La Somalie a besoin de l’AMISOM, mais la question n’est pas tranchée

Malgré des examens et propositions détaillées de l’UA et de l’ONU, l’avenir de l’AMISOM demeure incertain.

La fin de l’année 2021 devait marquer le dernier délai pour le retrait de Somalie des forces de la mission de paix de l’Union africaine. Cependant, il est peu probable que cette échéance soit respectée en raison de la recrudescence de la violence et de l’incertitude de l’avenir politique dans le pays. Au cours des derniers affrontements qui ont eu lieu le 24 octobre entre des rebelles extrémistes et l’armée somalienne, 20 personnes sont mortes et 40 ont été blessées.

La stratégie de sortie de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) dépendait de la destruction des capacités du groupe extrémiste violent Al-Shabaab et de la résolution de l’impasse politique majeure dans laquelle se trouve le pays. Les institutions de sécurité du gouvernement devaient également devenir suffisamment solides pour prendre le relais après le départ de l’AMISOM. Or, à ce jour, aucune de ces questions n’est résolue.

La formation de gouvernements légitimes aux niveaux fédéral et étatique est présentée comme une réussite pour l’AMISOM et ses partenaires internationaux. En effet, en 2012 et en 2016 se sont tenues des élections, qui ont donné lieu à des transitions pacifiques du pouvoir. Mais les désaccords survenus quant à la gestion du scrutin de 2020 ont mené à une impasse et l’élection a été reportée à plusieurs reprises. Des rapports récents semblent indiquer que ce processus, longtemps à l’arrêt, pourrait enfin reprendre.

Le caractère incertain du processus électoral accentue les clivages politiques du pays, notamment entre le gouvernement fédéral et les États qui composent le pays. Le mandat du gouvernement actuel a expiré depuis le mois de février 2021.

Les Nations unies sont mieux à même de combiner les initiatives politiques, opérationnelles et sécuritaires qui sont actuellement distinctes

Outre l’impasse politique dans laquelle se trouve le pays, Al-Shabaab continue de poser de graves problèmes de sécurité en Somalie et dans la région. Selon un récent rapport d’évaluation indépendant commandé par l’UA, le groupe extrémiste a accru sa mobilité, ce qui lui permet de mener des activités dans toutes les régions de la Somalie. En septembre, International Crisis Group a noté qu'Al-Shabaab fournissait de meilleurs services que le gouvernement lui-même. Si l’AMISOM devait se retirer en pleine recrudescence de la violence, cela mettrait en difficulté les forces de sécurité somaliennes, qui auraient du mal à rétablir la sécurité.

Le mandat actuel de l’AMISOM expire le 31 décembre. En 2020, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a demandé une évaluation approfondie et impartiale des différentes possibilités envisagées pour l’UA, l’Organisation des Nations Unies (ONU) et les partenaires internationaux en Somalie après 2021. Le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) a formulé une demande similaire.

En janvier 2021, un rapport d'évaluation indépendante des Nations unies a émis des recommandations concernant l’avenir de l’AMISOM. Le CPS s’est inquiété du fait que le CSNU n’avait pas pris en compte la demande de l’UA de diriger conjointement cette évaluation et a demandé à la Commission de l’UA de procéder à son propre examen. En fin de compte, le rapport de l’UA a formulé des recommandations similaires à celles de l’ONU.

Les deux rapports préconisent cinq possibilités qui permettront de décider de l’avenir de l’AMISOM. La possibilité recueillant le moins de faveurs est celle du départ de l’AMISOM dans six mois et du transfert de ses responsabilités aux forces de sécurité somaliennes. Cette possibilité tient compte de la détérioration des relations entre l’UA et le gouvernement somalien.

L’administration somalienne souhaite que le soutien de l’UA soit limité à l’assistance militaire contre Al-Shabaab

L’UA a également proposé de remplacer l’AMISOM par la Force en attente de la région Afrique Orientale. Le rapport de l’ONU, qui évoque le déploiement d’une « alliance régionale ad hoc », semble plaider en faveur d’une approche similaire. Toutefois, il s’agit là d’une solution peu pertinente pour l’AMISOM, car tous les pays fournisseurs de contingents de la mission actuelle sont d’ores et déjà d’Afrique de l’Est.

La troisième solution avancée par les Nations unies consiste à remplacer l’AMISOM par une mission de stabilisation dirigée par l’ONU. Depuis 2013, les Nations unies disposent d’une mission politique en Somalie, la Mission d’assistance des Nations unies en Somalie (MANUSOM), qui bénéficie, comme l’AMISOM, d’un soutien logistique fourni par l’ONU.

