L’Afrique peut-elle accéder à l’influence mondiale grâce au G20 ou aux BRICS ?
L’adhésion de l’UA au G20, plus représentatif, lui offrirait un accès direct aux plus grandes puissances mondiales.
Publié le 18 novembre 2022 dans
ISS Today
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L’Afrique ne dispose pas de siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, et cette situation risque de durer. L’adhésion à des clubs multilatéraux informels tels que le G20 ou les BRICS peut-elle permettre à l’Afrique de disposer d’une voix alternative, qui serait bien utile pour peser dans les décisions mondiales ?
Dans un ordre mondial ébranlé par la guerre de la Russie contre l’Ukraine, l’Afrique doit plus que jamais veiller à ne pas se retrouver marginalisée. Cette semaine, à l’occasion du sommet du G20 à Bali, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a appelé ses pairs à accorder à l’Union africaine (UA) un siège permanent.
Il a noté, par exemple, que le soutien continu du G20 à l’initiative pour les énergies renouvelables en Afrique « en tant que moyen d’apporter de l’énergie propre au continent dans des conditions édictées par l’Afrique » pourrait encore mieux fonctionner si l’UA était membre du G20.
L’Afrique du Sud est actuellement le seul membre africain du groupe. Le président sénégalais Macky Sall, qui a participé d’office au sommet en tant que président en exercice de l’UA, a réitéré ses appels en faveur de l’admission de l’UA. En septembre, il a déclaré devant l’Assemblée générale des Nations unies que l’UA devait se voir « accorder un siège au sein du G20, afin que l’Afrique puisse enfin être représentée dans l’enceinte où sont prises des décisions qui concernent 1,4 milliard d’Africains ».
Contrairement à d’autres groupes, tels que le G7 ou le G77+Chine, le G20 tente de réduire un clivage
Ramaphosa et Sall ont tous deux annoncé à Bali que le président chinois Xi Jinping appuyait leur demande. Le président français Emmanuel Macron a également déclaré la soutenir. Sall a rappelé que le G20 avait convenu de discuter de la question lors de son prochain sommet, qui aura lieu l’année prochaine.
Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale à l’Institut d’études de sécurité à Pretoria, estime qu’il s’agit « d’une réussite importante pour l’UA que d’avoir obtenu le soutien de ses membres pour les représenter dans un forum tel que le G20 ». Il faut noter que cette proposition gagne également les faveurs d’autres membres du G20.
Le G20 sert en partie de facilitateur pour accéder au Conseil de sécurité des Nations unies, dans lequel l’Afrique, en autres, cherche à obtenir une représentation permanente. Le G20 réunit 19 pays « d’importance systémique » ainsi que l’Union européenne de façon informelle dans le but d’examiner les questions économiques les plus pressantes au niveau mondial. Sont évoqués notamment les sujets de la dette, des crises financières, de la santé et du changement climatique.
Bien entendu, il lui manque le pouvoir du Conseil de sécurité des Nations unies de rendre obligatoires ses décisions. Mais comme l’a montré la guerre en Ukraine, le Conseil de sécurité est paralysé par les différends entre ses membres permanents, dont la Russie, qui brandissent leur droit de veto. Une partie du pouvoir du Conseil de sécurité a donc été transférée à l’Assemblée générale des Nations unies, mais c’est un organe difficile à manier.
Dans le même temps, le G20, qui existe depuis 14 ans au niveau du sommet, a démontré son utilité en tant qu’espace de discussions mondial sur les enjeux non sécuritaires. Contrairement à d’autres formations, telles que le G7 ou le G77+Chine, qui rassemblent des pays ayant des intérêts et des dispositions similaires, le G20 attire en ce qu’il tente de réduire les clivages. Il réunit autour d’une même table les nations, sinon en développement, du moins émergentes et les nations développées.
L’Afrique est indirectement représentée au G20 par l’adhésion de l’Afrique du Sud
L’Afrique est indirectement représentée au G20, mais pas de façon explicite, grâce à l’adhésion, depuis le début, de l’Afrique du Sud. Depuis quelques années, le G20 invite régulièrement le président en exercice de l’UA à participer à ses sommets. Mais l’Afrique du Sud et probablement de nombreux autres pays africains estiment que cela n’est pas suffisant.
Ramaphosa voulait sans doute dire que l’Afrique avait besoin d’une voix plus forte que celle de la seule Afrique du Sud à la table des négociations. Il est probablement vrai aussi que l’Afrique du Sud n’est pas toujours la digne représentante des intérêts africains. En tant que pays hybride, à cheval sur le monde en développement et le monde développé, elle a souvent des intérêts divergents.
