Le CPS doit s’engager pour apaiser les tensions entre l’Algérie et le Mali
En perte d’influence dans la région sahélo-saharienne, l’Union africaine doit agir de manière décisive face à la crise.
Les relations diplomatiques entre l’Algérie et le Mali, qui remontent aux années 1960, se sont fortement détériorées depuis le mois d’avril, suite à la destruction d’un drone malien par l’armée algérienne près du village frontalier de Tinzaouaten. Alors que les autorités maliennes affirment que le drone survolait leur territoire, l’armée algérienne maintient qu’il a pénétré dans l’espace aérien algérien. Bien que les relations entre les deux pays aient connu leur lot de tensions, notamment en raison de l’insécurité récurrente dans le nord du Mali, c’est la première fois que Bamako condamne publiquement une action militaire de l’Algérie. Le Mali a également saisi le Conseil de sécurité des Nations unies, dénonçant « une action hostile préméditée de la part du régime algérien ».
Une confrontation ouverte entre les deux pays reste peu probable, mais ce différend se répercute sur le bloc de l’Alliance des États du Sahel (AES). Elle intervient dans un contexte de dégradation de la sécurité régionale et du récent retrait des États sahéliens de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui posent deux défis majeurs à la nouvelle présidence de la Commission de l’Union africaine (UA). La situation exige que l’UA s’implique en urgence pour éviter une nouvelle escalade et renforcer la présence et la crédibilité de l’organisation dans la région.
Les conséquences pour la région
Cet incident a pris une dimension régionale en raison de l’alliance politique, diplomatique et militaire de la confédération de l’AES qui regroupe le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Le Niger et le Burkina Faso semblent solidaires du Mali et ont rappelé leurs ambassadeurs en poste à Alger. Le Mali et le Niger se sont également retirés du Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), qui regroupait les forces militaires des deux pays avec celles de l’Algérie et de la Mauritanie.
Même si le CEMOC n’a pas été très actif depuis sa création en 2010, il a constitué une plateforme de coordination sécuritaire et un cadre de coopération utiles, l’Algérie apportant notamment un soutien en matière de formation. Cela s’est avéré précieux compte tenu de la superficie de cette région désertique de l’Afrique, qui constitue une voie de transit privilégiée pour les armes, la drogue et le trafic illicite de migrants.
Le défi de l’UA
Compte tenu des capacités militaires de l’Algérie — sans équivalent dans la région —, la probabilité que ces tensions dégénèrent ouvertement en conflit armé semble minime. Toutefois, elles peuvent nuire à la stabilité régionale. Dans l’immédiat, elles risquent de déstabiliser la zone tampon entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest, une zone déjà affaiblie par la guerre civile en Libye et l’insécurité persistante dans les États voisins.
Selon le Mali, la destruction du drone est une « action hostile préméditée de la part de l’Algérie »
S’y ajoute un deuxième problème, plus profond, lié au retrait récent des pays de l’AES de la CEDEAO, privant cette dernière de la capacité juridique et de la légitimité politique nécessaires à la médiation de la crise. Ce retrait compromet également la mise en œuvre par la CEDEAO de l’architecture de paix et de sécurité de l’UA — en particulier la subsidiarité, qui suppose que les organisations régionales entreprennent les efforts initiaux de prévention des conflits. Dans ce vide institutionnel, l’UA reste le seul organe continental qui puisse échanger avec les deux parties et rétablir le dialogue diplomatique. Elle dispose d’une occasion unique de rétablir des relations constructives entre l’Algérie et les pays de l’AES.
La situation exige en outre une attention urgente en ce qui concerne les problèmes sécuritaires non résolus dans le nord du Mali, qui sont au cœur de la crise actuelle. Avant l’incident du drone, les autorités maliennes ont accusé l’Algérie de servir de base arrière au Front de libération de l’Azawad, un groupe séparatiste, dans la foulée de la reprise des hostilités entre le groupe armé et l’État malien à la fin de l’année 2023. Cela a conduit le Mali à se retirer officiellement de l’accord d’Alger de 2015, qui n’est jamais parvenu à instaurer une paix durable entre Bamako et les séparatistes.
