Au Burkina, la réforme du secteur de la sécurité ne peut plus attendre

La RSS au Burkina souffre, depuis quelques années, d’un contexte politique et sécuritaire difficile.

Le 6 octobre 2021, le gouvernement burkinabè a adopté une politique nationale de sécurité (PNS), attendue de longue date. Après des années de lenteur dans la mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité (RSS), le franchissement de cette étape suscite un regain d’espoir. D’autant que le pays, acculé par un contexte sans précédent de conflits violents, a plus que jamais besoin de repenser son appareil sécuritaire.

La chute de Blaise Compaoré en octobre 2014, suite à une insurrection populaire déclenchée par la tentative de modifier la constitution pour obtenir un troisième mandat, et la transition politique qui s'en est suivie ont donné naissance à d’importantes dissensions au sein du système sécuritaire burkinabè. La volonté de certains membres du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) de s’immiscer dans le processus de transition avait alors engendré des désaccords avec le reste de l'armée et les autorités politiques de la transition.

Dans ce contexte, la réforme de ce système sécuritaire entendait répondre à l’aspiration citoyenne appelant à une rupture définitive avec l’ordre ancien et l’ingérence militaire dans la gestion politique du pays. Cette forte demande a été confortée par l’échec de la tentative de coup d'État militaire en septembre 2015 et la multiplication des attaques terroristes à partir de janvier 2016.

L’aspiration à une réforme des forces armées s’est matérialisée, dès septembre 2015, par la dissolution du RSP, épine dorsale du dispositif de protection du régime Compaoré. Une agence nationale de renseignement et une commission de réforme des armées ont également été créées, respectivement en octobre et décembre 2015.

La réforme du système sécuritaire entendait répondre à une rupture définitive avec l’ordre ancien et l’ingérence militaire dans la gestion politique

Cependant, c’est le Forum national sur la Sécurité, organisé du 24 au 26 octobre 2017 à Ouagadougou, qui a conceptualisé et préconisé la réforme du secteur de la sécurité. Cette réforme devrait rompre avec le paradigme militaro-policier dominant et jeter les bases d’une approche holistique de la politique publique de sécurité. 

Menées dans un esprit de large concertation, ces assises ont, à partir d’un diagnostic précis, défini les grandes orientations et ordonné le processus de mise en œuvre de la réforme. Le forum a ainsi recommandé l'élaboration d’une politique nationale de sécurité (PNS) à laquelle devront s’arrimer une stratégie de sécurité nationale et différentes politiques sectorielles en la matière. 

La commission chargée de l’élaboration de la PNS n’a cependant été créée qu’un an après, en décembre 2018. Celle-ci a remis au président de la République, le 20 janvier 2020, la version finale dudit document, dont l’adoption n’est intervenue qu’à la fin octobre 2021, soit quatre ans après le forum.  

Ces atermoiements renseignent sur les défis contextuels auxquels est confrontée la RSS au Burkina. Tout d'abord, la méfiance qui a prévalu, un temps, entre l’autorité politique et l’institution militaire. Cette méfiance est née dans le sillage de la reconfiguration politique post-insurrectionnelle de 2014. Elle était motivée par la crainte de la mainmise des éléments de l’ancien régime sur les composantes clés de l’appareil sécuritaire. Le pouvoir actuel s’est en effet ouvertement inscrit dans la logique, déjà exprimée sous la transition, d'éloigner les forces de défense et de sécurité des dynamiques politiques, pour garantir la neutralité républicaine d’une institution dont les immixtions dans la sphère politique s'étaient érigées en tradition. 

Les réformes sectorielles, menées de manière parcellaire, n’ont pas atteint l’objectif de transformation qualitative du secteur de la sécurité

Cette posture n’a pas plaidé en faveur d’une pleine collaboration des élites militaires au processus de RSS. Certaines d’entre elles, encore partisanes du monopole de la gestion des politiques de sécurité par l’appareil sécuritaire, sont restées peu ouvertes à l'idée d'une réforme de la gouvernance du secteur sous le contrôle des civils. Cette idée persistante explique en partie le tiraillement du pilotage de la réforme entre le ministère de la Défense et celui de la Sécurité, sur fond de rivalités entre l’armée et la police. 

La dégradation continue du contexte sécuritaire depuis 2015 a aussi fortement perturbé la conduite cohérente de la RSS. Face à la spirale de la violence djihadiste et à la colère sociale qu’elle suscite couramment, les autorités ont plutôt eu tendance à donner la priorité à des solutions sectorielles d’urgence. 

Des pôles judiciaires spécialisés en répression du terrorisme et des infractions de la criminalité organisée ont été mis en place en janvier 2017. En outre, une loi de programmation militaire a été votée en décembre 2017 pour financer la mise en œuvre de la réforme des forces armées, et le Centre national d’études stratégiques (CNES) a été créé en octobre 2019 pour satisfaire les besoins de l’État en connaissance et expertise sur les questions d’intérêt national. 

En janvier 2020, une loi instituant des volontaires pour la défense de la patrie, mécanisme à travers lequel de simples citoyens peuvent participer à la riposte armée à l’insécurité sous un relatif contrôle de l’État, a été adoptée. De nombreux observateurs ont toutefois émis des réserves sur ce dispositif, craignant notamment qu’il n’exacerbe les violences intercommunautaires et ne favorise les exactions. Les efforts de mise en place d’une police de proximité envisagée de longue date au Burkina se sont poursuivis, et le pays s’est doté d’une stratégie nationale de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent en mai 2021. 

La réforme du secteur de la sécurité requiert la volonté des autorités politiques et la prédisposition des FDS à accepter le changement

Ces actions parcellaires ont permis de répondre à des besoins immédiats, mais faute d’une vision globale et cohérente, elles n’ont pas produit la transformation qualitative attendue du secteur de la sécurité dans son ensemble.

Cependant, la récente adoption de la PNS pourrait donner un nouveau souffle au processus de réforme globale. La nomination d’un militaire à la tête du ministère de la Défense nationale en juin 2021 suggère un assouplissement des relations entre élites politiques et militaires ; une évolution dans la posture de l’élite politique qui paraît être guidée par le réalisme du contexte historique et sécuritaire particulier du pays. 

La nouvelle donne gagnerait, toutefois, rapidement à prouver son efficacité, notamment en assurant une coordination et une mise en œuvre plus holistique de la politique sécuritaire face à l’intensification actuelle de la violence multiforme.

Un tel engagement doit se traduire en premier lieu par l’adoption rapide de la stratégie de sécurité nationale et la mise en conformité des réformes sectorielles avec l’esprit de la PNS. Aussi, pour faciliter la mise en œuvre de cette réforme, le gouvernement devra harmoniser les textes relatifs au système de sécurité avec la nouvelle vision. 

Il devra également définir une architecture de sécurité nationale qui déterminera les structures, responsabilités, principes et procédures de coordination portant sur la gestion des problèmes sécuritaires. 

Cette réforme du secteur de la sécurité requiert autant la volonté des autorités politiques que la prédisposition des forces de défense et de sécurité à accepter le changement.

Hassane Koné et Fahiraman Rodrigue Koné, chercheurs principaux, Programme Sahel, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du Lac Tchad 

Cet article a été réalisé avec le soutien du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS

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