REUTERS/Zohra Bensemra

Les réfugiés africains, premières victimes de la politique mondiale

Alors qu’on célèbre la Journée mondiale des réfugiés, les déplacés font face à la baisse de l'aide humanitaire et à la fermeture des frontières.

Le nombre de déplacés en Afrique a doublé depuis 2018. Pour la 14e année consécutive, les conflits et le changement climatique ont poussé un nombre record de personnes à partir de chez elles.

Les changements des priorités nationales, l'incertitude économique et la lassitude des donateurs ont entraîné un repli de l'attention politique vers leurs problèmes internes. Les dépenses de défense ont augmenté et l’aide a baissé d’autant, les programmes de réinstallation des réfugiés ont été fermés et la sécurité aux frontières a été renforcée. Les réfugiés africains en sont les premières victimes. Face à des situations désespérées, ils sont désormais confrontés à des menaces encore plus grandes pour leur survie.

La semaine dernière, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a publié son rapport annuel sur les tendances mondiales. À la fin de 2024, 123,2 millions de déplacés étaient recensés, soit une augmentation de sept millions en un an. La plupart des Africains déplacés restent dans leurs pays d'origine ou dans des pays voisins, dont beaucoup sont également pauvres en ressources et en proie à des conflits.

Le nombre de personnes déplacées internes (PDI) en Afrique a triplé depuis 2015, atteignant les 35,4 millions en 2024. Le Soudan et la République démocratique du Congo (RDC) représentaient près de la moitié (45 %) de l’ensemble des déplacements internes liés à des conflits à travers le monde en 2024.

Le Soudan est le théâtre de la plus grande crise humanitaire et de déplacement. La guerre civile a chassé 14,4 millions de personnes de leurs domiciles et a laissé les deux tiers de la population dans le besoin d'aide humanitaire. La plupart (11,6 millions) sont des déplacés internes (voir graphique) et 2,8 millions ont fui leur pays. À la fin de 2024, le conflit dans l'est de la RDC avait fait 1,22 million de réfugiés et de demandeurs d'asile, et 6,9 millions de déplacées internes.

 

En avril 2025, le HCR a signalé que le nombre total de réfugiés dans le monde avait baissé de 1 % pour la première fois en dix ans. En 2024, 1,6 million de personnes sont retournées dans leur pays d'origine, principalement en Syrie, en Afghanistan et en Ukraine. Beaucoup sont revenues dans des conditions précaires après avoir renoncé à accéder à leurs droits et aux services dans les pays d'accueil.

Le Sud-Soudan a été le seul pays africain à connaître des retours importants. La plupart des réfugiés du continent n’envisagent pas de rentrer chez eux en raison de la persistance des conflits. Beaucoup finissent par passer leur vie dans des camps extrêmement sous-financés, incapables de travailler, d'étudier ou de se déplacer librement. Les coupes budgétaires aggraveront leurs perspectives d'avenir.

Le Conseil norvégien pour les réfugiés publie chaque année une liste des dix crises de déplacement les plus négligées. En 2025, huit d'entre elles se trouvent en Afrique et touchent le Cameroun, l'Éthiopie, le Mozambique, le Burkina Faso, le Mali, l'Ouganda, la RDC et la Somalie.

Le Conseil a classé celle du Cameroun comme la plus négligée, lui attribuant une note de zéro sur 30 pour la volonté politique et la couverture médiatique « négligeable ». Le Cameroun accueille des personnes qui fuient les conflits internes et les violences dans le bassin du lac Tchad et en République centrafricaine. Il compte 1,1 million de déplacés internes, 480 000 réfugiés et 2,8 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.

La plupart des gains marginaux des trois dernières années concernant la réinstallation de réfugiés sont dus aux États-Unis. Son plafond de réinstallation a été relevé à 125 000 réfugiés par an au cours des trois dernières années du mandat de l'ancien président Joe Biden. Bien qu'il n'ait pas été atteint chaque année, les États-Unis ont réinstallé 100 034 réfugiés en 2024, soit le nombre le plus élevé depuis trois décennies.

