« S’adapter ou mourir » : le message de Zelensky doit inciter le Conseil de sécurité à se réformer

L’impuissance des Nations unies en Ukraine montre à quel point il est impératif de ne plus laisser la sécurité mondiale entre les mains de cinq pays.

En demandant au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) de s'interroger sur sa raison d'être, l'audacieux président ukrainien Volodymyr Zelensky a mis en lumière un enjeu géopolitique épineux qui fait obstacle à la paix et à la sécurité internationales. Les Nations unies se sont révélées impuissantes face à l'invasion brutale de l'Ukraine par la Russie et ses crimes de guerre présumés, l'agresseur disposant en effet d'un droit de veto sur les décisions du CSNU.

Le Conseil fut créé en 1945 pour veiller au maintien de la paix dans le monde. Cependant depuis lors, malgré près de huit décennies de changements dans les dynamiques économiques et politiques mondiales, sa composition n’a pas évolué. Le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil (P5 : la Russie, la Chine, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni) est un héritage obsolète de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, il empêche le Conseil de remplir sa mission principale.

Les menaces actuelles pour la sécurité mondiale ne sont pas seulement les conflits violents, mais aussi le changement climatique, les pandémies, la cybercriminalité, les armes biologiques et le terrorisme nucléaire. Le besoin de changement ne s’est jamais fait aussi pressant, au moment où le monde sort de la pandémie de COVID-19, sur une planète confrontée à un point de basculement environnemental et à un État autocratique doté de l’arme nucléaire qui se rend coupable de crimes de guerre en Europe.

Dans son discours du 5 avril devant le CSNU, Volodymyr Zelensky a décrit précisément comment des soldats russes avaient exécuté des familles entières et tenté de brûler leurs corps. Il a parlé de civils violés, torturés et abattus, soufflés par des grenades ou écrasés par des chars, la gorge tranchée et la langue arrachée. Il a dit que cela s'apparentait à du terrorisme venant de la part d'un membre permanent du Conseil qui a le pouvoir de provoquer une crise alimentaire et énergétique mondiale. La Russie a transformé son droit de veto en permis de tuer.

Le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité l’empêche de remplir sa mission principale

Au moment où il était le plus sollicité, le CSNU n’a pas eu grand-chose à offrir, l'un de ses États membres refusant d’agir. « Où est donc la paix pour laquelle les Nations unies ont été créées et qu’elles devaient garantir ?, s’est interrogé Zelensky. Il est évident que l'institution mondiale clé ne fonctionne pas efficacement. »

Il a déclaré que si la réforme de l'ONU était intervenue plus tôt, la guerre aurait pu être évitée. Il a appelé à la tenue d'une conférence mondiale sur la réforme à Kiev, la capitale de l'Ukraine, dans le but de transmettre aux générations futures une ONU qui puisse garantir la paix et prendre les devants pour répondre aux défis en matière de sécurité.

À défaut de changement complet, y compris la fin des sièges permanents et des droits de veto associés pour certains États, le CSNU risque de perdre toute légitimité. Il y a certainement une volonté de réforme, mais celle-ci se heurte à la résistance des cinq membres permanents, dont il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils votent en leur propre défaveur.

Les atrocités commises par la Russie en Ukraine ne sont pas l’unique raison pour laquelle il faut empêcher les cinq membres permanents de faire obstacle à l'ensemble de l'architecture de sécurité mondiale. Sous Donald Trump, les États-Unis se sont passés du consensus international. La Chine n'est pas une démocratie et devient une menace pour sa région. Après le Brexit, le Royaume-Uni a perdu de sa stature au niveau mondial, tandis que la France pourrait élire un candidat populiste à sa tête, avec des conséquences imprévisibles.

L'Ukraine est l'un des nombreux conflits dans lesquels le CSNU n'a pas été à la hauteur et a fait l'objet de critiques

Si le CSNU avait été réformé et adapté, la communauté mondiale aurait condamné l'invasion de la Russie et des sanctions contraignantes auraient été prises, avec au moins le déploiement d'une mission d'observation. Grâce aux rapports de cette mission, la Russie aurait été tenue de rendre compte de ses crimes internationaux et les autres puissances mondiales auraient dû y réfléchir à deux fois avant de s’aventurer dans des opérations militaires.

