La Chine contre l’Occident : une compétition qui nuit à l’avenir de l’Afrique

Pour se développer tout en réduisant la pauvreté, l’Afrique a besoin de la Chine et de l’Occident.

L’analyse d’un nouveau scénario à long terme confirme que la Chine deviendra le pays le plus puissant du monde d’ici le milieu du siècle, détrônant ainsi les États-Unis. L’Occident, qui englobe les États-Unis et l’Union européenne (UE), ne pourra pas freiner la Chine dans son élan vers le statut de grande puissance.

Cette étude, réalisée par l’équipe de Futurs africains et Innovation de l’Institut d’études de sécurité (ISS), a évalué la probable répartition du pouvoir dans le monde dans l’avenir, à l’aide de la plateforme de prévision International Futures du Centre Frederick S Pardee. Son objectif était de tester l’effet de différents scénarios de l’avenir du monde sur l’Afrique, qui est le continent qui présente les plus grands défis en matière de développement. Quatre scénarios ont ainsi été modélisés : un monde durable, un monde divisé (la trajectoire actuelle), un monde en guerre et un monde en croissance.

L’analyse a montré que, malgré la montée en puissance de la Chine, l’Occident continuerait à dominer le monde si les relations entre les États-Unis et l’Union européenne se maintenaient. L’Occident devrait conserver un avantage technologique et économique, même face à un éventuel axe sino-russe.

Cependant, rien n’est joué d’avance, et de nombreux changements, improbables mais à fort impact, pourraient venir perturber cette tendance. Il pourrait s’agir en premier lieu de l’implosion de l’une des grandes puissances, les États-Unis, la Chine ou l’UE. Dans le cas de l’UE, l’inverse pourrait également se produire, avec un élargissement à la Turquie et à une Russie démocratique.

Dans scénario actuel d’un monde divisé, l’extrême pauvreté devrait augmenter de 48 % en Afrique à l’horizon 2043

Une intégration régionale plus poussée en Asie pourrait faire de cette région le bloc politique et économique mondial le plus important et le plus influent. Mais il faudrait pour cela mettre fin aux divisions entre l’Inde, la Chine et le Japon, notamment.

Paradoxalement, la plus grande menace qui pèse sur la montée en puissance de la Chine est sa potentielle démocratisation. Dans tous les autres pays, à l’exception du Moyen-Orient riche en pétrole, la hausse des revenus a déclenché un mouvement favorable à l’accomplissement de l’individu et, en fin de compte, une poussée démocratique. Ce type de changement viendrait probablement perturber la trajectoire de croissance actuelle de la Chine. Cela aurait un impact négatif sur l’Afrique, étant donné l’importance de la Chine en tant que partenaire commercial, investisseur et bâtisseur.

Il existe un scénario encore moins probable, celui qui prévoit que, si elles ne sont pas maîtrisées, les divisions auxquelles on assiste aux États-Unis déboucheront sur des violences intérieures et dégénéreront en conflit armé. Les évolutions aux États-Unis, dans l’UE ou en Chine pourraient donc se révéler décisives pour l’avenir du monde.

Mais l’élément perturbateur le plus probable est l’impact accéléré du changement climatique. Il pourrait forcer à réévaluer la trajectoire mondiale actuelle – vers un monde divisé – et donner l’impulsion nécessaire à une réponse collective.

Il faudra des efforts déterminés pour refonder des relations Chine-Occident basées sur le respect et l’acceptation des différences

L’orientation de l’Inde affectera également le futur équilibre mondial du pouvoir et la nature de l’ordre mondial. Les relations entre les États-Unis et l’UE sont importantes pour le maintien de la domination de l’Occident. Mais l’éventuel retour des politiques étrangères désastreuses de Donald Trump – s’il venait à être réélu à la présidence des États-Unis en 2024 – pourrait consommer la séparation entre l’UE et les États-Unis.

Et bien que la guerre en Ukraine ait renforcé les relations au sein de l’UE et entre les États-Unis et l’UE, la hausse des prix de l’énergie et une récession probable mettront à rude épreuve l’unité du bloc européen. Pendant ce temps, le conflit en Ukraine et la crainte de l’influence croissante de la Chine provoquent d’importants dommages collatéraux. L’Occident doit faire la différence entre la Chine et la Russie et résister aux discours simplistes mettant dos à dos un Occident bienveillant et une Chine malfaisante, associée à une Russie diabolique en Afrique.

