Des alliances de BRICS et de broc ?
Si l’expansion des BRICS à d’autres pays peut être attirante pour créer un bloc de puissance alternatif, elle se heurte cependant à plusieurs limites pratiques.
Les récentes conjectures sur l’éventuel élargissement du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont suscité de vives réactions dans la sphère diplomatique. En effet, selon les rumeurs, l’Argentine pourrait rejoindre le groupe, ce qui a soulevé des interrogations quant à la viabilité et à la solidité de cet élargissement et à son impact sur la géopolitique mondiale.
Certains pensent de manière cynique qu’il s’agit simplement d’une stratégie détournée de la Chine pour étendre sa sphère d’influence. Pour ceux qui sont pour, c’est une initiative un peu tardive, mais qui offrirait un contrepoids économique et politique crédible à la domination occidentale.
Un groupe des BRICS élargi pourrait-il réellement devenir une puissance alternative ? Les BRICS réclament depuis longtemps la création de pôles de pouvoir plus importants, offrant des alternatives aux concepts dominés par l’Occident.
Collectivement, les BRICS représentent 26 % de la surface géographique mondiale et environ 42 % de la population mondiale. Le groupe est toutefois sous-représenté dans le système financier mondial. Les cinq pays réunis détiennent moins de 15 % des droits de vote à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI), alors que le poids cumulé de leurs économies devrait dépasser celui du G7 d’ici 2032.
La demande d’une architecture économique plus équitable et plus représentative est compréhensible et trouve un écho auprès de nombreux pays du Sud qui estiment que leurs intérêts ne sont pas suffisamment représentés dans les forums existants.
La demande d’une architecture économique plus équitable et plus représentative est compréhensible
L’Argentine est un cas particulièrement intéressant étant donné ses relations tumultueuses avec le FMI et sa dépendance historique vis-à-vis des institutions occidentales dans la gestion de ses diverses crises de la dette souveraine. Entre la recherche de nouvelles options de financement auprès de la Chine (grâce à la Nouvelle route de la soie) et l’approvisionnement en vaccins auprès de la Russie, Buenos Aires affiche son intention stratégique de revoir ses relations géopolitiques et géoéconomiques. Plusieurs autres pays du Sud ont exprimé le même désir de rejoindre les BRICS, qui, selon eux, servent mieux les intérêts des pays en développement.
Esteban Actis, chercheur à l’université nationale de Rosario, en Argentine, estime que l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait également entraîner une fragmentation de la gouvernance mondiale, avec un affaiblissement du poids de certains forums internationaux comme le G20. Dans ce contexte, la Chine semble désireuse d’élargir le groupe des BRICS afin de renforcer le bloc et d’y intégrer de nouveaux pays pour promouvoir leur développement.
Beijing, qui assure cette année la présidence tournante des BRICS, mène donc une véritable opération de séduction. Selon des informations récentes, la Chine entend plaider en faveur de l’introduction de l’Argentine, de l’Égypte, de l’Indonésie, du Kazakhstan, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, du Nigeria, du Sénégal et de la Thaïlande. Certains experts estiment que l’objectif de Beijing est de restructurer et d’élargir le groupe sous sa houlette afin notamment de limiter le rôle du Brésil et de l’Inde.
Bien que le projet d’expansion suscite beaucoup d’enthousiasme, l’initiative se heurte à des limites d’ordre pratique. Tout d’abord, le fossé idéologique entre les pays du groupe des BRICS est très important. L’acronyme constitue un slogan accrocheur, mais les points communs entre les États membres sont assez peu nombreux. Outre le fait qu’ils constituent chacun une puissance régionale et qu’ils comptent de vastes territoires et des populations importantes, ils n’ont en effet pas grand-chose en commun.
Certains experts estiment que l’objectif de Beijing est d’élargir les BRICS sous sa houlette afin notamment de limiter les rôles du Brésil et de l’Inde
Le groupe comprend des démocraties de façade et des autocraties, des importateurs et des exportateurs de produits de base, et possède des valeurs et des visions économiques et politiques fondamentalement différentes. Depuis sa création en 2009, les BRICS ont en grande partie déçu les attentes, notamment en raison de crises de gouvernance internes.
Il existe également de profondes frictions entre les deux principaux acteurs du groupe. Il est peu probable que New Delhi approuve cette expansion de crainte que les nouveaux membres ne soutiennent Beijing. Les relations entre l’Inde et la Chine sont tendues en raison de l’empiétement (perçu comme tel) dans le sous-continent indien, du conflit à propos de la frontière du Ladakh et de la méfiance générée par les technologies chinoises.
