Est de la RDC : la Tanzanie, médiatrice entre Afrique de l’Est et Afrique australe ?
Grâce à sa position géographique et à son expérience en médiation, la Tanzanie est bien placée pour coordonner les efforts de paix régionaux.
Publié le 31 octobre 2024 dans
ISS Today
Par
Nicodemus Minde
chercheur, gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique de l’Est, ISS Nairobi
La Tanzanie, membre des organisations régionales d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe, s’efforce aujourd’hui de contribuer à la résolution du conflit qui fait rage dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Bien qu’elle soit souvent perçue comme plus proche de l’Afrique australe, la Tanzanie pourrait utiliser son expérience en médiation et sa position géographique pour rapprocher les priorités des deux blocs face à la crise.
Depuis l’adhésion de la RDC à la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) en 2022, le processus de Nairobi, sous l’égide de la CAE, a permis le déploiement de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EACRF) dans l’est du pays. La Tanzanie a soutenu ce processus en participant à son financement, bien qu’elle n’y ait pas envoyé de troupes, étant déjà engagée militairement et logistiquement dans la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) au Mozambique.
Lorsque la RDC a refusé de prolonger le mandat de l’EACRF en raison de son incapacité à maîtriser le groupe rebelle M23 soutenu par le Rwanda, la SADC est intervenue. En décembre 2023, elle a déployé la SAMIDRC avec un mandat offensif contre les insurgés.
La Tanzanie, aux côtés du Malawi et de l’Afrique du Sud, y a engagé des troupes, suscitant des craintes quant à un alignement plus marqué avec l’Afrique australe. Cependant, la Tanzanie réaffirme son engagement dans les efforts de la SADC et de la CAE en RDC.
La Tanzanie est souvent vue comme plus proche de l’Afrique australe que de l’Est sur les enjeux régionaux
Acteur de longue date dans la résolution des conflits régionaux, la Tanzanie a facilité les pourparlers de paix au Rwanda, ayant abouti aux accords d’Arusha avant le génocide de 1994, ainsi qu’au Burundi dans les années 2000, contribuant à une nouvelle série d’accords d’Arusha pour la paix.
La Tanzanie a également joué un rôle clé dans les luttes de libération des nations d’Afrique australe, servant de refuge et de base stratégique pour des leaders de mouvements d’indépendance au Mozambique, au Zimbabwe, en Angola et en Afrique du Sud. Elle leur a fourni un soutien logistique et moral, soulignant son engagement en faveur de l’unité africaine.
Cependant, malgré ces efforts, la perception d’un ancrage plus marqué de la Tanzanie vers le sud s’accentue. Le pays peut-il concilier cette orientation avec son implication dans les initiatives de paix en Afrique de l’Est ? Et pourrait-il, en tant que membre de la SADC et de la CAE, jouer un rôle de médiateur entre leurs différentes approches ?
Alors que les deux blocs œuvrent pour stabiliser l’est de la RDC, la SADC se concentre sur les tensions interétatiques entre cette dernière et le Rwanda, tandis que le processus de Nairobi, sous la houlette de la CAE, cible les conflits internes mettant aux prises divers groupes armés. Bien que ces approches soient complémentaires, elles nécessitent une coordination pour parvenir à une solution durable.
La Tanzanie affirme son engagement envers les efforts de paix de la SADC et de la CAE dans l’est de la RDC
En août, le président tanzanien Samia Suluhu Hassan a été nommé président de la troïka de la SADC sur la politique, la défense et la coopération en matière de sécurité. Cette position pourrait renforcer le rôle du pays dans la stabilité régionale, en créant un pont entre les approches de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe dans l’est de la RDC.
En juillet, la Tanzanie a accueilli à Zanzibar une retraite des ministres de la CAE et des Affaires étrangères pour discuter de l’intégration régionale et de la sécurité, notamment de la crise dans l’est de la RDC. La réunion a conclu qu’une résolution politique était essentielle pour instaurer une paix durable dans la région, et a recommandé un sommet des chefs d’État de la CAE pour relancer le processus de Nairobi en parallèle avec le processus de Luanda.
Le processus de Luanda, dirigé par le président angolais João Lourenço au nom de l’Union africaine, a récemment organisé des dialogues interministériels entre le Rwanda et la RDC. Malgré plusieurs cessez-le-feu et accords, l’initiative se heurte à des obstacles majeurs, et les affrontements entre le M23 et l’armée congolaise se poursuivent. Bien que le processus de Luanda repose sur des mécanismes bilatéraux, une relance du processus de Nairobi pourrait élargir l’implication d’autres pays.
La décision de la Tanzanie de ne pas fournir de troupes à l’EACRF était stratégique. Des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ont déclaré à ISS Today qu’un différend diplomatique avec le Rwanda en 2013 concernant des négociations proposées avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) — un groupe rebelle hutu actif dans l’est de la RDC — avait motivé cette neutralité alors que les tensions entre la RDC et le Rwanda s’intensifiaient.
Les approches de la SADC et de la CAE doivent être harmonisées pour parvenir à des solutions durables
Cette posture a renforcé les relations de la Tanzanie avec le Rwanda, tout en protégeant ses intérêts géostratégiques régionaux. Depuis l’entrée de la RDC dans la CAE en 2002, celle-ci a d’ailleurs dépassé le Kenya et l’Ouganda pour devenir le premier marché d’exportation de la Tanzanie.
Bien que la SAMIDRC peine à obtenir des résultats tangibles dans l’est de la RDC, ses trois pays fournisseurs de troupes ont joué un rôle clé dans la Brigade d’intervention de la force des Nations unies de 2013, qui a contribué à stabiliser la région en neutralisant le M23. Malgré le manque chronique de personnel, d’équipement et de financement de la SAMIDRC, la Tanzanie reste attachée à la mission et à l’importance des coalitions régionales pour gérer la crise.
Sa participation à la mission de la SADC s’inscrit dans une logique à la fois historique et géopolitique, alors qu’elle navigue avec soin entre ses engagements au sein de la SADC et de la CAE.
La Tanzanie, par son double engagement, sert de pont pour concilier les intérêts de la CAE et de la SADC, rôle renforcé par la retraite ministérielle de la CAE en juillet dernier.
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