Cette solution présente des avantages. Outre ses capacités dans le domaine financier et technique, l’ONU serait mieux à même de combiner en un seul point de contact les initiatives politiques, opérationnelles et sécuritaires qui sont actuellement menées de manière distincte. Cette approche avait déjà été envisagée par le passé, mais les Nations unies n’ont jamais exprimé le souhait de reprendre la mission de l’UA en raison de la dégradation de la situation sécuritaire.

La quatrième proposition identifiée par l’UA consiste à remplacer l’AMISOM par une opération hybride UA-ONU, ce qui permettrait de garantir la prévisibilité et la viabilité financières à long terme de la mission. Il s’agit de la recommandation privilégiée par l’UA ; elle a été approuvée par le CPS. Le gouvernement somalien a toutefois déclaré que « cette action ne correspond pas à l’objectif stratégique du pays ».

L’AMISOM doit conserver sa structure et ses effectifs avec un mandat ciblé jusqu’à la tenue des élections

La dernière possibilité consiste à reconfigurer l’AMISOM. Malgré des divergences en termes d’approche, il s’agit là de la solution privilégiée par l’ONU et classée en deuxième position par l’UA. Pour les Nations unies, la reconfiguration suppose de réduire les contingents et de permettre aux forces de sécurité somaliennes d’assumer la responsabilité principale de la sécurité. Pour l’UA, cette option devrait relever d’une forte composante politique afin d’améliorer la stabilité et la sécurité à long terme.

Depuis sa création, l’AMISOM est principalement une force anti-insurrectionnelle. Elle compte plus de 19 000 soldats, un peu moins de 1 000 policiers et 70 civils. La reconfiguration de la Mission est une bonne approche, car elle permettrait de garantir la prise en compte de considérations politiques dans les plans et activités de l’AMISOM. Mais cette solution se heurte à deux problèmes au moins.

Premièrement, l’UA n’a pas la capacité financière de gérer des opérations de soutien de la paix multidimensionnelles équilibrées sans l’ONU et la coopération internationale. Deuxièmement, le gouvernement somalien s’intéresse peu au rôle politique de l’UA. Or, l’opinion des dirigeants somaliens sur cette question revêt une importance capitale.

Alors que les faveurs de l’UA vont à une mission hybride, l’ONU préfère envisager la reconfiguration de l’AMISOM. Toutefois, aucune de ces deux possibilités n’est soutenue par l’administration somalienne, qui souhaite que l’appui de l’UA se limite à une assistance militaire pour combattre Al-Shabaab. Le gouvernement fédéral privilégie un transfert progressif des tâches de sécurité aux forces somaliennes, avec une prise en charge complète d’ici à l’année 2023.

Ainsi, malgré les évaluations approfondies de l’UA et de l’ONU, l’avenir de l’AMISOM est encore loin d’être clair. Le CSNU a demandé à l’UA et au gouvernement somalien de procéder à une mise à jour conjointe du concept des opérations de la Mission. Il a également demandé au Secrétaire général de l’ONU de soumettre une proposition de reconfiguration des objectifs, de la taille et de la composition de la Mission avant la fin du mois de septembre. Aucune de ces tâches n’a été accomplie à ce jour.

Il sera difficile de parvenir à un consensus sur la solution privilégiée. Une alternative pratique pourrait être de renouveler la mission de l'AMISOM pour une courte période. Cela permettrait à la Mission de continuer à soutenir les efforts de la Somalie en matière de sécurité et de stabilité. En outre, cette alternative répondrait aux attentes du gouvernement somalien, qui privilégie à l’heure actuelle un transfert progressif des responsabilités de l’AMISOM aux forces de sécurité du pays.

Le temps presse et les doutes persistent quant à l’élection tant attendue en Somalie. L’UA, les Nations unies et les partenaires internationaux doivent faire de ce scrutin une priorité absolue. L’AMISOM devrait conserver sa structure et ses effectifs actuels, tout en étant dotée d’un mandat bien précis, jusqu’à ce que les élections aient lieu et que les troubles politiques soient résolus.

Meressa K. Dessu, chercheur principal et coordonnateur de formation, ISS Addis-Abeba 

Cet article d’ISS Today a été publié dans le cadre du Programme Training for Peace (TfP) financé par le gouvernement norvégien.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Crédit photo AMISOM photo/Fardosa Hussein

Contenu lié