Entre le marteau et l’enclume dans l’Extrême Nord du Cameroun
Les comités de vigilance de l’Extrême Nord camerounais sont coincés entre les attaques ciblées de Boko Haram et la méfiance de leurs communautés.
Publié le 21 octobre 2019 dans
ISS Today
Par
Remadji Hoinathy
chercheur principal, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
Boko Haram attaque presque quotidiennement la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, en particulier les comités de vigilance et les forces de défense et de sécurité du pays. Le 7 octobre, le groupe extrémiste a tué deux personnes – un homme et une femme – et enlevé quatre membres du comité de vigilance de Kerawa (voir carte).
Dirigés par des civils, les comités de vigilance sont des groupes structurés de façon informelle, composés de bénévoles issus des communautés. Ils ont vu le jour dans des zones touchées par Boko Haram, en particulier dans les régions de l’Extrême-Nord et du Nord du Cameroun. Leur taille et leur composition variant d'un village à l'autre, ils ont pour fonction principale de surveiller l'entrée et la sortie des personnes dans leurs villages et d'informer les autorités de toute activité suspecte.
Région de L’Extrême Nord, Cameroun (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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Appartenir aux communautés qu’ils protègent leur permet de jouer un rôle crucial d'alerte rapide en collaboration avec les autorités administratives et les forces de sécurité, pour prévenir les attaques terroristes. Bien que d’apparence anodine, l'existence, la structure et le fonctionnement des comités de vigilance créent inévitablement une nouvelle dynamique de pouvoir au sein des communautés. Ces comités servent également de bouclier contre le recrutement de nouveaux membres dans les communautés victimes de Boko Haram.
Les forces de sécurité collaborent avec ces comités de vigilance et les autorités traditionnelles pour développer des stratégies visant à prévenir et à combattre l'extrémisme violent. Cependant, cette fonction les rend également vulnérables aux attaques ciblées de Boko Haram.
Acculé par les contre-offensives de la Force multinationale mixte (FMM) lancées le 21 février le long de la rivière Komadougou et sur les îles du lac Tchad, Boko Haram est en quête de nouveaux territoires. En réponse à l'intensification des efforts militaires, le groupe extrémiste attend la tombée de la nuit pour attaquer des villages ; il massacre, kidnappe, pille, vole du bétail, pose des mines et brûle maisons, magasins et greniers.
La plupart de ces assauts visent les comités de vigilance, leurs communautés et les autorités traditionnelles. Ces attaques ambitionnent de décourager ces groupes communautaires de collaborer avec les forces de sécurité et de priver l’armée de son avantage sur le champ de bataille.
Les comités de vigilance ne sont pas une solution sécuritaire à long terme dans les villages frontaliers du Cameroun
Cependant, tous les membres des comités de vigilance ne sont pas aussi dédiés à la stabilité du Cameroun, certains sont d’ailleurs soupçonnés de collaborer avec Boko Haram. Lors d'une attaque meurtrière perpétrée le 10 juin contre un avant-poste de sécurité à Darak, une île camerounaise du lac Tchad, Boko Haram aurait bénéficié de l'aide de certains membres de la population locale qui auraient travaillé avec des éclaireurs envoyés au préalable par le groupe extrémiste. L'attaque a fait 37 morts – 21 militaires et 16 civils – et causé de graves dégâts matériels.
L'attaque de Darak pourrait être considérée comme une tentative de Boko Haram de conquérir de nouveaux territoires afin de contrôler les routes commerciales entre le département du Logone et Chari au Cameroun et la province du Hadjer-Lamis au Tchad (voir carte ci-dessous). Contrôler ces routes et ces zones permettrait au groupe de générer des revenus grâce à l'agriculture, la pêche, l'élevage, le commerce transfrontalier et la perception d'impôts sur les populations.
Certains membres des comités de vigilance apporteraient un soutien opérationnel et économique à Boko Haram. Ils fourniraient des informations sur les emplacements et le personnel de l'armée, les réserves alimentaires, les magasins et le bétail à piller, ou favoriseraient l'entrée des membres de Boko Haram sur le territoire camerounais contre de l'argent.
Ils sont également accusés d'avoir servi de couverture à la vente de biens et de bétail volés par Boko Haram lors d'attaques, renforçant ainsi la résilience économique du groupe. Certains des membres de ces comités sont d'anciens voleurs de bétail et des coupeurs de routes, ce qui pourrait expliquer pourquoi les communautés ne leur font pas entièrement confiance.
Carte du Logone et Chari au Cameroun et du Hadjer Lamis au Tchad (cliquez sur la carte pour agrandir l'image)
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Les comités de vigilance se retrouvent ainsi pris entre le marteau et l'enclume. D'une part, les communautés sont devenues hostiles et méfiantes à leur égard et, d'autre part, elles sont persécutées par Boko Haram par le biais d’enlèvements et d’exécutions.
Une résolution de cette situation est capitale, car ces comités jouent un rôle important dans la lutte contre Boko Haram grâce à leur connaissance de l'environnement, notamment en alertant les forces de défense des menaces et en limitant l'accès des personnes associées à Boko Haram à leur territoire.
Le gouvernement camerounais a témoigné son appréciation pour les efforts consentis par les comités et leur a fourni un soutien logistique. Certains comités ont également été restructurés et remaniés afin de maintenir la confiance de leurs communautés et de leur permettre de s'adapter à l'évolution de la menace. Cependant, cela ne les protège pas des attaques ciblées de Boko Haram, et encore moins des soupçons communautaires de collusion avec le groupe extrémiste.
Il existe plusieurs façons de rendre les comités de vigilance plus efficaces. Les membres des comités doivent recevoir une formation sur leurs responsabilités, leur redevabilité, les droits de l’homme et le respect des règles en vigueur. Priorité devrait être accordée aux campagnes visant à sensibiliser les communautés sur le rôle de leurs comités de vigilance. Une politique gouvernementale cohérente est également nécessaire pour améliorer la protection des civils.
Certains membres des comités de vigilance apporteraient un soutien opérationnel et économique à Boko Haram
Les comités de vigilance devraient également recevoir une formation opérationnelle et un soutien matériel (torches, chaussures de sécurité, imperméables, etc.) pour leur permettre de remplir leur rôle d'acteurs informels de la sécurité communautaire.
Les comités de vigilance ne sont pas une solution sécuritaire à long terme dans les villages frontaliers du Cameroun. Cependant, avec la recrudescence des attaques de Boko Haram dans la région, il est important de compter sur eux pour obtenir des informations et des alertes rapides. Sans ces comités, les collectivités seraient moins en sécurité qu’elles ne le sont actuellement. Néanmoins, s'il est nécessaire, à court terme, de s'appuyer sur les comités de vigilance, cette stratégie n'est pas viable sur le long terme.
Les capacités du gouvernement en matière de protection civile – un ensemble de mesures policières, judiciaires et administratives – doivent être améliorées pour assurer une gestion efficace des zones frontalières du pays. Cela doit s'accompagner d'une démobilisation progressive des comités de vigilance dans les zones sous contrôle effectif de l'État.
Remadji Hoinathy, chercheur principal, Fonteh Akum, chercheur principal, et Evelyne Taryam, chercheuse boursière, ISS, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
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