Lorsque, par exemple, l’Afrique du Sud réitère la plainte habituelle de l’Afrique réclamant une indemnisation pour le continent en tant que victime innocente du réchauffement climatique, Pretoria semble oublier que l’Afrique du Sud est le douzième plus important pays émetteur de gaz à effet de serre.
Et lorsque Ramaphosa menait une campagne énergique, en tant que président de l’UA, en faveur de la levée des brevets mondiaux sur les vaccins contre la COVID-19, afin que l’Afrique du Sud et ses homologues comme l’Inde puissent les fabriquer à moindre coût, on peut se demander si cela servait l’intérêt général de l’Afrique. Le continent avait probablement besoin d’obtenir des vaccins plus rapidement, et ce par tous les moyens possibles, plutôt que d’une capacité de fabrication à long terme.
Entre-temps, le bloc des BRICS réfléchit également à un possible élargissement, ce qui soulève la question de savoir s’ils ont quoi que ce soit à offrir à l’Afrique. De la même manière que l’Afrique du Sud a été invitée à rejoindre le G20 en tant que représentante officieuse de l’Afrique, les membres fondateurs des BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine) ont manifestement proposé à l’Afrique du Sud de devenir membre en 2011, en partie pour représenter le continent.
Les BRICS risquent de consolider leur identité en tant que groupe de marchés émergents
Pourtant, les BRICS n’ont pas le même poids que le G20 car il s’agit d’un groupe de pays beaucoup plus petits et qui ne rassemble jusqu’à présent que des nations émergentes. Tous les membres des BRICS appartiennent également au G20. Les BRICS se comportent donc en partie comme un sous-groupe de pays émergents au sein du G20, contrairement au G7, qui représente les nations riches et développées.
Cependant, les BRICS sont sur le point de s’élargir. En 2021, ils ont accepté le Bangladesh, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Uruguay comme membres de leur « Nouvelle banque de développement ». Et durant leur sommet en Chine cette année, les dirigeants des BRICS ont décidé d’entamer le processus d’élargissement de ses membres.
L’Argentine, le Mexique, l’Égypte et l’Indonésie font tous pression pour y adhérer. Moscou et Téhéran ont annoncé après le sommet que l’Iran avait posé sa candidature. Et lorsque Ramaphosa s’est rendu en Arabie saoudite le mois dernier, Riyad a également fait part de son intérêt.
Un responsable de l’un des pays membres des BRICS a déclaré à ISS Today que les dirigeants du bloc avaient décidé que chacun des cinq membres actuels devait désigner un nouveau candidat issu de sa région. L’Afrique du Sud est encore en train de réfléchir au pays à proposer, mais il semble que cela se jouera dans un mouchoir de poche, entre l’Égypte et le Nigeria. La tâche épineuse de gérer la question de l’élargissement incombera à l’Afrique du Sud lorsqu’elle prendra la présidence des BRICS l’année prochaine.
La prudence est toutefois de mise pour les pays africains qui aspirent à adhérer au groupe des BRICS. Ce n’est pas la même chose que de rejoindre le G20. Alors que le G20 est largement — mais pas complètement, bien sûr — représentatif, les BRICS risquent de se contenter de consolider leur identité de groupe de marchés émergents.
Pire encore, des signes inquiétants ont été observés lors du sommet des BRICS en Chine, indiquant que le président russe Vladimir Poutine pourrait tenter d’utiliser le groupe comme arme dans une alliance plus agressive contre l’Occident. C’est justement dans ce contexte que Moscou a annoncé le souhait de Téhéran de rejoindre l’alliance. Il est apparu par la suite que l’Iran fournit la Russie en armes contre l’Ukraine.
Peut-être que l’admission d’un plus grand nombre de pays permettrait de diluer ces tendances. De nouveaux membres comme l’Argentine et le Mexique pourraient y contribuer. Mais peut-être pas. Il est certain que l’Afrique du Sud considère que l’élargissement des BRICS les renforcera en tant que contrepoids à l’Occident, afin d’équilibrer ce qu’elle considère comme un ordre mondial unipolaire dominé par l’Occident.
Mais le monde n’a pas besoin d’une plus grande polarisation en ce moment. Il est préférable que l’Afrique accorde la priorité à l’adhésion permanente au G20 par l’intermédiaire de l’UA afin d’obtenir un siège à une table où elle pourra parler directement aux plus grandes puissances mondiales.
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : © Yandisa Monakali/DIRCO
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