La collaboration population-État contre l’extrémisme au Bénin et au Togo : une arme à double tranchant
La coopération des populations est essentielle contre l’extrémisme violent mais dépend à long terme de la capacité de l’État à garantir leur sécurité.
Les attaques terroristes se multiplient au Bénin et au Togo. Depuis les premiers incidents survenus respectivement en mai 2019 et en novembre 2021, le mode opératoire des groupes extrémistes violents a évolué. Les attaques qui ciblaient que les forces de défense et de sécurité (FDS) se multiplient contre les villages faisant des victimes parmi la population. Les groupes utilisent aussi de plus en plus d’engins explosifs improvisés qu’ils déposent sur les axes routiers.
Les sites des récentes attaques au Togo et au Bénin Source : ISS(cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Les attaques du 10 février 2023 contre les villages de Tola et Gningou, dans la région des Savanes au Togo et celles du 1er au 4 mai 2023 contre les localités de Kaobagou et de Guimbagou, dans les départements de l’Atacora et de l’Alibori au Bénin, en sont une illustration. Elles ont respectivement causé la mort d’au moins 31 et 18 personnes.
Ces agressions ont déjà poussé plus de 32 000 Togolais à quitter leurs localités. Au Bénin, environ 900 personnes auraient fui après l’attaque de Kaobagou. Les déplacées internes et les réfugiés du Burkina Faso sont actuellement accueillis dans des familles au nord du Bénin et du Togo et risquent de peser sur les besoins humanitaires dans les localités d’accueil.
L’insécurité restreint les déplacements et perturbe les activités génératrices de revenus, telles que l’agriculture, la pêche, les marchés et le commerce transfrontalier, qui sont pourtant vitales et contribuent à la résilience des populations. Des écoles au Bénin et de centres de santé au Togo ont été fermés. Des enlèvements d’élus locaux et de leurs proches ou de personnes soupçonnées de collaborer avec les FDS, ainsi que des vols de bétails, ont également été rapportés.
Dans un contexte sécuritaire de plus en plus volatile, la collaboration entre l’État et les civils comporte des risques pour les populations
Les autorités du Bénin et du Togo avaient adopté de nombreuses mesures pour prévenir l’extrémisme violent. Ces mesures incluent des initiatives visant à impliquer les populations dans la recherche de solutions, notamment pour fournir des renseignements. Toutefois, dans un contexte sécuritaire de plus en plus volatile dans les deux pays, la collaboration des populations dans la lutte contre l’extrémisme violent comporte des risques pour elles. Ces risques méritent d’être examinés afin d’y apporter des réponses adaptées qui pourront encourager la participation des populations.
En mai 2019, le Togo a mis en place un Comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (CIPLEV). Il a pour mission de réduire la propagation de l’extrémisme violent, d’encourager le dialogue civilo-militaire, et de renforcer la collaboration entre les FDS et les populations. Depuis sa mise en place, le CIPLEV a multiplié les campagnes de sensibilisation à l’endroit des populations, en particulier dans les régions des Savanes, Centrale, et de la Kara.
Dès 2018, les autorités togolaises ont déployé l’opération militaire « Koundjoaré » dans la région des Savanes. Elle a pour mission de renforcer la sécurité et de prévenir les infiltrations des groupes extrémistes violents dans cette zone frontalière avec le Burkina. Elle entreprend également des actions civilo-militaires telles que des consultations médicales gratuites au profit des populations dans l’objectif de les encourager à contribuer au renseignement et à l’alerte précoce.
Au Bénin, les autorités s’appuient sur l’Agence béninoise de gestion intégrée des espaces frontaliers (ABeGIEF), créée en 2012, pour rapprocher l’État des populations dans les zones frontalières, notamment en fournissant des services sociaux de base. Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, avec l’appui des autorités locales, a organisé des séances de sensibilisation, notamment dans les départements où les attaques ont lieu. L’objectif est d’encourager les populations à collaborer avec les FDS et de les dissuader de rejoindre les groupes extrémistes.
Les FDS doivent veiller à appliquer strictement les règles de protection des sources
Depuis 2018, les autorités béninoises ont adopté l’approche de la police communautaire, basée sur un partenariat entre la police et la population, afin de prendre en compte les besoins de sécurité des communautés. Les forces armées béninoises ont en outre inscrit les actions civilo-militaires, telles que la fourniture de soins aux populations, à la liste de leurs objectifs stratégiques afin d’accroître leur visibilité au plan national, de se rapprocher des populations et de les inciter à collaborer par le partage de renseignement.
Ces efforts sont indispensables pour renforcer le lien entre l’État et les populations et encourager ces dernières à contribuer aux efforts étatiques contre l’extrémisme violent. Cependant, dans un contexte où les civils sont de plus en plus ciblés par des attaques, renforcer la collaboration entre l’État et les populations sans que leur protection ne soit une priorité stratégique les rendra plus vulnérables.
Des personnes ayant interagi avec les groupes extrémistes violents au Bénin et au Togo ont rapporté à l’Institut d’études de sécurité qu’ils avaient à plusieurs reprises menacé les populations de représailles si elles collaboraient avec l’État. Ceci démontre l’importance d’une bonne analyse des risques avant d’élaborer toute réponse impliquant les populations.
L’efficacité de la stratégie de « coproduction » de la sécurité du Bénin et du Togo dépendra également d’une bonne appréciation des obstacles à une collaboration optimale entre l’État, ses représentants et les populations. Dans un contexte de multiplication des attaques terroristes, de psychose et de méfiance générale, les FDS devront notamment veiller à appliquer strictement les règles de protection des sources.
Les populations sont plus que de simples viviers d'informations. La collaboration avec l'État doit les considérer dans leur globalité
Certains comportements devraient être évités. Les populations ont rapporté des faits de racket, de tracasseries sur les routes, d’amalgames et de stigmatisation des communautés par les FDS ainsi que des violations des droits humains dans le cadre des opérations antiterroristes. À long terme, l’efficacité de l’approche passe aussi par une meilleure gouvernance du secteur de la sécurité, garante de la transparence, de l’anticipation, de la redevabilité et du professionnalisme des FDS.
Par ailleurs, les initiatives visant à encourager les populations à contribuer à la lutte contre l’insécurité doivent se garder de percevoir les communautés uniquement comme des viviers d’informations. L’implication des populations devrait avant tout avoir pour objectif de renforcer la confiance avec l’État et de créer des cadres d'échanges de façon à prendre en compte les attentes et les besoins des populations et d’y répondre durablement.
En début 2022, les autorités togolaises ont lancé le Programme d’urgence pour la région des Savanes au Togo pour renforcer la résilience des populations. Son efficacité dépendra de sa capacité à réduire les vulnérabilités socio-économiques susceptibles d’être instrumentalisées par les groupes extrémistes violents. Elle dépendra aussi de sa capacité à améliorer les conditions de vie des populations, y compris celles qui sont déjà directement affectées par l’insécurité.
Enfin, au regard du caractère dynamique de la menace, l’impact réel des différentes réponses sur les populations doit être continuellement évalué afin que les ajustements nécessaires soient apportés au fur et à mesure que la menace évolue. Cela permettra aux autorités béninoises et togolaises de répondre aux besoins des populations et d’assurer leur sécurité. Ces conditions sont essentielles pour garantir une collaboration à long terme entre l'État et la population.
Jeannine Ella Abatan, chercheure principale, bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le bassin du Sahel et le lac Tchad
Image : © Gouvernement de la République du Bénin
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