Au Bénin, l’essor de la contrebande de carburant appelle à de nouvelles réponses
Le commerce illicite constitue une source importante d'emplois, ce qui rend les solutions structurelles aussi importantes que l'application de la loi.
Le commerce illicite de carburant au Bénin a explosé depuis 1980, lorsque le pays a été confronté à une crise socio-économique et politique qui a entraîné des niveaux de chômage sans précédent, laissant peu d'opportunités aux jeunes. La situation n'est guère meilleure aujourd'hui.
Outre la pauvreté et le sous-développement du secteur formel, le faible nombre de stations-service officielles au Bénin ne suffisent pas à répondre aux besoins des citoyens. En 2016, ce pays d'environ 11 millions d'habitants ne comptait que 350 stations-service, dont la plupart se trouvaient dans les centres urbains.
Le commerce illicite de carburant couvre 80 % de la demande nationale. Les contrebandiers achètent du carburant au Nigeria et le font entrer au Bénin sur des motos, en empruntant des routes clandestines. Le Bénin partage une frontière de 780 kilomètres avec le Nigeria, premier producteur de pétrole d'Afrique de l'Ouest et pays où les subventions gouvernementales rendent le carburant moins cher et donc aisément accessible aux contrebandiers.
Au Nigeria, le détournement de pétrole, qui consiste à voler du pétrole pour le revendre sur le marché noir, contribue au commerce illicite de carburant, car les revendeurs béninois l'achètent sur le marché noir. Même la fermeture de la frontière entre les deux pays entre 2019 et 2021 n'a pas entamé ces réseaux de trafic ; de nombreux points d'entrée informels et mal surveillés du Nigeria au Bénin étaient toujours actifs.
Le gouvernement béninois a entrepris certaines initiatives ayant obtenu des degrés de réussite variables
Le gouvernement béninois a entrepris certaines initiatives qui ont connu un succès variable. Une nouvelle loi adoptée en 2018 a interdit le commerce illicite de carburant et les activités connexes, notamment les ventes tenues en marge du réseau officiel de commerce et de distribution. Ceux qui transgressent cette loi s'exposent à la confiscation de leur produit et à une lourde amende.
En criminalisant le commerce, la loi de 2018 a réaffirmé et renforcé les cadres juridiques en vigueur depuis le début des années 1990. La police a procédé à des arrestations depuis l'adoption de la nouvelle loi, mais celles-ci ne sont pas nombreuses.
Les forces de sécurité ont reçu pour instruction d'empêcher les commerçants d'exposer et de vendre du carburant sur les routes nationales et secondaires. En 2013, le gouvernement a promis 50 milliards de francs CFA (soit 10 millions de dollars américains) pour aider à réintégrer les trafiquants dans le secteur formel. Cependant, cette initiative n'a pas été soutenue par le gouvernement et ses partenaires lors des élections de 2016, et elle a fini par échouer faute de financement.
Depuis 2017, des groupes privés tels que Jehovah Nissi Petroleum, Oryx Energies et Benin Petrol ont contribué à la création et à la multiplication de stations-service officielles dans les grandes villes. Ces entités tentent de combler les lacunes du réseau de distribution officiel.
De violents affrontements entre les forces de sécurité et les contrebandiers ont contraint des responsables gouvernementaux à se rétracter
Des commerçants illicites actifs dans les secteurs formels du Bénin ont déclaré à ISS Today que l'émergence d'entités privées impliquait que de nombreux usagers urbains utilisaient à nouveau les stations-service officielles. Ils ont ajouté que ces alternatives, combinées à une meilleure application de la loi, pourraient éventuellement forcer les revendeurs informels à rejoindre les structures formelles de distribution de carburant.
Selon eux, ce changement pourrait encourager les citoyens à rompre avec le commerce illicite de carburant. La plupart d'entre eux estiment toutefois que le commerce illicite détient toujours une part importante du marché et ne craignent pas que leurs activités soient menacées.