L'Ukraine n'est qu'un des nombreux conflits dans lesquels le Conseil n'a pas été à la hauteur et a fait l'objet de vives critiques. Au Yémen, les États-Unis ont soutenu l'Arabie saoudite dans le but de contrer l'influence iranienne dans la région. La Russie a soutenu le gouvernement de Bachir al-Assad en Syrie et s'est constamment opposée aux résolutions du CSNU déposées par l'Occident. Certains conflits ne sont même pas inscrits à l'ordre du jour du Conseil, à l’instar de celui du Cachemire, où le Pakistan agit par l'intermédiaire de la Chine, tandis que l'Inde les contre par l'entremise de la Russie et des États-Unis.

Les pays africains ont tiré les leçons des interventions mondiales précédentes, comme l’enlisement qui a suivi l'imposition par le CSNU d'une zone d'exclusion aérienne en Libye en 2011. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles 17 pays africains – la région détenant le record du plus grand nombre d'abstentions – ont refusé de voter la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies du 2 mars condamnant l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Bien que profondément divisés sur la crise ukrainienne, les pays africains sont unis quant à la nécessité de réformer le CSNU. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa estime que la guerre a mis en évidence l'incapacité du Conseil à maintenir la paix et la sécurité, et que sa composition actuelle est dépassée et désavantage les pays en développement.

Elect The Council reconnaît que les grandes puissances mondiales doivent faire partie d’un CSNU réformé

Il a raison, mais la position africaine, connue sous le nom de consensus d’Ezulwini, n’y apporte pas de solution. Elle a été adoptée par l'Union africaine en 2005 pour bloquer un précédent effort de réforme, puis défendue par l'Inde, le Brésil, l'Allemagne et le Japon. Mais elle ne propose guère un CSNU adapté au futur.

L'une des solutions proposées par Kemal Dervis et José Antonio Ocampo, d'anciens ministres qui ont occupé des postes à responsabilité au sein du système des Nations unies, consiste à permettre de renverser un veto de l’un des cinq membres permanents par une double majorité importante, comme par exemple une majorité des deux tiers des pays membres.

Le Liechtenstein et 37 autres pays ont récemment déposé une résolution à l'Assemblée générale qui convoquerait automatiquement une réunion de l'Assemblée en cas d’utilisation de son droit de veto par un membre permanent du CSNU. Mais, étant donné que la proposition ne vaut que pour la durée de l'actuelle Assemblée, qui se termine en septembre, elle ne peut guère être qualifiée de réforme.

L'initiative Elect The Council de l'Institut d’études de sécurité va plus loin et reconnaît que les grandes puissances mondiales doivent faire partie d’un CSNU réformé. Elle propose une catégorie d'États, ou des coalitions d'États, représentant 3 % de la population mondiale, 5 % du PIB mondial et contribuant à hauteur de 5 % au budget des Nations unies. Ceux-ci seraient automatiquement inclus dans un nouveau CSNU, avec des pouvoirs de vote accrus mais sans droit de veto.

L’initiative Elect The Council suggère que les puissances régionales soient éligibles pour des mandats de trois ans renouvelables et que chaque région élise des membres par rotation. Ce Conseil réformé assurerait une représentation proportionnelle de toutes les régions du monde. Aucun État ne disposerait de siège permanent ni de droit de veto, et les changements seraient introduits progressivement sur une période de 18 ans, au cours de laquelle les cinq membres permanents actuels continueraient de faire partie du Conseil avec des droits de vote accrus, mais seraient privés de leur droit de veto.

M. Zelensky a mis la réforme du CSNU à l'ordre du jour avec une urgence provoquée par l'invasion d'un État souverain par une superpuissance et la menace d'une conflagration en expansion. De la crise peut naître une opportunité. L'agression de la Russie est l'impulsion nécessaire à un changement radical qui rendrait le CSNU plus légitime, plus efficace et en mesure de jouer un rôle plus important dans la paix mondiale.

Jakkie Cilliers, chef du programme African Futures and Innovation et président du conseil d'administration de l'ISS

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