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L'élan de la justice transitionnelle en Gambie ne doit pas faiblir

Face aux retards persistants, le gouvernement et la CEDEAO doivent relancer le processus, avec l’appui des partenaires internationaux.

Les manifestations de juillet dénonçant une affaire de corruption présumée liée à la vente des biens de l’ancien président Yahya Jammeh illustrent l’attachement des Gambiens à la justice et à la transparence. Initiées par le mouvement Gambians Against Looted Assets (mouvement gambien contre les biens pillés), ces manifestations interviennent au moment où les victimes du régime de l’ancien président (1994-2017) et leurs familles demandent des réparations.

Elles s’inscrivent particulièrement dans un contexte empreint d’interrogations faisant suite aux travaux de la Commission vérité, réconciliation et réparation (CVRR) entre 2017 et 2021. Près de quatre ans après, la mise en œuvre tardive de la majorité des recommandations de la CVRR suscite des interrogations quant à la finalisation du processus de justice transitionnelle.

Selon les chiffres publiés en mai 2025 par la Commission nationale des droits de l'homme de la Gambie, seules 60 des 304 activités (représentant les 263 recommandations de la CVRR) avaient été intégralement mises en œuvre. Parmi les 244 restantes, 143 sont en cours de réalisation et 101 n'ont pas encore démarré.

Pourtant, le droit à la justice et le devoir de responsabilité ont été érigés en priorité par le gouvernement. En ce sens, le livre blanc sur la mise en œuvre des recommandations de la CVRR appelle à des poursuites contre les auteurs présumés de violences et à l'indemnisation des victimes du régime de Jammeh. De même, il préconise l’établissement d’un tribunal spécial, dont la création a été entérinée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en décembre 2024.

En mai 2025, seules 60 des 304 des recommandations de la CVRR avaient été mises en œuvre

Rappelons qu'en 2023, une loi instituant un fonds destiné à l'indemnisation des victimes d’abus et de violations des droits humains, conformément aux recommandations de la CVRR, avait été adoptée. Malgré la mise en place de la commission chargée d'administrer ce fonds, les contraintes opérationnelles et l’insuffisance des ressources financières freinent l'avancement du processus.

À cela s'ajoutent deux autres lois fondatrices adoptées en 2024, qui ont permis de créer un mécanisme de responsabilité pénale et un bureau du procureur spécial chargé de l'enquête et de la poursuite des crimes sous le régime de Jammeh. Ce bureau travaillera en étroite collaboration avec le tribunal spécial pour la Gambie, chargé de juger les affaires les plus graves et celles qui impliquent des crimes internationaux. La division pénale spéciale de la Haute Cour, quant à elle, se chargera des délits nationaux de moindre importance.

Ces avancées témoignent d’un engagement institutionnel réel. Cependant, le manque de financement, la dépendance à l’aide extérieure et les incertitudes politiques menacent la continuité du processus.

La mobilisation des financements nécessaires au fonctionnement du tribunal reste l’un des principaux défis. Selon les estimations du ministre de la Justice, le tribunal aurait besoin d’environ 60 millions de dollars sur une période de cinq ans. Si les États-Unis, et l'Union européenne ont été les principaux partenaires bilatéraux de financement de la justice transitionnelle, il n’en demeure pas moins que la fermeture de l'USAID conjuguée à la réorientation de l'aide étrangère a contribué au ralentissement notable de la mise en œuvre, par la Gambie, de ses engagements en matière de justice transitionnelle.

D’autant plus que l’accord avec la CEDEAO ne prévoit aucun mécanisme de financement à ce jour. Toutefois, au regard de la forte dépendance du pays aux financements extérieurs, il est nécessaire que l’organisation régionale soutienne la mobilisation de fonds auprès des donateurs internationaux.

Le processus de justice transitionnelle est entravé par l’insuffisance des ressources financières

La réunion entre la CEDEAO et les autorités gambiennes, tenue à Abuja en octobre 2025, a été une étape importante. Elle témoigne de l’engagement commun à mettre pleinement en œuvre la justice transitionnelle et permet à l’organisation régionale de réaffirmer son rôle dans l’établissement du Tribunal spécial, non seulement sur le plan technique, mais également sur le plan financier.

Pour sa part, le gouvernement gambien devrait mobiliser activement des ressources internes pour faire progresser le processus de justice transitionnelle. L’utilisation des fonds issus de la vente des biens de Jammeh à cette fin, serait un gage de bonne volonté et permettrait de mobiliser les acteurs internationaux.

Des recherches de l'Institut d'études de sécurité en Gambie ont également montré la nécessité d'une communication gouvernementale efficace afin d'atténuer la frustration grandissante des citoyens, en particulier celle des victimes présumées du régime de Jammeh. En plus de garantir la transparence, elle rapprocherait les citoyens et l’État, un enjeu crucial dans ce contexte de transition.

À ces défis s’ajoute l'élection présidentielle de 2026, qui ne manquera pas de faire planer un climat de doute et d’incertitudes. En effet, beaucoup craignent que les priorités politiques éclipsent le programme de la justice transitionnelle en privilégiant les préoccupations socio-économiques immédiates et les questions de gouvernance.

De plus, l'alliance politique entre le Parti national du peuple (NPP) du président Adama Barrow et une faction de l'Alliance pour la réorientation et la construction patriotiques (APRC) de Jammeh a suscité la controverse. Celle-ci a pris de l’ampleur, en raison du maintien dans l’administration de certaines personnes dont la CVRR avait établi la responsabilité dans des abus et des violences, malgré l’adoption d'une loi qui l’interdit.

Utiliser les fonds issus de la vente des biens de Jammeh comme gage de bonne volonté

Alors que le consensus national sur la nécessité d’une justice transitionnelle demeure, le gouvernement gambien a tout intérêt à maintenir le processus au cœur de l'agenda national. Baromètre de la volonté nationale, il doit permettre de rompre définitivement avec l'impunité, de renforcer l’état de droit et la cohésion nationale.

Dans un contexte régional marqué par des violations des droits humains, la réussite du processus gambien pourrait non seulement envoyer un signal fort de responsabilité, mais aussi servir de référence régionale dans la lutte contre l’impunité.

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