La recrudescence des enlèvement contre rançon dans le nord du Cameroun
La double menace que représentent Boko Haram et les groupes criminels pourrait détériorer encore plus la situation sécuritaire du pays.
Publié le 25 octobre 2022 dans
ISS Today
Par
Remadji Hoinathy
chercheur principal, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
Depuis 2013, les communautés de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun subissent des attaques du groupe extrémiste violent Boko Haram. Les départements de Mayo-Tsanaga, Mayo-Sava et Logone-et-Chari ont été les plus durement touchées (voir la carte). Le groupe terroriste est également responsable de plusieurs enlèvements, dont les plus récents ont eu lieu dans les communautés du lac Tchad à Tchika (en août) et à Kofia (en septembre).
Les zones les plus touchées par les enlèvements dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun Source : ISS
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Cependant, selon des recherches menées dans les régions du Nord et de l'Extrême-Nord par l'Institut d'études de sécurité (ISS) et l'Association Sembe, en dehors de Boko Haram, d'autres groupes se livrent de plus en plus à des enlèvements. Les auteurs de ces actes sont d’anciens bergers et des bandes criminelles composées de Camerounais, de Nigérians, de Nigériens et de Tchadiens. Les ravisseurs vivent dans la brousse et dans les montagnes le long de la frontière qui sépare le Cameroun et le Nigeria, et font équipe avec des complices locaux qui leur servent d’informateurs.
Le phénomène existe depuis plus de dix ans, et tend à s’aggraver ces quatre dernières années. Une personne interrogée a déclaré : « Environ 60 cas ont été signalés, et beaucoup d’autres ne le sont pas, car la plupart des familles préfèrent ne pas donner l’alarme lorsque leurs proches sont en captivité ».
Les populations sont généralement réticentes à faire appel aux autorités pour retrouver leurs proches. Dans la plupart des cas, elles craignent que les membres de leur famille soient tués si le gouvernement ou les forces de sécurité interviennent, et négocient donc avec les ravisseurs. Les familles doutent également de la capacité ou de l’engagement des forces de sécurité à libérer leurs proches sains et saufs. Des groupes d’autodéfense sont parfois appelés à l’aide, mais ils ne disposent pas des armes appropriées pour affronter ces criminels.
Les enlèvements sont plus fréquents pendant la saison sèche, lorsque les communautés sont plus faciles d’accès. Les attaques ont souvent lieu tard dans la nuit. Des groupes armés d’environ quatre à dix personnes prennent d’assaut les maisons, tirant parfois des coups de feu en l’air pour dissuader les habitants d’opposer une quelconque résistance. De nombreuses victimes sont emmenées de l’autre côté de la frontière, au Nigeria, au Tchad et en République centrafricaine, ou séquestrées dans des cachettes au Cameroun.
Le phénomène se poursuit depuis plus d’une décennie, et tend à s’aggraver ces quatre dernières années
Notre recherche montre que des arrondissements comme Bourrha, Hina, Mogode et Mokolo sont les plus touchés dans l’Extrême-Nord (voir la carte). Dans la région Nord du Cameroun, c’est la commune de Touboro qui en est le plus victime, avec plus d’une douzaine d’enlèvements signalés entre janvier et octobre 2022.
Les villages les plus visés sont situés dans des zones rurales où la présence de l’État est faible, voire inexistante, qu’il s’agisse de la police, de la gendarmerie ou de l’armée. Il faut du temps pour que les informations parviennent aux forces de sécurité en cas d’incident.
Le montant des rançons demandées dépend du statut de la victime ou de sa famille. Il peut s’agir d’une rançon d’un million de francs CFA ou de dizaines de millions. Les hommes chefs de famille sont les cibles privilégiées, mais les femmes et les enfants ne sont pas épargnés.
