L’Afrique : une faible présence lors du premier forum indopacifique

Même si elle craint d’être prise entre les rivalités qui opposent les grandes puissances, l’Afrique devrait prendre plus au sérieux les avantages potentiels de ce partenariat.

L'espace indopacifique, un concept relativement nouveau, s'étend de l'Afrique du Sud à la Russie, à la Nouvelle-Zélande et au Canada, en passant par la mer Rouge. Ce concept n'est pas bien défini géographiquement et il est encore plus flou sur le plan politique. Cependant, étant donné le développement de son importance géopolitique, c'est une région dans laquelle l'Afrique doit être plus activement impliquée, et ce, pour des raisons de sécurité et de développement.

La France, qui se considère comme une nation indopacifique de par ses nombreux territoires insulaires dans la région, a créé sa première stratégie indopacifique en 2018. L'Union européenne (UE) n’a pas tardé à la suivre. D'autres pays européens ont déjà élaboré des politiques similaires ou sont en train de le faire. Les États-Unis, le Japon et l'Inde ne font pas exception.

À des degrés divers, ces stratégies répondent à la présence croissante de la Chine dans la région. Il n’est donc peut-être pas surprenant que, selon les responsables français, Pékin considère le concept même de « l’Indopacifique » comme étant contre ses intérêts.

Lors du premier Forum ministériel pour la coopération dans l’Indopacifique, qui s’est tenu à Paris le 22 février et était co-présidé par l'UE et la France, la Chine était un sujet tabou. Environ 50 pays et organisations régionales étaient présents, mais la Chine n’a pas été invitée. Les États-Unis ne l’étaient pas non plus, un geste destiné à éviter une éventuelle dispute entre les deux rivaux mondiaux, selon les déclarations des responsables. La Russie n'a pas reçu d’invitation, non plus.

L’Afrique du Sud n’a pas participé au forum parce qu’elle avait conclu qu’il était effectivement un événement anti-chinois

L’absence de la Chine a soulevé la question suivante : s’agissait-il d’une réunion destinée à formuler une stratégie pour la contenir ? La Chine s’enhardit de plus en plus dans la région, notamment en mer de Chine méridionale. Elle affirme de multiples revendications contre des États comme le Vietnam et les Philippines pour une pleine souveraineté sur des centaines d’îles minuscules et atolls. Elle espère étendre ses zones économiques exclusives, dont plusieurs ont été transformées en bases militaires, ou plus précisément, en porte-avions fixes et insubmersibles.

La France et l'UE ont toutes deux nié que le forum visait à former un bloc contre la Chine. « Ce n'est pas contre la Chine ou qui que ce soit, a insisté le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian. Il s’agit du développement de partenariats entre l’Union européenne et l’Indopacifique. »

Cela n’a pas convaincu tout le monde. La ministre sud-africaine des Relations internationales, Naledi Pandor, a été invitée mais a finalement décliné. L’ambassadeur de Pretoria en France devait la représenter, mais il n’est pas venu. Les responsables sud-africains ont déclaré à ISS Today que Pretoria avait conclu que c'était effectivement un événement anti-chinois.

L’absence de l’Afrique du Sud a souligné la faiblesse de la présence africaine au forum. Le centre de gravité de la discussion penchait clairement du côté de la moitié Est de l'océan Indien et du Pacifique occidental.

Les États insulaires de l’océan Indien, à savoir Maurice, Madagascar et Seychelles, ont été les participants les plus actifs de l’Afrique

Selon les responsables, Djibouti a participé à l’événement mais de façon plutôt timide, les États insulaires de l'océan Indien, notamment Maurice, Madagascar et Seychelles, étant les participants africains les plus actifs. Ceci n'est peut-être pas surprenant, étant donné la partialité maritime du concept et l'accent qui était mis sur des sujets tels que l'économie bleue. Les États insulaires pensent également que leurs problèmes de sécurité ne sont pas traités de manière adéquate par l'Union africaine (UA).

Les discussions du forum ont porté sur trois thèmes : la connectivité et la technologie numérique ; les questions mondiales telles que la santé et le changement climatique ; la sécurité et la défense. Les deux premiers thèmes semblaient suffisamment neutres quoique, même dans ces sujets-là, on pouvait sentir la présence de la Chine.

