Boko Haram se lie avec des brigands au Nigeria

Dans sa quête d'expansion, le groupe extrémiste violent noue activement des alliances avec des criminels.

Lorsqu’Abubakar Shekau a revendiqué l’enlèvement de plus de 300 lycéens le 10 décembre 2020 dans l’État de Katsina, au nord-ouest du Nigeria, nul ne l’a pris au sérieux, même pas le gouvernement.

La preuve de vie des garçons enlevés provenait pourtant de Jamā’at Ahl as-Sunnah lid-Da’wah wa’l-Jihād (JAS), la faction de Boko Haram dirigée par Shekau. Étant donné que l’enlèvement était l’œuvre de brigands et a eu lieu dans une région que l’on pensait épargnée par Boko Haram, la revendication du groupe paraissait comme un effort de propagande.

Or, les recherches menées par l’Institut d’études de sécurité (ISS) démontrent non seulement que le JAS a participé à l’enlèvement, mais que le groupe entretenait déjà des liens avec ces brigands avant l’événement.

Boko Haram souhaite depuis longtemps élargir sa base au-delà du nord-est du Nigeria, et ce, plus particulièrement sous le commandement de Shekau. Le groupe profite de la dégradation des conditions de vie, notamment des conditions de sécurité, dans le nord-ouest et le centre-nord du pays pour en faire son nouveau terrain d’élection.

Attiser les menaces dans d’autres régions soulage Boko Haram de la pression exercée par les forces de sécurité dans son fief

Les premières traces de son intérêt pour ces zones, en particulier celle du nord-ouest, remontent à une vidéo interne de 2014 intitulée « Message aux Peuls ». On y voit Shekau exprimer sa « gratitude » aux combattants de l’État de Katsina et d’autres lieux non précisés.

Environ six ans plus tard, dans ce qui semblait être une nouvelle confirmation de l’intérêt de Shekau pour ces régions, des combattants de Boko Haram ont adressé leurs salutations à leurs collègues des États de Zamfara et de Niger dans une vidéo diffusée par le groupe. Trois semaines après, les combattants de l’État de Niger leur ont retourné la politesse.

Les incursions de Shekau dans les régions du nord-ouest et du centre-nord ont de nombreuses motivations. Il s’agit notamment de sa volonté de créer un État islamique au-delà du nord-est, de recruter des combattants, d’obtenir des gains financiers à travers des rançons, et d’exercer d’autres activités telles que l'exploitation illicite de mines d’or.

Il y a cependant une autre raison majeure : faire diversion. Déplacer la menace terroriste vers d’autres régions soulage le nord-est, et en particulier la forêt de Sambisa, de la pression exercée par les forces de sécurité. Shekau s’offre ainsi une marge de manœuvre à sa base de Sambisa.

Les forces de sécurité doivent recueillir des renseignements pour délier les liens entre groupes extrémistes et criminels

Selon d’anciens combattants avec qui l’ISS s’est entretenu, Shekau avait envisagé de gagner les monts Mandara pour fuir les opérations militaires constantes dans la forêt de Sambisa. Il lui aurait cependant été impossible de déplacer ses armements sans attirer l’attention des forces de sécurité. De plus, l’armée aurait pu couper ses chaînes d’approvisionnement et ce repli aurait entamé le moral de ses troupes, y voyant un acte lâche. Cela aurait éventuellement conduit à une révolte, avec la possibilité d’une nouvelle scission.

En toute logique, le JAS a préféré exploiter l’insécurité régnant dans les régions voisines du nord-est pour occuper les forces de sécurité. En outre, la présence de criminels dans ces zones lui permet d’exécuter son plan sans susciter d’attention particulière.

D’après les recherches de l’ISS, un groupe d’anciens membres de Boko Haram, dirigé par Adam Bitri, a joué un rôle crucial dans l’alliance nouée entre les brigands et le JAS.

Membre de la première heure de Boko Haram et ami proche de son défunt fondateur Mohamed Yusuf, mais aussi de Shekau, Bitri s’est enfui en 2019 d’un logement mis à disposition par le gouvernement dans l’État de Kaduna, au nord-ouest du Nigeria, où il attendait d’intégrer le programme de déradicalisation. Il s’est ensuite associé à des ravisseurs établis à Zaria et Birnin Gwari, foyer de criminalité local, et a rétabli le contact avec le JAS.

Pour certaines communautés, s’associer à des réseaux criminels et des groupes extrémistes violents est une question de survie

Sadiku, commandant du JAS d’origine peule, est un autre acteur majeur de cette alliance. Habitué des trajets entre le nord-est et le nord-ouest du pays lorsqu’il était basé à Sambisa, il connaissait ces régions. Lors d’une de ses visites dans le nord-ouest en 2019, il a planifié le meurtre de Bitri, qu’il accusait d’avoir trahi Shekau. Bitri avait fait défection pour rejoindre la faction rivale, l’État islamique en Afrique de l’Ouest, avant d’accepter l’offre de déradicalisation du gouvernement.

Peu après la mort de Bitri, Shekau a envoyé une délégation menée par Sadiku pour s’assurer que son décès ne remettait pas en cause les relations naissantes avec certains groupes de brigands dont il s’était assuré la loyauté. La délégation, stationnée dans les régions du nord-ouest et du centre-nord, a facilité la conclusion d’un traité entre les groupes fidèles à Shekau et les autres. Ce traité interdisait à chaque camp d’attaquer l’autre ou de donner des informations sur l’autre aux forces de sécurité.

Les groupes extrémistes violents et les criminels ont souvent recours au renseignement dans le cadre de leurs activités. Les forces de sécurité doivent donc trouver des moyens de garder une longueur d’avance, notamment en consacrant plus de temps et de ressources à la collecte minutieuse de renseignements, afin de défaire les liens entre groupes extrémistes et criminels et prendre des mesures efficaces.

Comme dans d’autres parties du pays, l’insécurité dans les régions du nord-ouest et du centre-nord est essentiellement due à des problèmes de gouvernance et à des lacunes du maintien de l’ordre. L’absence de l’État se fait sentir dans plusieurs communautés, en particulier dans les domaines de la protection et de la sécurité.

Cela laisse le champ libre aux groupes criminels, qui en profitent pour conclure des contrats sociaux avec les communautés, contraintes de les accepter. Pour certaines d’entre elles, collaborer avec des réseaux criminels et des groupes extrémistes violents est une garantie de sécurité et une question de survie.

Le Nigeria doit s’attaquer aux problèmes auxquels font face ses forces de police. Avec une population de plus de 200 millions de personnes, le pays compte un policier pour 540 habitants, ratio inférieur aux recommandations des Nations Unies. Malgré cette insuffisance, plus de la moitié des effectifs des forces de police sont employés par des particuliers et des organisations privées dotées de forts moyens financiers.

Outre le sous-financement des services de police, la corruption, les violations des droits humains et le manque de formation aux techniques modernes de maintien de l’ordre posent également problème. Le Gouvernement nigérian se doit de se saisir de toute urgence de ces questions.

Malik Samuel, chercheur, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Cet article a été réalisé grâce au soutien du Programme des Nations Unies pour le développement.

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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS

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