Les négociations durent des jours, parfois des semaines, les bandes organisées faisant monter la pression et les menaces pour obtenir la rançon. Ils utilisent des stratégies bien planifiées pour brouiller les pistes, notamment en changeant régulièrement de cachette à l’intérieur ou à l’extérieur du Cameroun. Les victimes sont généralement libérées saines et sauves une fois les demandes des criminels satisfaites, mais elles peuvent être blessées si leur famille tarde à payer la rançon.
Les groupes criminels ont désormais accès à des armes sophistiquées et certains ont adopté le mode opératoire de Boko Haram
Dans les endroits où les attaques terroristes de Boko Haram sont légion, les enlèvements par des bandes criminelles sont quasi-inexistants. Les arrondissements de Moskota, Tourou, Kolofata, Amchidé et Fotokol sont, entre autres, concernés. Les communautés ne peuvent cependant pas s’en réjouir, Boko Haram cherchant à s’étendre vers de nouvelles zones comme au Nigeria.
Des efforts ont été déployés et, le 3 août, la gendarmerie a démasqué une bande de ravisseurs hommes et femmes à Ngong, dans la région du Nord du Cameroun, après l’enlèvement d’une fillette de quatre ans. En juin, les gendarmes ont arrêté 10 personnes responsables de plusieurs incidents à Badjengo. Quelques jours plus tard, le bataillon d’intervention rapide a obtenu la libération de huit otages à Touboro. Le succès des forces de sécurité et le retour de l’ordre ont été attribués à leur étroite collaboration avec les autorités locales.
Alors que Boko Haram prend des otages non seulement pour encaisser des rançons, mais aussi pour en faire des recrues, des kamikazes, des travailleurs et des épouses destinées aux combattants, l’appât du gain qui reste la principale motivation des enlèvements actuellement observés.
Avant Boko Haram, les coupeurs de route terrorisaient les communautés frontalières du Nord et de l’Extrême-Nord. Cependant l’insurrection terroriste a rendu ces régions plus instables. Les groupes criminels ont désormais accès à des armes plus sophistiquées, et certains ont adopté le mode opératoire de Boko Haram. Les forces de sécurité sont plus susceptibles d’être déployées dans les zones où les attaques de Boko Haram sont les plus nombreuses, laissant sans protection les autres villages frontaliers. Ces derniers deviennent ainsi un terreau fertile pour les bandes criminelles.
Les forces de sécurité se déploient là où les attaques de Boko Haram sont les plus nombreuses, laissant sans protection les villages frontaliers
La multiplication des réseaux de ravisseurs pourrait dégrader davantage la situation sécuritaire du Cameroun. Plus ces groupes s’enrichissent, plus ils deviennent puissants et peuvent ainsi organiser d’autres attaques très médiatisées. Le caractère lucratif des enlèvements pourrait leur attirer de nouvelles recrues et leur permettre de mieux s’équiper.
Les recherches de l’ISS montrent que Boko Haram et des bandits ont uni leurs forces au Nigeria pour mener des activités criminelles, notamment des enlèvements. La proximité et la coordination entre ces groupes au Cameroun signifient qu’un phénomène similaire pourrait se reproduire dans le pays.
Les enlèvements causent des difficultés indicibles dans les communautés frontalières qui souffrent déjà de la pauvreté et des effets du changement climatique. L’insécurité a également fracturé la vie communautaire, les villageois se méfiant de plus en plus les uns des autres.
Il faut davantage de policiers, de gendarmes et de postes militaires dans les communautés frontalières. Dans le même temps, les civils et les forces de l’ordre doivent collaborer pour partager les informations et instaurer une confiance mutuelle. Les autorités doivent exploiter les approches communautaires existantes pour renforcer la vigilance et les capacités de suivi. Et les personnes accusées d’enlèvements doivent être arrêtées et poursuivies. Il est également essentiel de renforcer la résilience socioéconomique des communautés pour les aider à mieux résister aux attraits des groupes criminels.
Remadji Hoinathy, chercheur principal, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar, et Agha-Nwi Fru, fondatrice de l’association Sembe, Cameroun
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