Sortir de l’impasse politique dans la région africaine des Grands Lacs

La RDC, ses voisins, l’UA et la communauté internationale n’ont pas réussi à faire de la victoire militaire un succès politique.

Le 23 janvier, l’armée de l’air rwandaise a procédé à un tir sur un avion militaire de la République démocratique du Congo (RDC) à Goma, proclamant que l’aéronef avait violé l’espace aérien rwandais. Ce tir a été le point de rupture dans les relations de plus en plus tendues entre les deux pays, désormais sur le pied de guerre.

Dix ans après sa défaite face à la Brigade de la force d’intervention de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le groupe rebelle M23 réapparaît dans l’est de la RDC. Cela montre l’incapacité de la RDC, de ses pays voisins, de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo et de l’Union africaine (UA) à traduire la victoire militaire en succès politique.

Le processus de Nairobi dirigé par la Communauté d’Afrique de l’Est vise à associer les consultations politiques et l’action militaire dans l’est de la RDC. Cependant l’action militaire, notamment le déploiement de la force régionale dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, garde une longueur d’avance sur le processus politique, ce qui n’encourage pas les groupes armés à se démobiliser.

La récente prolifération d’initiatives en faveur de la paix dans la région des Grands Lacs ne facilite pas la combinaison de solutions politiques et militaires. Cela s’explique en partie par le fait que la défaite du M23 en 2013 ne s’est pas accompagnée d’efforts pour traiter les causes profondes du conflit. Le groupe s’était simplement retiré de Goma et avait cantonné ses troupes au Rwanda et en Ouganda après avoir été expulsé par les forces régionales et mis à mal par des dissensions internes.

La prolifération des initiatives de paix n’a pas facilité la combinaison des solutions politiques et militaires

La dynamique politique en RDC et les développements internationaux sont venus se greffer au problème. Après plusieurs vagues de désarmement, de démobilisation et de réintégration, le gouvernement de la RDC et ses partenaires internationaux se sont montrés de plus en plus réticents à intégrer les combattants du M23 au sein de l’armée nationale. Une fois le groupe armé vaincu, d’autres enjeux ont pris le dessus des préoccupations politiques en RDC et la communauté internationale a adopté une approche réactive face aux problèmes des Grands Lacs.

Cette région troublée est à l’ordre du jour de la réunion des chefs d’État du Conseil de paix et de sécurité (CPS), qui se tiendra ce mois-ci en marge du sommet de l’UA. Il s’agit là principalement d’une réaction à l’occupation par le M23 d’une grande partie du Nord-Kivu.

La dimension régionale de la question du M23 a été exagérée au détriment de ses dynamiques locales et nationales, qui nécessitent une plus grande attention politique. Ce déséquilibre résulte des preuves présentées par le Groupe d’experts des Nations unies sur la RDC dans son rapport de décembre 2022, qui alléguait que le Rwanda et l’Ouganda soutenaient les rebelles du M23.

Ce soutien aux rebelles signifie que les instruments régionaux de sécurité n’offrent pas suffisamment d’espace de dialogue, ce qui empêcherait les États d’avoir recours à des groupes armés par procuration. Les différences de perception de la menace entre Kigali et Kinshasa créent des dilemmes en matière de sécurité dans l’est de la RDC.

Curieusement, le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas réagi aux allégations du rapport du Groupe d’experts. Ce qui va probablement inciter plusieurs acteurs régionaux à recourir à la violence directe ou indirecte pour régler leurs différends.

Région africaine des Grands Lacs

 Région africaine des Grands Lacs

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Malgré plusieurs initiatives régionales, l’accord-cadre de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région reste au cœur de la résolution de la crise. Mais le CPS a demandé à plusieurs reprises une révision de cet accord-cadre, à l’instar de la RDC. Est-ce là le meilleur moyen de parvenir à un consensus dans une région fortement divisée ? Si l’on parvient à un accord sur la révision du texte de 2013, alors il faudra examiner trois questions : l’équilibre entre les engagements nationaux et régionaux, la gestion des alliances bilatérales et le rôle crucial des garants.

Certains décideurs congolais critiquent le fait que l’accord identifie des engagements nationaux uniquement pour la RDC. Selon les observateurs, la résolution du problème des groupes armés étrangers opérant dans l’est de la RDC nécessite également de procéder à des réformes politiques dans les pays concernés. Or, il est peu probable que ces réformes aient lieu sous les régimes prévalant actuellement en Ouganda, au Burundi et au Rwanda, mais le prochain sommet du CPS devrait tenir compte de cet aspect. Le déficit de confiance entre la RDC et certains de ses voisins est au cœur de la crise actuelle. Certains observateurs notent que l’escalade des tensions entre le Rwanda et la RDC s’est déclenchée quand cette dernière s’est rapprochée de  l’Ouganda et du Burundi pour combattre leurs ennemis rebelles respectifs sur le territoire de la RDC.

En 2021, la tentative de la RDC de créer un commandement militaire régional contre les groupes armés a été entravée par la méfiance entre d’une part, le Rwanda et, d’autre part, le Burundi et l’Ouganda. La culture politique de la région est dominée par des alliances à court terme qui entrent en conflit avec la vision de Tshisekedi d’une sécurité coopérative.

La dimension régionale du M23 a été exagérée au détriment de ses dynamiques locales et nationales

Enfin, la sécurité dans les Grands Lacs, telle qu’elle est décrite dans l’accord-cadre de 2013 pour la paix, nécessite l’engagement de chacun des États et la forte implication des garants. Certains observateurs proposent que la Communauté d’Afrique de l’Est soit un garant aux côtés de l’ONU, de l’UA, de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et de la SADC. Mais les garants ne devraient être adjoints que si leur rôle consistant à s’assurer que les États mettent rigoureusement en œuvre leurs engagements est clair.

La concurrence entre la SADC, la Communauté d’Afrique de l’Est et la CIRGL sur les initiatives de paix – et à travers elles le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Angola – n’est pas propice à un suivi conjoint productif des engagements des États membres. Par ailleurs, les divisions au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et le silence de l’UA face aux violations récurrentes de l’accord-cadre de paix de 2013 soulèvent des questions quant à leur volonté de veiller à ce que les États signataires respectent leurs obligations.

La stabilité dans les Grands Lacs dépend d’un diagnostic rigoureux et partagé des menaces et des efforts de paix. Les pays de la région doivent également renouveler leur accord pour résoudre les problèmes d’insécurité et de pauvreté. L’UA doit faire preuve de plus de leadership et d’implication dans l’une des régions les plus instables d’Afrique.

Paul-Simon Handy, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant auprès de l’Union africaine, ISS Addis Abeba

Image : Amelia Broodryk/ISS

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