Ramaphosa se heurte-t-il à une dérogation à l’Accord sur les ADPIC ?

L’accès aux brevets sur les vaccins contre la COVID-19 devrait-il être la priorité dans la gestion d'une crise urgente ?

Une dérogation à l'Accord de l'Organisation mondiale du commerce sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) peut-elle sauver l'Afrique de la pandémie de COVID-19 ? Le président sud-africain Cyril Ramaphosa semble penser que c’est le cas et a investi un capital politique et diplomatique considérable dans le projet.

L’Accord sur les ADPIC protège les brevets des fabricants contre la copie. Depuis octobre 2020, l'Afrique du Sud et l'Inde mènent une campagne acharnée pour obtenir une dérogation à cet accord, concernant la fabrication des vaccins contre la COVID-19.

Les deux gouvernements estiment que la suspension obligatoire des brevets de vaccins est essentielle à la lutte contre la pandémie. Une telle démarche permettrait à des pays en développement comme l’Afrique du Sud et l’Inde de fabriquer les mêmes vaccins, à plus grande échelle et à moindre coût.

Alors qu'une troisième vague de la pandémie frappe l'Afrique, le Directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Dr Tedros Ghebreyesus, a déclaré que le taux d'infections et de décès sur le continent avait grimpé de près de 40 % au cours de la semaine dernière. Cette poussée est notamment alimentée par une forte pénurie de vaccins.

Bien que l'Afrique du Sud et l'Inde aient obtenu le soutien de plus de 100 pays, les pays développés, où la plupart des vaccins sont fabriqués, se sont opposés à cette requête jusqu'à ce que le président américain Joe Biden ait exprimé son soutien à la dérogation. Lors de sa visite en Afrique du Sud en mai, le président français Emmanuel Macron a également cédé et offert le soutien de la France.

L'Afrique du Sud et l'Inde ont obtenu le soutien de plus de 100 pays pour une dérogation à l'Accord sur les ADPIC

Ramaphosa a fait du lobbying pour la dérogation à l’Accord sur les ADPIC la mission centrale de sa participation au Sommet du G7 tenu du 11 au 13 juin à Cornwall, en Angleterre. Le G7 n’a cependant pas changé sa position initiale, réaffirmant que la meilleure façon de stimuler la production de vaccins était d’obtenir des licences volontaires. Cela impliquait la signature volontaire de contrats entre les propriétaires de brevets et d'autres fabricants pour la fabrication de leurs vaccins.

Le Serum Institute of India, qui fabrique le vaccin Oxford/AstraZeneca en série, en est la meilleure illustration. En Afrique du Sud, Aspen Pharmacare fabrique une partie des vaccins Johnson & Johnson, également destinés à l’exportation vers l’Afrique.

Ramaphosa s’est néanmoins félicité des « progrès considérables » accomplis en faveur d’une dérogation à l’Accord sur les ADPIC lors du sommet. Il a déclaré que les dirigeants du G7 ont accepté d'entamer un débat sur ce sujet et a indiqué les propositions de l'Union européenne (UE) qui seraient sur la table des négociations, en plus de la proposition sud-africaine et indienne.

L'UE est aussi essentiellement en faveur des licences volontaires, mais elle est plus souple que les autres. Elle accepte qu’en cas d'échec de la coopération, les licences obligatoires, sans le consentement du détenteur du brevet, « constituent un outil légitime dans le contexte d'une pandémie ».

Au-delà d’une dérogation à l’Accord sur les ADPIC, Ramaphosa a obtenu le soutien de la France, de l’Allemagne, et probablement des États-Unis et de la Banque mondiale pour financer un renforcement de la capacité d’Aspen en matière de production du vaccin Johnson & Johnson en Afrique du Sud.

Une dérogation à l’Accord sur les ADPIC ne peut pas sauver l’Afrique des prises immédiates de la pandémie

Cette semaine, Ghebreyesus et Ramaphosa ont annoncé que l’Afrique du Sud accueillerait le premier centre de transfert de technologie de l’OMS pour les vaccins à ARNm. Cela signifie que les compagnies pharmaceutiques dotées d'une technologie ARNm sophistiquée, la base des vaccins Pfizer et Moderna, fourniront les licences et le savoir-faire pour permettre à un consortium sud-africain de fabriquer ces vaccins.

Mais alors même qu’il saluait cette évolution, Ramaphosa a insisté sur le fait qu’elle ne constituait toutefois pas un substitut à une dérogation à l’Accord sur les ADPIC. Il a fustigé le « nationalisme vaccinal » des pays du Nord qui stockaient les vaccins en grandes quantités, au moment où l’Afrique et le reste du Sud souffraient d’une pénurie critique. Il a déclaré qu'une dérogation à l'Accord sur les ADPIC était l'une des meilleures façons de vaincre la COVID-19.

