJ entre en vigueur, l'Afrique a été exhortée à aligner ses efforts en matière de gouvernance des océans sur les objectifs climatiques et de développement du continent. Les participants ont appelé au renforcement de la coordination régionale avant les étapes cruciales des Nations unies, à l'élaboration d’une approche de gouvernance unifiée reflétant les priorités de l'Afrique et à la mobilisation d’un soutien politique, technique et financier pour la mise en œuvre.
Des dialogues soutenus et inclusifs aux niveaux continental, régional et national sont essentiels pour garantir que les diverses voix de l'Afrique seront entendues dans la prise de décision et que les objectifs de protection des océans et de développement plus larges soient avancés.
Les avantages que l'Afrique tirera du traité dépendront de la volonté et de la capacité des pays à concrétiser ces nouvelles normes, à renforcer leurs capacités d'application et à tirer parti des mécanismes technologiques et financiers du traité. La détermination, l'unité et l'engagement en faveur d'une gestion inclusive sont essentiels pour traduire les promesses du traité BBNJ en profits tangibles.
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