Au Darfour, le conflit pourrait repartir de plus belle

La MINUAD devrait rester au Darfour pour protéger les civils dans l’attente d’une transition politique durable au Soudan.

L’insécurité et les violations des droits humains vont croissant dans la région du Darfour, au Soudan. L’Initiative stratégique pour les femmes dans la Corne de l’Afrique a récemment signalé une augmentation de 50 % des viols et des violences sexuelles dans certaines zones du Darfour pendant le confinement dû à la COVID-19.

Début juillet, des milliers de personnes ont manifesté à Nertiti, ville du centre du Darfour, pendant plus d’une semaine, accusant le gouvernement de ne pas les protéger contre les agressions et les violences sexuelles des milices armées. Des assaillants ont ensuite tué au moins neuf manifestants et en ont blessé des dizaines à Fata Burnu, dans le nord du Darfour, le 13 juillet. Les manifestants de Nertiti ont déclaré à Aljazeera : « Nous subissons des meurtres, des viols, des pillages et des déplacements de population causés par… des milices tribales arabes. »

Région du Darfour au Soudan
Région du Darfour au Soudan
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Les principales victimes de ces violations sont les personnes déplacées à l’intérieur du pays, la plupart étant des femmes et des enfants, qui étaient principalement placées sous la protection de la Mission hybride des Nations Unies et de l’Union africaine au Darfour (MINUAD). Créée en 2007 par l’ONU et l’UA, cette mission avait notamment pour but de protéger les civils, de coordonner l’aide humanitaire et de soutenir le processus de paix au Darfour.

Il a été décidé de mettre un terme à la mission d’ici le mois de juin pour en établir une nouvelle, la Mission intégrée des Nations unies d’appui à la transition au Soudan (MINUATS), car la sécurité s’était améliorée et la violence avait diminué. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a toutefois prorogé de six mois la date de retrait de la MINUAD, jusqu’au 31 décembre, en raison des restrictions de circulation liées à la COVID-19. Cependant, eu égard à l’augmentation de l’insécurité et des violations, est-ce réellement le bon moment pour mettre fin à cette mission, et ainsi laisser des millions de civils sans protection ?

La guerre civile qui avait éclaté en 2003 avait plongé le Darfour dans l’une des pires crises humanitaires au monde ; elle avait fait près de 300 000 morts et environ 2,4 millions de personnes déplacées de force. Aujourd’hui, 17 ans plus tard, près de deux millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays vivent toujours dans des conditions déplorables, dans des camps constitués de tentes faites de bâches en plastique. Ces populations déplacées n’ont accès ni à l’école ni à des soins médicaux.

Avant le retrait de la MINUAD, l’UA et l’ONU ont besoin d’une stratégie pour s’assurer que les civils ne sont pas susceptibles d’être attaqués

Leur sécurité et leurs moyens de subsistance dépendent entièrement de la MINUAD et des agences humanitaires. Ces personnes sont plus vulnérables que d’autres aux attaques et violations sexuelles principalement commises par des milices arabes soudanaises.

Des sources au Darfour qui ont demandé à rester anonymes ont déclaré à l’ISS Today qu’il y avait trois raisons interdépendantes qui expliquaient la montée actuelle de la violence. Premièrement, les causes sous-jacentes du conflit initial n’ont jamais été résolues. Lorsque les personnes déplacées tentent de rentrer sur leurs terres pour les cultiver, elles sont attaquées par les milices arabes qui contrôlent leurs terres. Malgré le dialogue en cours, il n’y a toujours pas d’accord de paix contraignant entre le gouvernement de transition du Soudan et certains groupes rebelles au Darfour.

Deuxièmement, l’efficacité opérationnelle de la MINUAD en matière de protection des civils a considérablement diminué. Les restrictions de déplacement dues à la COVID-19 ont rendu difficiles les patrouilles et les contacts avec les communautés, ce qui a entraîné une baisse de la visibilité de la mission. L’état d’esprit général de la mission, en plein processus de retrait, et la diminution des effectifs de la force lui font également perdre en efficacité.