Le Soudan et la RDC représentaient 45% de tous les déplacements internes liés à des conflits en 2024

Au début de son deuxième mandat, le président américain Donald Trump a signé un décret imposant un arrêt quasi total de l'aide étrangère et du Programme d'admission des réfugiés, suivi de l’arrêt des activités d’aide aux réfugiés. Des rapports indiquent également que 250 millions de dollars du budget américain de l’aide étrangère sont réorientés vers le rapatriement des étrangers, souvent sans procédure régulière et parfois contre les décisions de justice.

Les États-Unis ont récemment mis en place une interdiction de voyager qui touche de manière disproportionnée les Africains, notamment une interdiction totale pour les ressortissants du Tchad, du Congo-Brazzaville, de la Guinée équatoriale, de l'Érythrée, de la Libye, de la Somalie et du Soudan, et une interdiction partielle pour ceux du Burundi, de la Sierra Leone et du Togo.

Si les États-Unis ont procédé aux changements les plus drastiques, le Royaume-Uni aussi a réduit son aide au développement de 40 % et plusieurs pays européens ont annoncé une réduction de leur aide. L'Union européenne (UE) a redirigé une partie de son budget consacré au développement vers l'Ukraine et la gestion des frontières. De tout temps, l'aide publique au développement a été éclipsée par les dépenses militaires (voir graphique).

 

Les pays européens et l'UE réorientent également leurs politiques migratoires, passant d'un soutien humanitaire et de légalisations à un renforcement des mesures de sécurisation pour réduire les flux migratoires et faire pression sur les gouvernements pour qu'ils acceptent les retours.

Dans le cadre du pacte sur les migrations et l'asile, qui doit entrer en vigueur en 2026, la Commission européenne supprimera l'obligation d'établir un lien entre un migrant et un « pays tiers sûr ». Celui-ci pourra alors être envoyé dans n'importe quel pays jugé « sûr », même s'ils n'ont aucun lien avec celui-ci. Le pacte prévoit également un traitement rapide des demandes d'asile pour les personnes provenant de pays jugés sûrs, ainsi que leur détention.

Avant ces coupes importantes, le déficit mondial de financement pour les réfugiés était déjà de 24 milliards de dollars US en 2024. La baisse des financements de l'aide alimentaire humanitaire devait atteindre les 45 %, alors que la plupart des personnes déplacées de force sont dans des régions en proie à des crises alimentaires. Les réductions concomitantes de l'aide au développement réduiront la capacité fiscale des gouvernements des pays d'accueil à soutenir les réfugiés.

Huit des dix crises de déplacement les plus négligées au niveau mondial en 2025 sont en Afrique

Les envois de fonds sont la forme d'aide la plus résiliente et ont un rôle essentiel pour le développement. Ils constituent le plus important flux financier vers l'Afrique et se sont avérés anticycliques, c'est-à-dire que, la plupart du temps, ils augmentent lorsque les marchés baissent ou subissent un choc. Dans le cadre d'une autre mesure visant ostensiblement à lutter contre la migration irrégulière, une taxe de 3,5 % sur les transferts de fonds est incluse dans le projet de loi américain « One, Big, Beautiful Bill » qui aurait un impact direct sur le développement en Afrique s'il était adopté.

La somme de ces conditions est catastrophique pour les réfugiés et les déplacés internes en Afrique. De nombreuses personnes sont exposées à des dangers, avec moins de protections et presque aucune perspective. Les programmes touchant l'éducation, le soutien psychosocial et les soins de santé sont les premiers à être supprimés, car ils ne sont pas considérés comme vitaux.

Plusieurs pays africains qui résistent déjà ou sont carrément hostiles aux réfugiés seront plus enclins à fermer leurs frontières et à démanteler les camps s'ils pensent que le monde ne s'intéresse plus à eux ou applique deux poids deux mesures. Dans certaines circonstances, ces conditions favoriseront la migration et pousseront les gens vers l'illégalité.

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