Cette impasse diplomatique s’inscrit dans une tendance de volatilité régionale. Elle souligne l’urgence pour le CPS d’examiner de près les dynamiques complexes qui sont à l’œuvre dans le nord du Mali et dont l’importance demeure centrale dans l’instabilité de la ceinture sahélo-saharienne.
Une opportunité rare
La détérioration des relations entre l’Algérie et le Mali et ses répercussions dans toute la région donnent à l’UA la possibilité de rétablir son influence dans le Sahel. Ceci est d’autant plus important qu’elle avait été mise à l’écart lors du litige de 2012-2013 sur la création de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Ce contentieux était à mettre en partie sur le compte de la concurrence entre l’UA et la CEDEAO au sujet de la gestion des contributions des troupes africaines sous le commandement des Nations unies.
L’UA pourrait en profiter pour rétablir des relations constructives entre l’Algérie et les pays du Sahel
L’UA a été encore plus marginalisée par le rôle dominant de la France au Sahel et son soutien au G5 Sahel. Le G5 Sahel est apparu comme une alternative au processus de Nouakchott de l’UA, qui visait à renforcer la sécurité régionale et la coordination antiterroriste de l’Algérie, du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Une médiation réussie sous l’égide de l’UA entre l’Algérie et le bloc de l’AES pourrait relancer le processus de Nouakchott.
Le retrait des acteurs occidentaux, l’effondrement du G5 Sahel et de sa force conjointe et la marginalisation de la CEDEAO permettent à l’UA de combler le vide en occupant une position dominante et de réaffirmer sa volonté de trouver des réponses africaines face à l’insécurité régionale.
Quelles options pour relever ce défi ?
L’UA doit se concentrer sur trois objectifs, à commencer par l’apaisement des tensions entre les deux pays voisins. Deuxièmement, elle doit promouvoir une solution politique entièrement africaine à la crise dans le nord du Mali, crise qui est au cœur des tensions interétatiques depuis un certain temps. Troisièmement, elle doit donner un nouvel élan aux initiatives africaines dans la région, en particulier le processus de Nouakchott, afin de gérer les tensions et l’insécurité.
Pour ce faire, elle devra tirer parti des opportunités, notamment des liens historiques étroits entre l’Angola et l’Afrique du Sud, ainsi que des réseaux étendus et de la bonne volonté du président de la Commission de l’UA, Mahmoud Ali Youssouf. Des pays comme la Mauritanie — un membre du CEMOC qui entretient des relations cordiales avec le bloc de l’AES — et le Tchad — qui a su tisser des liens avec les deux parties — pourraient constituer des points d’entrée supplémentaires pour une éventuelle médiation.
Des initiatives africaines telles que le processus de Nouakchott doivent être redynamisées
L’implication de l’UA doit s’inscrire dans le cadre d’une réponse plus large face à la détérioration de la paix et de la sécurité en Afrique de l’Ouest. Il s’agit notamment de remédier à son engagement limité dans la région, comme en témoigne l’absence d’un haut représentant et chef de la mission de l’UA pour le Mali et le Sahel depuis août 2023. La nomination d’un nouveau représentant à Bamako et le renforcement du mandat de la mission permettraient à cette dernière d’opérer plus efficacement dans un environnement instable, d’impliquer les autorités maliennes et de gérer les tensions avec les pays voisins.
L’UA doit être plus présente dans les autres pays de l’AES, en particulier au Niger et au Burkina Faso. Elle devrait nommer des responsables politiques de haut niveau au Centre de recherche et de développement des céréales vivrières semi-arides de l’UA à Ouagadougou et au Centre d’études linguistiques et historiques à Niamey. Ces structures sont bien placées pour entamer un dialogue régulier avec les autorités de facto et maintenir les canaux de communication.
La réactivation technique du processus de Nouakchott est importante pour évaluer la volonté politique et jeter les bases d’un dialogue à un niveau plus élevé. Le processus pourrait bénéficier du soutien du nouveau président du Ghana, John Dramani Mahama, dont l’initiative pour impliquer les dirigeants de l’AES a déjà abouti à la nomination d’un envoyé spécial.