La Force africaine en attente est-elle adaptée aux menaces actuelles ?

Dans un paysage dominé par l’extrémisme violent et de groupes armés transnationaux, la viabilité de la FAA apparaît incertaine.

En avril, les sept pays de la Communauté d’Afrique de l’Est ont décidé de mettre en place une force militaire régionale afin de rétablir la stabilité dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), toujours en proie à des milices violentes.

Ce n’est pas la première fois qu’une force de coalition ad hoc est déployée dans un pays africain touché par une crise. En 2021, le Rwanda et les États de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont envoyé deux missions distinctes pour lutter contre l’insurrection au nord du Mozambique. L’Union africaine (UA) a approuvé cette initiative, mais après son déploiement seulement.

Parmi les autres dispositifs mis sur pied dans des objectifs similaires, on peut citer la Force conjointe du G5 Sahel, la Force multinationale mixte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad ou encore la Force régionale d’intervention de l’UA contre l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda.

Cependant, aucun de ces déploiements ne s’inscrit dans le cadre de la Force africaine en attente (FAA) de l’UA tel qu’il a été défini au départ. Ils n’en respectent ni les processus de mandatement, ni les délais de déploiement, ni les six scénarios de conflit et de mission. Cette situation soulève des questions quant à la pertinence et la viabilité de la FAA.

La FAA n’est jamais entrée en action, les gouvernements africains privilégiant des forces de coalition ad hoc

Créée en 2003, la FAA est un mécanisme interarmes composé de soldats, de civils et de policiers en attente dans leurs pays d’origine. Coordonnée par les cinq communautés économiques régionales, la FAA est conçue pour être déployable dans un délai très court. L’objectif est d’aider le Conseil de paix et de sécurité de l’UA à s’acquitter de ses responsabilités liées aux missions de soutien de la paix.

En 2016, après plus de dix ans d’investissements et de mise en place, l’UA a déclaré la FAA prête pour un déploiement rapide. Or, elle n’est jamais entrée en action, les gouvernements africains privilégiant aujourd’hui des forces de coalition ad hoc.

La FAA se heurte à plusieurs obstacles. Elle a cohabité pendant une bonne partie de son existence avec la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), une initiative aux objectifs similaires constituée par des pays volontaires. La CARIC est une force d’intervention rapide créée en 2013 à titre temporaire, en attendant que la FAA soit opérationnelle. En fin de compte, elle n’a jamais été déployée non plus. Après de longs débats sur les opérations africaines de soutien de la paix, l’UA a décidé en 2019 d’intégrer la CARIC dans le cadre de la FAA.

La mise en œuvre de la FAA est également entravée par des problèmes politiques. Les pays n’ont pas engagé les ressources nécessaires et la coordination entre l’UA et ses communautés économiques régionales n’est pas suffisante. Un rapport d’experts indépendants, commandé par l’UA en 2017, confirme cette situation. Il indique que « l’absence de processus de mandatement et d’instruments juridiques définis et harmonisés peut avoir un impact sur le déploiement rapide et opportun des capacités escomptées de la FAA en cas de besoin ».

Le cadre de la FAA n’est pas conçu pour affronter l’extrémisme violent et d’autres menaces complexes

Les analystes attribuent ce problème au pouvoir qu’ont les blocs régionaux sur les décisions liées à la paix et à la sécurité, qui découle d’un principe de subsidiarité peu clair entre les régions et l’UA. Cette ambiguïté concernant les rôles et les responsabilités fait que les pays préfèrent recourir à des dispositifs de sécurité ad hoc, plutôt qu’à la FAA.

Pour certains analystes, ces coalitions de sécurité ad hoc complètent la FAA et sont les mieux à même de lutter contre les groupes armés transnationaux les plus meurtriers d’Afrique. Elles sont vues comme un moyen de combler une lacune dans l’arsenal de paix et de sécurité de l’UA en apportant des réponses immédiates à l’extrémisme violent et à d’autres menaces complexes que le cadre de la FAA n’intègre pas.

Cette situation met en lumière des problèmes plus globaux concernant la capacité de l’UA à gérer les conflits violents. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, a déclaré lors du sommet de février que le malaise dont souffre le dispositif de réponse aux crises de l’UA était dû à une compréhension étroite de la subsidiarité et à la question de la souveraineté des États.

Certains États refusent l’intervention de l’UA en invoquant le principe de la souveraineté dans les affaires intérieures. M. Mahamat a souligné la nécessité d’une « approche réaliste, qui devrait examiner notre architecture de paix et de sécurité et sa corrélation avec les nouveaux facteurs de déstabilisation en Afrique », c’est-à-dire le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Pour certains, les coalitions de sécurité sont le meilleur moyen de lutter contre les groupes armés les plus meurtriers d’Afrique

Paul-Simon Handy et Félicité Djilo, analystes à l’ISS, confirment que les instruments existants de l’UA posent problème. Ils attribuent ce phénomène à la résistance des gouvernements à toute ingérence dans leurs affaires intérieures et à la place insuffisante accordée aux solutions politiques – autant de facteurs qui expliquent la sous-utilisation de mécanismes tels que la FAA.

Des initiatives ont été lancées pour tenter de lever les freins à la FAA. Le plan de travail stratégique de Maputo (2016-2020) demande à l’UA et aux blocs régionaux de clarifier, harmoniser et structurer les mécanismes de prise de décision qui sous-tendent les opérations de soutien de la paix. Cependant, il n’a pas encore été mis en œuvre.

Et le 12 mai, le Comité technique spécialisé de l’UA sur la défense, la sûreté et la sécurité a adopté plusieurs mesures essentielles pour résoudre ces problèmes, notamment un protocole d’accord entre l’UA et les communautés économiques régionales sur le déploiement de la FAA, un examen du concept de la FAA et du plan de travail de Maputo et la finalisation du projet de plan stratégique 2021-2025 sur le renforcement de la FAA. Il sera également demandé à la Commission de l’UA d’accélérer la mise en place d’une unité antiterroriste au sein de la FAA.

Ces efforts sont encourageants, mais il faudrait des mesures plus ambitieuses pour permettre à la FAA de faire face aux menaces actuelles à la sécurité en Afrique. Les gouvernements africains, les blocs régionaux et la Commission de l’UA doivent accélérer l’examen du concept de la FAA et s’interroger sur la pertinence et la viabilité de cette force. Le manque d’engagement des États membres dans les mécanismes de prévention des conflits de l’UA mérite également d’être examiné.

Meressa K. Dessu, chercheur principal et coordinateur de la formation, et Dawit Yohannes, chef de projet et chercheur principal, ISS Addis Abeba

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Cet article est publié dans le cadre du Programme de formation pour la paix, financé par le gouvernement de la Norvège. L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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