L’Afrique doit tirer des enseignements maritimes de ses petits États insulaires

L’Union africaine et les États africains se doivent de reconnaître les progrès réalisés par les organisations telles que la Commission de l’océan Indien.

Le 24 janvier 2021, la frégate française Nivôse saisissait 444 kg de méthamphétamine et d’héroïne d’une valeur de plus de 40 millions d’euros à bord d’un voilier sur le canal du Mozambique. Cette affaire constitue l’exemple le plus récent de la prolifération de la criminalité transnationale organisée dans l’océan Indien occidental.

Les répercussions en matière de sûreté et de sécurité le long du vaste littoral africain, qui échappe en grande partie à la surveillance, sont considérables. Une grande partie du trafic d’héroïne entre l’Afghanistan et l’Europe transite notamment par l’océan Indien, le long du tristement célèbre itinéraire sud.

Les conflits terrestres représentent également une menace maritime importante. L’insurrection de Cabo Delgado, au Mozambique, a progressivement acquis une dimension maritime, laissant présager de futurs actes de piraterie ou de terrorisme maritime. L’océan Indien occidental est également marqué par la pratique d’activités de pêche illégale et d’exploitation d’autres ressources naturelles en mer, qui nuisent aux moyens de subsistance des communautés côtières.

Si tous les États côtiers africains sont concernés, les petits États insulaires en développement que sont les Seychelles, l’Union des Comores, Maurice, Madagascar et la Réunion (France) sont les premiers touchés, car ils se situent en première ligne des menaces maritimes dans cette région.

Les petits États insulaires africains de l’océan Indien occidental

Les petits États insulaires africains de l’océan Indien occidental

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Pour ces États insulaires, l’un des principaux défis réside dans le fait que les efforts déployés par l’Union africaine (UA) et les États africains pour lutter contre l’instabilité maritime n’ont pas toujours tenu compte de leurs intérêts. Les petits États insulaires ont souvent été livrés à eux-mêmes, contraints de se surpasser pour faire face aux menaces maritimes. Cette reconnaissance limitée de leurs efforts a été perçue comme une indication que leurs besoins ne constituaient pas une priorité pour l’Afrique. Ils ont donc généralement cherché à renforcer leurs liens avec des pays non africains.

Cette situation semble toutefois être sur le point de changer. Les événements récents démontrent que les États insulaires sont des acteurs majeurs dans la lutte régionale contre la criminalité maritime organisée et les autres problèmes maritimes. La participation active d’organisations et de partenaires internationaux, notamment en matière de financement, a contribué à maintenir ces efforts.

Deux facteurs permettent d’expliquer le rôle croissant des petits États insulaires. Premièrement, il est difficile pour tout pays de s’attaquer seul aux problèmes maritimes. La nature transnationale de ces menaces signifie que la solution implique la coopération des services de police, le partage des renseignements et la coordination transfrontalière. Certains États, tels que les Seychelles et Maurice, se sont positionnés en tant qu’acteurs référents majeurs et fiables dans le cadre des efforts internationaux de lutte contre la piraterie.

Deuxièmement, les États insulaires disposent généralement de ressources limitées, si bien que le coût que représente l’acquisition des capacités et des moyens nécessaires pour faire face aux menaces maritimes est quelque peu atténué par leur réseau de partenariats.

Les petits États insulaires ont souvent été livrés à eux-mêmes, contraints de se surpasser face aux problèmes maritimes

En conséquence, les initiatives maritimes au sein de l’océan Indien occidental se sont multipliées. Deux organisations intergouvernementales en particulier se démarquent. L’Association des États riverains de l’océan Indien (Indian Ocean Rim Association, ou IORA) regroupe 23 États bordant l’océan Indien situés en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est, en Océanie et en Europe. L’Association favorise la coopération entre les gouvernements, les universités et la société civile en matière de sécurité maritime, de commerce, de gestion des catastrophes, d’économie bleue et de tourisme. L’IORA possède un excellent potentiel, mais a tardé à intégrer la sécurité maritime dans ses activités.

