AMISOM/Flickr

La police de proximité : l’atout manquant dans les opérations anti-terroristes de l'UA

La police de proximité, bien que reconnue mondialement comme une stratégie efficace, a été sous-utilisée dans les missions de paix en Afrique.

Depuis 2018, l'Afrique est l'épicentre mondial de l'extrémisme violent, avec des effets dévastateurs sur la vie et les moyens d’existence de millions de personnes, des civils en particulier. L'année dernière, plus de 23 000 personnes ont été tuées par des terroristes en Afrique, soit une augmentation de 20% par rapport à 2022.

Selon l'Indice mondial du terrorisme, la moitié des 16 pays les plus touchés par l’extrémisme violent se trouvent en Afrique. Il s'agit notamment du Burkina Faso, du Mali, de la Somalie, du Nigeria, du Cameroun, du Niger, de la République démocratique du Congo et du Mozambique. En 2023, l'Organisation des Nations unies (ONU) signalait que le terrorisme se propageait davantage en Afrique.

Malgré les efforts régionaux et continentaux pour lutter contre le terrorisme, ainsi que les diverses missions de paix de l'ONU, la crise s'aggrave. Les organisations africaines, y compris l'Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales, devraient revoir leurs approches et trouver les moyens adéquats pour résoudre le problème.

La police de proximité serait-elle l’idéal ? Elle connait un grand succès dans le monde entier et sert à rassurer les civils face aux menaces sécuritaires, à prévenir la criminalité et améliorer la sécurité publique. Elle est particulièrement efficace pour prévenir et lutter contre la radicalisation au niveau local.

L’approche comprend cinq éléments clés : la résolution des problèmes, le partenariat, la prestation de services, le renforcement des moyens d’action et la reddition des comptes. Ces éléments aident la police à établir des relations de confiance avec les civils en collaborant régulièrement avec des résidents, des associations locales, des propriétaires d'entreprises et d'autres parties prenantes.

La police de proximité est très efficace dans la prévention de la radicalisation au niveau local

Les membres de la communauté sont les mieux placés pour reconnaître les activités suspectes y compris la radicalisation et l'extrémisme. Grâce aux partenariats avec les communautés, la police peut agir de manière proactive, résoudre les problèmes de criminalité et de violence et renforcer la résilience locale face à l'extrémisme.

Toutefois, en Afrique, la police de proximité est sous-utilisée dans la lutte contre le terrorisme. La plupart des interventions régionales et continentales s’appuient sur des actions militaires. L'Union africaine a autorisé plus de 25 opérations de maintien de la paix en Afrique au cours des vingt dernières années en vue de résoudre les conflits et lutter contre l'extrémisme violent, mais seule une poignée comportait une composante policière.

Depuis 2007, la mission la plus importante de l'UA se trouve en Somalie. L'AMISOM, désormais appelée Mission de transition de l'UA en Somalie (ATMIS), travaille à l’éradication du groupe extrémiste al-Shabaab et au renforcement des capacités locales et nationales en matière de consolidation de la paix. Dans la région du lac Tchad, la Force multinationale mixte de l'UA (MNJTF) a été déployée en 2014 pour lutter contre Boko Haram. Et la Force conjointe du G5 Sahel a été formée en 2017 pour faire face aux groupes terroristes et au crime organisé dans le Sahel.

Parmi ces missions, seule celle de Somalie bénéficiait d’éléments de police - avec des capacités limitées. La MNJTF et la Force conjointe du G5 Sahel étaient des opérations purement militaires.

La présence des policiers est nécessaire dans les opérations de maintien de la paix

La plupart des groupes terroristes visés par ces missions sont partisans de l'idéologie islamiste radicale et s'efforcent de sensibiliser et de recruter des jeunes membres. Ils recourent à la force, mais ciblent aussi les personnes déçues par la qualité des services publics ou les actes de violence des forces de sécurité. Une étude de l'Institut de la paix des États-Unis a montré que Boko Haram était en mesure de radicaliser les jeunes dissidents à cause des menaces et de l'usage excessif de la force par leurs gouvernements.

La présence d'une police de proximité lors d'opérations de maintien de la paix et d'autres missions peut s'avérer utile. Pour endiguer le risque de radicalisation lié à la répression militaire, la police peut fournir des services de sécurité, considérer les communautés comme des partenaires et non comme des adversaires, et gagner la confiance du public. La police déployée lors des missions de paix peut également former la police locale à suivre la même approche, ce qui réduirait le risque de radicalisation et de recrutement dans des groupes terroristes.

L'efficacité de la police de proximité dans la lutte contre l'extrémisme est mondialement reconnue. Le Conseil de sécurité des Nations unies a souligné l'importance des polices de proximité dotées d'agents bien formés pour contrer l'extrémisme violent, notamment en instaurant la confiance et le dialogue entre les représentants du gouvernement et le public.

Les causes sous-jacentes de la prolifération des groupes terroristes sont complexes et variées. La religion et l'idéologie politique jouent un rôle, tout comme la faiblesse des structures étatiques, les pratiques discriminatoires en matière d'application de la loi, les conflits et la criminalité organisée. Les extrémistes violents cooptent les économies illicites et s'impliquent dans d'autres crimes. Au Sahel, des groupes terroristes comme Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin sont impliqués dans des trafics, des enlèvements, l’extraction artisanale d'or et le vol de bétail. En Somalie, Al-Shabaab perçoit des taxes sur des activités économiques illicites telles que le commerce du charbon de bois.

Le manque de capacités policières de la MNJTF est l'une des principales difficultés de la mission.

Les opérations de maintien de la paix doivent comporter un nombre suffisant de policiers pour inverser cette dynamique de criminalité organisée. L'absence de la police dans la plupart des missions anti-terrorisme de l'UA a atténué l’engagement des communautés et empêché de renforcer les capacités de la police locale, de soutenir les enquêtes criminelles et de traquer les réseaux criminels.

Selon les recherches de l'Institut norvégien des affaires internationales sur l'efficacité de la MNJTF, le manque de capacités policières constitue l'une des principales difficultés de la mission. L'ATMIS en Somalie dispose d'une composante policière, mais ses capacités et effectifs sont insuffisants. Par conséquent, les zones libérées par les soldats de la mission et les forces de sécurité somaliennes retombent souvent entre les mains des extrémistes d'Al-Shabaab. De fait, les populations locales ne s’impliquent pas assez et les services de sécurité sont défaillants.

Si les opérations militaires sont importantes pour affaiblir les capacités militaires des terroristes, la police de proximité est essentielle pour consolider la paix de concert avec les communautés locales.

La MNJTF a récemment fait état de l'efficacité de ces approches dans la lutte contre le terrorisme et la promotion de la stabilité dans le cadre de sa mission. D’après son rapport, ses « opérations non cinétiques ont contribué à persuader les terroristes de renoncer à la violence dans la région du lac Tchad ». Si la mission avait inclus des éléments de police, elle aurait réussi davantage.

Une police de proximité dotée de ressources suffisantes contribuerait à lutter contre la radicalisation et le terrorisme en Afrique. L'UA, les communautés économiques régionales et les pays africains devraient privilégier cette approche et inclure davantage de policiers dans leurs missions de paix. Les pays africains devraient fournir à l'UA et aux missions régionales une police de proximité compétente.

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Up Close, un blog du Programme Afrique du Wilson Center.

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