Le Bénin doit s'attaquer aux activités illicites qui favorisent l'extrémisme violent

Les autorités devraient consulter les communautés pour trouver la meilleure façon de rompre les liens entre les activités illicites et l’extrémisme violent.

Depuis 2019, les attaques terroristes dans le nord du Bénin attribuées au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et à l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) se multiplient. Ces incidents qui cristallisent l’attention médiatique et politique ne représentent qu’une fraction visible de l’extrémisme violent au Bénin.

Une étude menée par l’Institut d’études de sécurité a révélé que ces groupes ont profité d’activités illicites préexistantes dans les zones frontalières du nord du Bénin. Il s’agit notamment de la contrebande de carburant, du trafic de chanvre indien et de la chasse illégale.

Nombre d'attaques terroristes au Bénin

Nombre d'attaques terroristes au Bénin

Sources: données ACLED et veille médiatique de l'ISS

Les espaces ou des liens entre extrémisme violent et activités illicites ont été documentés

Les espaces ou des liens entre extrémisme violent et activités illicites ont été documentés

Sources : ISS
(Cliquez sur les images pour voir les figures en taille réelle)

Ces groupes ont agi de manière opportuniste en nouant des alliances d’intérêts avec des acteurs impliqués dans ces activités afin d’assurer leur approvisionnement en moyens de subsistance, humains, opérationnels et financiers. Pour y parvenir, les groupes ont capitalisé sur les ressentiments des individus engagés dans ces activités et sur leur détermination à préserver leurs intérêts socio-économiques. Ils ont par exemple facilité la poursuite de certaines de ces activités en permettant l’accès à des espaces spécifiques, en offrant des services et des garanties de sécurité à ceux qui s’y adonnaient, et en facilitant la commercialisation des produits issus de ces trafics.

Ces groupes ont opéré discrètement en exploitant des vulnérabilités internes et externes au Bénin. Ils ont par exemple tiré profit du litige territorial qui oppose le Bénin et le Burkina Faso sur la zone de Kourou-Koualou et qui s’est traduit, jusqu’en février 2023, par l’absence d’autorités nationales dans cette localité. Le vide sécuritaire et administratif en avait fait une zone de non-droit, propice au développement de diverses activités illicites. Cette situation a laissé le champ libre aux groupes extrémistes qui, depuis 2018, se sont progressivement implantés dans l’Est du Burkina Faso et ont fait de Kourou-Koualou une zone de repli, d’opération et de ravitaillement en produits divers.

La collaboration entre les trafiquants de carburant et les groupes à Kourou-Koualou, a permis aux extrémistes de s’approvisionner en carburant nécessaire à leur mobilité et à leurs opérations. Elle leur a également permis de mobiliser des ressources financières grâce aux paiements versés par les trafiquants en échange de services de protection et de sécurisation dans la zone de contrebande, permettant ainsi au trafic de se dérouler en toute quiétude.

Les groupes ont également été actifs dans le trafic de chanvre indien dont une partie, qui alimente le marché illicite, est produite localement dans les départements de l’Atacora et de la Donga. Ils ont notamment joué un rôle dans son acheminement à partir de Kourou-Koualou vers le Burkina Faso et au Mali en échange de bénéfices financiers.

Par ailleurs, ces groupes ont instrumentalisé des frustrations liées à la réglementation de la chasse qui était traditionnellement pratiquée dans les parcs naturels de la Pendjari et du W. Cette situation a poussé des chasseurs béninois qui avaient choisi de ne pas s’inscrire dans les programmes développés et proposés par la société African Parks Network (APN) – à se rendre illégalement dans le parc Arly afin d’y chasser.

Les extrémistes bénéficient d'activités illicites qui existaient bien avant le début des attaques

La coopération instaurée entre les groupes et les chasseurs a permis aux extrémistes de se procurer des moyens de subsistance, notamment des produits alimentaires (riz, huile, fromage, pâtes alimentaires, sel, etc.) ou des produits issus de la chasse illégale. Cette collaboration a également permis aux groupes de recruter des chasseurs.

En plus de ces liens entre l’extrémisme violent et les activités illicites, des risques relatifs à l’orpaillage clandestin et au trafic d’armes et de munitions ont également été documentés. Ces activités constituent d’autres vulnérabilités susceptibles de fournir aux groupes armés actifs au Bénin des opportunités supplémentaires d’accéder à diverses ressources indispensables à leurs opérations.

Ainsi, en plus des réponses visant à limiter les attaques menées par les groupes sur le territoire béninois, les autorités doivent travailler en amont sur les dimensions moins visibles que ces groupes instrumentalisent pour s’implanter et consolider leur ancrage local, bien avant la survenance des attaques.

Il est impératif d'éviter de stigmatiser les catégories socio-professionnelles dont des membres sont en liens avec les extrémistes

Les autorités béninoises doivent aller au-delà d’efforts ponctuels - telles que des arrestations de trafiquants ou le démantèlement de leur réseau - pour lutter contre la criminalité transfrontalière organisée. Il convient d’apporter des réponses durables et multidimensionnelles qui s’attaquent aux facteurs structurels. Les efforts de l’État visant à affaiblir les groupes extrémistes violents en coupant leurs chaînes d’approvisionnement doivent également tenir compte de la complexité et des dynamiques qui sous-tendent les liens entre extrémisme violent et activités illicites.

En effet, certaines activités illicites dont les liens avec l’extrémisme violent ont été documentés par l’ISS (contrebande de carburant, chasse illégale) sont des activités génératrices de revenus pour les communautés. Elles représentent également un moyen pour ces dernières d’accéder à des services sociaux de base faiblement fournis par l’État. Il est donc important d’impliquer les communautés dans la conception et la mise en œuvre des réponses visant à affaiblir les groupes. Cette démarche contribuera à réduire les répercussions négatives et les effets indésirables, notamment la perturbation des moyens de subsistance et de résilience, qui pourraient pousser les populations mécontentes dans les bras des terroristes.

Il est aussi impératif d’éviter le piège de la stigmatisation des différentes catégories socio-professionnelles documentées dans le cadre de cette recherche dont certains membres entretiennent des relations avec les groupes extrémistes violents qui ciblent le Bénin. Une telle approche pourrait s'avérer contre-productive et accentuer les frustrations des populations qui sont généralement instrumentalisées par les groupes à des fins de recrutement.

Enfin, les stratégies de lutte contre les chaînes d’approvisionnement doivent inclure des actions intégrées et une coordination transfrontalière. À défaut, les groupes confrontés à des obstacles choisiront simplement d’autres itinéraires.

Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale, bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Parcourez l’intégralité du rapport Afrique de l’Ouest sur les liens entre activités illicites et extrémisme violent au Bénin en cliquant ici.

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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Ce projet a bénéficié de l’appui du Conseil de l’Entente au niveau régional et de l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers (ABeGIEF) au niveau national. Son financement a été assuré par les gouvernements des Pays-Bas et du Danemark, ainsi que par les fondations Hanns Seidel et Robert Bosch. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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