Sa ferveur laisse penser que la campagne en faveur de la dérogation est une question idéologique pour l’Afrique du Sud et d’autres à gauche, qui ont toujours été méfiants des grandes compagnies pharmaceutiques, plutôt qu’une solution objective à une crise. C’est parce qu’une dérogation à l’Accord sur les ADPIC ne peut pas sauver l’Afrique des prises immédiates de la pandémie.

Qui plus est, selon la scientifique en chef de l’OMS, Dre Soumya Swaminathan, même le projet d'ARNm en Afrique du Sud prendra au moins 12 mois avant que la fabrication ne puisse commencer, et ce, au moyen de licences volontaires et une coopération et formation technologiques complètes de la part des détenteurs de brevets. Sans cette coopération, le processus de fabrication de vaccins par le biais d'une dérogation à l'Accord sur les ADPIC prendrait beaucoup plus de temps.

Yogesh Pai, professeur adjoint à l'Université nationale de droit de Delhi, a déclaré que la proposition de dérogation à l'Accord sur les ADPIC était « simpliste » car elle suppose que la copie des formules des entreprises qui fabriquent les vaccins permettrait automatiquement à d'autres fabricants de produire les vaccins contre la COVID-19 rapidement.

Le seul remède immédiat est une campagne acharnée pour contraindre les pays riches à donner leur surplus de vaccins

Pai a ajouté que la plupart des technologies complexes, comme les vaccins, ne comprenaient pas seulement les connaissances, qui sont brevetées pour empêcher la copie, mais également les informations et le savoir-faire, non divulgués, sur les mesures de contrôle de la qualité pour la production et les données cliniques requises pour les autorisations réglementaires.

Une dérogation à la propriété intellectuelle ne donnerait pas accès à ce niveau plus approfondi de savoir-faire. Seul un accord de coopération dans lequel le détenteur de la technologie a aidé le nouveau fabricant à produire les vaccins pourrait donner ce genre d'accès, a suggéré Pai.

Prashant Yadav, expert en chaînes d'approvisionnement médical à la Harvard Medical School, a confié à ISS Today qu'il faudrait probablement deux à trois ans pour produire un vaccin par l'intermédiaire d'une dérogation à l'Accord sur les ADPIC. Tout d'abord, la dérogation devrait être obtenue. Ensuite, les processus nécessaires devraient être mis au point sans l'aide du développeur d'origine.

L’Afrique peut-elle se permettre d’attendre aussi longtemps ? Lors du lancement du projet d’ARNm cette semaine, Dr Michael Ryan, Directeur exécutif chargé du Programme OMS de gestion des situations d’urgence sanitaire, a souligné que, bien que louable, la fabrication de vaccins contre la COVID-19 en Afrique ne résoudrait pas la crise immédiate. La seule solution est que les pays riches cessent immédiatement de thésauriser les vaccins. « Ce sera un échec moral catastrophique au niveau mondial si nous ne le faisons pas », a averti Ryan.

Selon Yadav, la stratégie urgente serait de réaffecter les doses achetées par les pays qui n’en ont pas besoin et d’étendre la production de vaccins par le biais de licences volontaires et de transferts de technologie par les fabricants originaux.

Bien sûr, Ramaphosa pourrait avoir raison de soupçonner que les pays riches ne sont pas suffisamment altruistes pour donner leur « surplus » de vaccins, et que l’Afrique et le reste du Sud doivent devenir plus autonomes.

Mais une dérogation à l'Accord sur les ADPIC est au mieux une solution à moyen terme. Les pays africains industrialisés, tels que l’Afrique du Sud, doivent intensifier les programmes portant sur les licences volontaires auprès des compagnies pharmaceutiques afin de booster la production de vaccins dès que possible.

Là où les entreprises ne coopèrent pas, l’Accord sur les ADPIC autorise déjà les licences obligatoires, sans pour autant les priver du rendement de leur propriété intellectuelle, comme dans le cas d’une dérogation. Cela permettrait de remédier à la pénurie de vaccin contre la COVID-19 plus rapidement qu'une dérogation à l'Accord sur les ADPIC.

À court terme, le seul remède apparent est une campagne acharnée pour faire pression sur les pays riches afin qu'ils fassent don de leur surplus de vaccins. Certains pays européens vaccinent des jeunes de 12 ans, tandis que les populations les plus vulnérables de l’Afrique restent exposées au risque d’infection.

Peter Fabricius, consultant ISS

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Crédit photo : GCIS/Flickr

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