Pour que l’Afrique se développe tout en réduisant la pauvreté, elle a besoin de la Chine, de l’UE et des États-Unis. Elle ne peut pas choisir l’un plutôt que l’autre. Par rapport au scénario du monde durable, la trajectoire actuelle du monde divisé implique que l’Afrique rejettera 4 % de carbone supplémentaires, que le produit intérieur brut par habitant sera inférieur de 6 %, et que l’extrême pauvreté sera supérieure de 48 % à l’horizon 2043 (graphique 1).

Graphique 1 : Comparaison de l’impact des scénarios sur les émissions de carbone, le PIB par habitant et l’extrême pauvreté en Afrique

Graphique 1 : Comparaison de l’impact des scénarios sur les émissions de carbone, le PIB par habitant et l’extrême pauvreté en Afrique

Source : African Futures, ISS
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Ce n’est que dans le cadre du scénario d’un monde durable que l’Afrique aura l’espace nécessaire pour se développer et commencer à combler l’écart croissant avec les autres régions sur divers indices tels que le revenu moyen. Et cela dépend à son tour d’un rapprochement entre la Chine et l’Occident. Mais le parti communiste chinois n’abandonnera pas ses vues collectivistes en matière de politique et de développement, tout comme les pays démocratiques n’abandonneront pas leur attachement aux libertés et aux droits individuels.

Il est nécessaire de fournir un effort déterminé pour reconstruire des relations entre l’Occident et la Chine qui soient définies par le respect mutuel et l’acceptation des différences dans les approches du développement et de la gouvernance.

Les dirigeants africains ont eux aussi du pain sur la planche. Ils ne sont pas tous à la recherche du développement de leur pays. D’aucuns gouvernent pour leur groupe d’intérêt ou pour servir leur famille ou leur groupe ethnique ; d’autres sont impuissants en raison de la quasi-inexistence des capacités de l’État.

Certains pays du Sahel, certains gouvernements dirigés par des militaires en Afrique de l’Ouest, des pays comme le Soudan, le Soudan du Sud et la République centrafricaine, ou encore des pays sous emprise familiale, comme l’Eswatini et la Guinée équatoriale, ne peuvent pas s’embarquer à ce jour dans un voyage africain pour le renouveau. Les dirigeants africains doivent avoir l’audace de consentir à une approche à deux vitesses, où certains États s’engagent plus tôt que les autres à respecter des normes de gouvernance plus strictes et à démontrer leurs avantages. Ces derniers pourront les rejoindre plus tard.

L’idée de « ne laisser aucun pays pour compte » est séduisante mais irréalisable en ce qui concerne le développement de l’Afrique

Les obstacles qui s’opposent à cette démarche sont immenses, étant donné la priorité que l’Union africaine (UA) accorde à l’unité continentale et l’attrait émotionnel du panafricanisme. Des efforts ont déjà été faits comme la Conférence sur la sécurité, la stabilité, le développement et la coopération en Afrique, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique et le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs.

Toutes ces initiatives ont débuté avec des conditions d’entrée minimales. L’idée de « ne laisser aucun pays pour compte » est séduisante mais dans la pratique ne peut servir de base pour faire progresser le développement de l’Afrique.

Poursuivre  la politique du plus petit dénominateur commun (en cherchant à faire avancer tous les pays d’Afrique sur le chemin du développement à la même vitesse) ne perturbera pas la trajectoire de faible croissance du continent. En revanche, cela pénalisera effectivement les pays plus stables, dotés de politiques prévisibles et d’une meilleure gouvernance.

La priorité pour l’Afrique est de maximiser ses perspectives de développement durable par une plus grande convergence des politiques entre ces pays de premier rang. Des institutions plus fortes et plus efficaces et l’évolution d’un système mondial de nouvelle génération fondé sur des règles sont également importantes. Il est essentiel que les principaux pays africains adoptent une approche autoritaire en fixant des normes pour les investissements étrangers, en insistant sur une transparence totale et en résistant à la conditionnalité politique.

Enfin, si l’Occident veut conserver son influence et aider l’Afrique, il doit trouver des moyens d’éliminer les risques pesant sur les investissements sur le continent. De leur côté, les Africains doivent travailler beaucoup plus dur pour réduire l’instabilité des politiques et améliorer la stabilité intérieure. L’Europe, les États-Unis et l’Afrique ont besoin d’être en communication permanente et d’avoir une plus grande visibilité des perspectives de développement de l’Afrique.

Mais surtout, et c’est le plus important, si nous voulons éviter une nouvelle ère de bipolarité extrême, l’Occident et la Chine devront trouver un moyen de rétablir leurs relations.

Jakkie Cilliers, responsable de Futurs africains et Innovation, ISS Pretoria

Cet article a été publié initialement sur Africa Tomorrow, le blogue de l’ISS consacré à l’avenir de l’Afrique.

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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