Il est également peu probable que l’Inde – qui nourrit ses propres ambitions géopolitiques mondiales – soit heureuse de jouer un rôle de second ordre dans cette alliance. En outre, étant donné l’alignement historique de l’Inde sur l’Occident et son adhésion continue au dialogue quadrilatéral sur la sécurité, il est probable que ces tensions latentes perdurent.
Bien qu’un peu plus favorable, Moscou a également fait valoir que « le ticket d’entrée » dans le groupe des BRICS était l’indépendance et la souveraineté, et qu’en aucun cas les candidats potentiels ne devaient être des États satellites de la Chine. Si le Brésil et l’Afrique du Sud venaient à adopter une position similaire, le consensus pourrait être encore plus difficile à atteindre.
La deuxième limite pratique à cette expansion concerne les aspects financiers. L’Afrique du Sud, la Russie et le Brésil sont aux prises avec leurs propres problèmes monétaires nationaux et internationaux, de sorte que leur puissance financière est limitée. Cela implique que les institutions sur lesquelles reposerait la nouvelle formation seraient principalement financées par la Chine, ce qui permettrait à Beijing de les façonner selon ses propres valeurs, comme avec la Nouvelle banque de développement.
L’expansion des BRICS vise moins à accroître la puissance du groupe qu’à créer des alliances et des alternatives
Mais depuis la pandémie de COVID-19, la Chine traverse également des difficultés économiques qui lui sont propres, ce qui la rend plus sélective dans ses efforts internationaux. En témoignent les problèmes auxquels est confrontée l’initiative de la Nouvelle route de la soie, qui, selon le Financial Times, « ressemble de plus en plus à une opération de lutte contre les incendies financiers à grande échelle ». Les circonstances pourraient obliger Beijing à devenir plus sélectif dans ses initiatives internationales, ce qui pourrait compromettre ses projets ambitieux pour les BRICS.
Le troisième obstacle est lié à la bureaucratie. Beijing n’a pas encore défini les critères pour déterminer qui devrait précisément devenir un nouveau membre. La déclaration du sommet virtuel du 23 juin 2022 indique que les dirigeants continueront à discuter de la possibilité d’admettre de nouveaux pays sur la base d’une « consultation et d’un consensus complets ».
D’un point de vue réaliste, les BRICS ne peuvent pas constituer une alternative immédiate au système mondial actuel. Toutefois, ses membres souhaitent, à juste titre, avoir davantage leur mot à dire sur la manière dont ce système est gouverné, aujourd’hui et à l’avenir.
Ce que tous les pays du groupe des BRICS ont en commun, c’est le désir profond d’exercer une plus grande influence sur les règles régissant la finance et la politique économique internationales. Et chaque pays a un point de vue différent sur l’ordre économique mondial existant.
Trois autres facteurs ont donné un nouvel élan à cette initiative. Le premier est la « conséquence de confiance » résultant des attaques contre les institutions multilatérales qui ont érodé leur légitimité, notamment durant la présidence de Trump. Le deuxième est le comportement des pays du Nord pendant la pandémie de COVID-19, notamment à travers « l’apartheid vaccinal » qui a poussé les pays en développement à rechercher des alliances plus fiables et plus équitables. Enfin, le troisième élément tient à la vision étriquée digne de la guerre froide adoptée par l’Occident à l’égard du conflit russo-ukrainien. Cette vision a aliéné les pays en développement qui ne veulent pas avoir à choisir un camp.
Dans ce contexte, un élargissement du groupe des BRICS semble inévitable à long terme, affirme Sanusha Naidu, de l’Institute for Global Dialogue, à ISS Today. Toutefois, cette expansion se fera progressivement, et les nouveaux membres ne bénéficieront probablement pas des mêmes droits, de la même implication ou du même accès que les pays fondateurs.
L’idée n’est pas de faire d’un groupe des BRICS élargi une panacée. L’expansion vise moins à accroître la puissance du groupe qu’à créer des alliances et des alternatives à la dépendance au dollar américain et à l’hégémonie occidentale. « C’est comme si vous étiez dans une aire de jeux et que vous choisissiez une autre balançoire pour jouer », explique Naidu.
Malgré des incohérences et des obstacles évidents, l’idée de former un nouveau pôle de puissance pour rivaliser avec l’ordre libéral mondial traditionnel est convaincante, voire inévitable. La valeur de toute expansion potentielle réside donc dans son symbolisme profond, sa complémentarité et son aptitude à passer à l’action.
Ronak Gopaldas, consultant pour l’ISS, directeur de Signal Risk et chercheur CAMM au sein du Gordon Institute of Business Science
Image: © MEAphotogallery/Flickr
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