La législation et le déploiement des forces de sécurité depuis 2018 n'ont apporté qu'un soulagement à court terme. Les commerçants de carburant illicite ont été retirés des voies publiques, mais cette opération a duré moins d'un an, et certains sont revenus.
Les mesures gouvernementales ont également déclenché des réactions violentes de la part de commerçants, et les contrebandiers se sont adaptés en modifiant leurs itinéraires et leurs méthodes. De nombreux trafiquants n'opèrent plus sur les routes principales et publiques et recourent plutôt aux zones rurales ou frontalières pour continuer à desservir les habitants des villes.
Un partenariat public-privé pourrait établir un réseau officiel de distribution de carburant à l'échelle du pays
Depuis 2017, de violents affrontements entre les forces de sécurité et les trafiquants ont contraint des représentants du gouvernement à se rétracter à ce sujet ou à banaliser le problème. Ils redoutent une violence plus généralisée et, dans le cas des politiciens, une perte du soutien des électeurs. Par ailleurs, la corruption est un élément à prendre en compte, car les commerçants de carburant illicite offrent des pots-de-vin aux agents des douanes pour s'assurer un passage libre.
L'enregistrement officiel de l'Association des importateurs, transporteurs et revendeurs de produits pétroliers (AITRPP) complique encore la situation au Bénin. Cet organisme formel défend les intérêts commerciaux informels et illégaux, ce qui représente à la fois des risques et des opportunités pour le pays.
L'AITRPP contrôle la distribution nationale de carburant illicite et dispose de représentants à travers le Bénin. Certains de ses représentants clés sont perçus comme ayant des relations politiques importantes et possédant une grande fortune. En conséquence, les gouvernements successifs se sont efforcés de réglementer ou de supprimer le secteur. Toutefois, grâce à son influence, l'AITRPP pourrait collaborer avec le gouvernement pour élaborer des solutions à long terme.
Le commerce illicite de carburant fournit des emplois à environ 40 000 personnes, soit presque autant que le gouvernement. Il est également estimé qu'il génère 105 milliards de francs CFA (soit 160 millions d'euros) par an, et ces gains ne sont pas déclarés aux autorités fiscales. Il s'agit de fonds qui devraient profiter au Bénin.
Le gouvernement doit aller au-delà d’efforts ponctuels pour résoudre le problème. Il convient d'apporter des réponses durables et multidimensionnelles qui s'attaquent aux facteurs structurels. Le gouvernement doit mettre en œuvre des réformes audacieuses en matière de création d'emplois afin d'orienter les personnes impliquées dans le commerce illégal vers l'économie formelle. Un partenariat public-privé pourrait contribuer à la mise en place d'un réseau de distribution officiel en créant des stations-service adaptées aux besoins des citoyens dans les zones urbaines et rurales, dans tout le pays.
Le gouvernement peut également travailler avec les représentants de l'AITRPP pour surveiller le secteur, en particulier dans les régions du nord du Bénin. Cette région est frontalière avec le Niger et le Burkina, deux pays gravement menacés par les mouvements insurrectionnels. Dans un contexte où les extrémistes violents ont besoin de ressources telles que le carburant pour leurs opérations, les réseaux criminels profitent de la distribution de carburant de contrebande, qui pourrait ainsi exacerber la menace terroriste dans la région.
Les gouvernements béninois et nigérians doivent examiner les moyens de formaliser la vente transfrontalière de carburant subventionné, principale source du commerce illicite de carburant. Sans mesures globales et intégrées, la contrebande et le commerce illicite de carburant continueront à saper les perspectives économiques du Bénin et à menacer la sécurité nationale.
David Zounmenou, chercheur principal consultant, Bureau régional pour l'Afrique de l'Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad de l'ISS
Cet article a été réalisé avec le soutien du Fonds britannique pour la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité, et de la Fondation Hanns Seidel.
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