Troisièmement, l’aide humanitaire aux personnes déplacées à l’intérieur du pays a été réduite à l’approche du retrait de la MINUAD et de sa fermeture imminente. Ces populations ont commencé à quitter leurs camps, sans aucune protection, pour chercher des moyens de survie tels que l’agriculture de subsistance et le commerce. Cela les rend plus vulnérables aux attaques.

La MINUATS est une mission politique qui n’a pas pour mandat de protéger les civils

Le Soudan est entré dans une transition politique complexe après la chute du régime d’Omar el-Béchir en avril 2019. Étant donné que les différents groupes armés du Darfour ne font pas encore partie intégrante de la transition politique du Soudan, on ne peut pas présumer que le gouvernement de transition de Khartoum a été accepté comme légitime par la population du Darfour.

Dans d’autres régions du Soudan, les civils ne semblent pas non plus satisfaits du rythme des changements et des réformes politiques dans le pays. Outre les attentats à la bombe qui ont visé le premier ministre Abdalla Hamdok en mars, des dizaines de milliers de Soudanais ont récemment manifesté dans différentes villes pour réclamer liberté, paix et justice.

Le Soudan a déclaré qu’il protégerait son peuple après le retrait de la MINUAD. Mais dans ce contexte, il semble difficile pour le gouvernement de transition de gérer la nature complexe du conflit au Darfour et de remplir son obligation en matière de protection des civils. Si le gouvernement est le principal responsable de la sécurité, la communauté internationale a également un rôle à jouer dans la protection des civils au Darfour, en particulier eu égard aux personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Le Conseil de sécurité a créé la MINUATS avec trois objectifs principaux : aider la transition politique du Soudan, soutenir les processus de paix et la mise en œuvre des futurs accords de paix, et soutenir les efforts de consolidation de la paix, notamment la protection des civils et l’état de droit. Contrairement à la MINUAD, la MINUATS est une mission politique, et non une mission d’opérations de paix, et n’a pas pour mandat de protéger les civils.

Le gouvernement de transition du Soudan aura du mal à gérer la complexité du conflit au Darfour et à protéger les civils

Le retrait de la MINUAD laisse donc des millions de personnes déplacées sans protection. Cette décision aurait dû être prise lorsque le Gouvernement soudanais était capable de protéger les civils et que les conditions de vie des personnes déplacées à l’intérieur du pays s’étaient améliorées.

Compte tenu de l’escalade actuelle de la violence dans la région, la décision de fermer la MINUAD devrait être réexaminée afin de garantir la protection des civils et de préserver les résultats atteints par la mission au cours des dix dernières années. La MINUAD a permis d’améliorer la sécurité, de réduire la violence et, dans une certaine mesure, de protéger les civils contre les milices arabes.

L’ONU et l’UA ont créé conjointement la MINUAD, une mission hybride, afin de combiner leurs forces et de contribuer à résoudre le problème complexe du Darfour. L’influence politique de l’UA et l’efficacité opérationnelle de l’ONU pourraient encore profiter à la région. Avant le retrait de la MINUAD, les deux parties doivent se doter d’une stratégie politique claire qui garantisse au moins que les civils ne soient pas susceptibles d’être attaqués de nouveau.

La mission hybride pourrait contribuer à relancer les efforts de paix au Darfour en persuadant les groupes armés de participer au processus de transition et de soutenir la transition politique. La MINUATS ne bénéficiera pas à elle seule de l’avantage comparatif de l’UA, car il s’agit d’une mission des Nations Unies.

Le retrait de la MINUAD et la mise en place de la MINUATS sans mandat de protection des civils exposera la région à une insécurité importante. Tant que le gouvernement ne prendra pas l’entière responsabilité en matière de protection des civils et qu’il n’y aura pas de transition politique durable, la MINUAD devrait rester au Darfour pour protéger les civils. Dans le cas contraire, le conflit au Darfour pourrait revenir à la case départ.

Meressa K Dessu, chercheur principal et coordinateur des formations, ISS Addis-Abeba

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Photo: UN Photo/Albert González Farran

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