Le pilier connectivité et technologie numérique s’est concentré sur la mise en place de la stratégie 2021 de l’UE baptisée « Global Gateway » (« Portail global ») qui vise à développer des projets d’infrastructures phares, à « promouvoir le modèle européen de protection des données personnelles ». La divergence avec la stratégie de domination internationale de la société chinoise Huawei dans la fourniture de la technologie 5G n’est pas difficile à établir. Les pays occidentaux soupçonnent Huawei de transmettre les informations personnelles de ses clients aux services de renseignement chinois, comme la loi semble l’y contraindre.

Toutefois, c’est lorsque le pilier de la sécurité et de la défense a été abordé que la présence implicite de la Chine a été la plus évidente. L'accent a été mis sur la mise en œuvre des présences maritimes coordonnées (PMC) dans l'océan Indien et d’autres initiatives connexes. Les PMC aspirent en partie à garder les routes maritimes ouvertes à tous, a souligné Jean-Yves Le Drian lors de la conférence de presse qui a suivi l’évènement. Le projet pilote des PMC se déroule dans le golfe de Guinée et vise principalement à lutter contre la piraterie.

Certains pays africains craignent que le concept d’espace indopacifique ne les entraîne dans les rivalités opposant les grandes puissances

L'envoyé spécial de l'UE pour l'Indopacifique, Gabriele Visentin, a déclaré aux journalistes que le forum avait convenu que la première extension de la PMC s’effectuerait dans le nord-ouest de l'océan Indien, dans le détroit d'Ormuz. C’est là le principal goulet d'étranglement maritime stratégique entre le golfe Persique et le golfe d’Oman, juste au nord de l’opération Atalante, où la force navale de l’UE contribue à combattre la piraterie au large des côtes somaliennes.

Gabriele Visentin a déclaré que les PMC pourraient s’étendre à la Méditerranée et à la mer Noire. Il n’a pas écarté la mer de Chine méridionale, où la Chine tente de restreindre la liberté de navigation des navires d’autres pays dans les eaux dont elle revendique la propriété.

La décision de l’Afrique du Sud d’ignorer le forum indopacifique était intéressante. Elle a illustré une nouvelle fois la manière dont celle-ci s’est retrouvée face à des choix limités en raison de ses rapports avec la Chine, à travers de solides liens bilatéraux et son adhésion au groupe BRICS. Le bloc économique Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud se considère comme un contrepoids à la domination mondiale occidentale. De même, l’Afrique du Sud a refusé de participer au sommet virtuel du président américain Joe Biden pour la démocratie parce que Pretoria le considérait comme un évènement anti-chinois.

Par contre, l'Inde, un autre membre du groupe BRICS, n’a pas eu de scrupule à propos du forum indopacifique. Lors de la séance d’ouverture, le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, s’est félicité de l’engagement de l’UE à contribuer à la sécurité de la région. Il a sous-entendu que la présence de l’UE établissait un certain équilibre avec des forces régionales — qu’il n’a pas nommées — qui pesaient de tout leur poids sans le moindre respect du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté — une référence apparemment à la Chine.

Il pourrait y avoir de nombreuses raisons à l’indifférence relative de l’Afrique à l’égard du forum indopacifique de la France, notamment une simple « fatigue évènementielle », comme l’ont suggéré les responsables français. En effet, le forum se déroulait peu après les sommets de l'UA et de l'UA-UE.

Certains États africains, en dehors des nations insulaires, ont encore besoin d’être convaincus des avantages de l’espace indopacifique. Des pays, comme l'Afrique du Sud, se méfient du concept indopacifique et craignent d'être entraînés dans les rivalités opposant les grandes puissances.

Pourtant, il semblerait que le concept n’est pas près de disparaître. Ainsi, comme l’a suggéré Denys Reva, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS), l’Afrique doit se montrer plus proactive dans l’élaboration de sa vision de « l’espace indopacifique » et de ses avantages, tout en conservant son autonomie régionale.

Peter Fabricius, Consultant, ISS Pretoria

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