La deuxième organisation est la Commission de l’océan Indien (COI), qui s’est progressivement imposée comme pilier dans la mise en œuvre de dispositifs de gouvernance et de sécurité maritimes. Les membres fondateurs de la COI, les Seychelles, Maurice et Madagascar, ont ensuite été rejoints par la Réunion (France) et l’Union des Comores. La COI est la seule organisation maritime composée exclusivement d’États insulaires, ce qui lui a permis de se concentrer sur leurs intérêts et défis.

Bien qu’elle ne soit pas reconnue par l’UA en tant que communauté économique régionale, la COI collabore avec d’autres organismes régionaux, tels que l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté d’Afrique de l’Est et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe, et contribue à orienter leurs efforts en matière de sécurité maritime dans le cadre du Programme Sécurité maritime (MASE) financé par l’Union européenne.

Les États insulaires sont en voie de devenir des acteurs majeurs dans les efforts régionaux de lutte contre la criminalité maritime organisée

L’efficacité de la COI ne se limite pas aux seuls intérêts de ses membres. En effet, la Commission accueille actuellement le secrétariat du Groupe de contact sur la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes et gère la plateforme régionale de partage d’information et de gestion d’incidents dans l’océan Indien (IORIS), financée par l’Union européenne. La COI a en outre établi des réseaux régionaux de partage et de coordination des informations maritimes à Madagascar et aux Seychelles.

Il convient également de souligner le rôle de la France dans le cadre de ces efforts maritimes régionaux, comme le démontre la récente saisie au large du Mozambique. Bien que sa présence soit source de controverse pour de nombreux États africains, la France s’est hissée au rang d’acteur clé dans la région grâce à la Réunion, un de ses territoires d’outre-mer. La France a rejoint l’IORA en 2020 et succèdera aux Comores à la présidence de la COI à partir de mars 2021.

Le rôle central que joue la France dans l’océan Indien occidental révèle un certain nombre de failles dans l’approche africaine en matière de sécurité maritime. Face à ces lacunes, l’UA se doit de reconnaître le succès de la COI et soutenir les organisations concernées.

Bien que la COI travaille en étroite collaboration avec des organismes régionaux tels que la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’IGAD, ainsi qu’avec des États côtiers comme le Kenya, aucune organisation ou pays africain n’a jamais bénéficié du statut d’observateur auprès de la Commission. La participation de l’UA en tant qu’observateur pourrait permettre d’atténuer la crainte de certains gouvernements africains de voir des États étrangers empiéter sur leur territoire.

Le rôle central que joue la France dans l’océan Indien occidental révèle un certain nombre de lacunes dans l’approche africaine en matière de sécurité maritime

La nomination en 2018 par l’UA de l’ancien président des Seychelles, Danny Faure, au titre de champion de l’économie bleue est une marque de reconnaissance importante de la valeur des petits États insulaires dans la réalisation des ambitions maritimes de l’Afrique. L’UA doit désormais inclure ces États dans ses structures décisionnelles afin que les deux parties puissent en tirer profit. Une coopération plus rapprochée permettrait de soutenir l’objectif global de l’UA, visant à accroître la création de richesses dans un espace maritime africain stable et sûr.

Une nouvelle occasion de travailler de manière proactive avec les petits États insulaires de l’océan Indien occidental pourrait se présenter lorsque la SADC approuvera sa nouvelle stratégie de sécurité maritime. La protection de nos mers et la mise en valeur de leur vaste potentiel constituent un objectif commun à tous les pays du continent. Les petits États insulaires africains ont de nombreux enseignements et expériences à partager.

Richard Chelin, chercheur, ENACT, ISS; et Denys Reva, chargé de recherche, Opérations de paix et consolidation de la paix, ISS Pretoria

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