Y-a-til une exception nigérienne dans la lutte contre le terrorisme ?

À la différence de ses voisins, le Niger adopte une approche alliant action militaire et dialogue.

Le vendredi 10 février 2023, le Niger a été endeuillé par une attaque contre un convoi de l'armée dans la commune de Banibangou, dans le nord-est de la région de Tillabéri, à la frontière malienne. Le bilan officiel fait état de 17 soldats tués, 13 blessés et 12 portés disparus. Cette attaque survient après quelques mois d’accalmie dans cette zone sujette à plusieurs actions terroristes, au cours des deux années passées. 

Depuis 2019, les forces armées nigériennes mènent dans la partie nord de la région de Tillabéri, frontalière avec le Mali et le Burkina Faso, deux opérations spéciales, dénommées Almahaou (tourbillon en zarma) et Niya (volonté en haoussa), contre les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe État islamique (EI). Ces opérations ont été soutenues par 250 soldats français qui ont pris part, entre juillet et octobre 2022, à 15 opérations sous la conduite de l’armée nigérienne.

Grâce à ces actions militaires, un climat de sérénité s’était peu à peu installé dans la zone, permettant la reprise des activités agro-pastorales, les distributions de vivres et les consultations médicales gratuites dans certaines localités. Mais l’attaque du vendredi 10 février a prouvé qu’un tel répit demeure fragile dans un combat contre des groupes djihadistes aptes à se régénérer.

Conscientes de cette limite, les autorités du Niger avaient anticipé, dès février 2022, en optant, au-delà de la réponse militaire, pour le dialogue avec les chefs djihadistes nigériens opérant dans la région de Tillabéri.

Dès février 2022, le Niger avait opté pour le dialogue avec les chefs djihadistes nigériens

Cette main tendue aux autochtones qui combattent dans les rangs des groupes terroristes, pour les inciter à se désengager, s’inscrit dans la logique du programme de reddition des ex-combattants qui a significativement contribué à réduire l'instabilité dans la région de Diffa. Le Niger y expérimente depuis 2016 un processus de désarmement, démobilisation, rapatriement, réintégration et réinstallation (DDRRR) qui a profité à 386 anciens combattants de Boko Haram qui ont suivi une phase de déradicalisation et une formation professionnelle permettant leur resocialisation.

La décision de prolonger ce programme dans la région de Tillabéri, proche du Mali et du Burkina Faso, procède d’une volonté politique affirmée de l'exécutif nigérien pour qui la recherche de la paix passe aussi par des discussions avec tous les nigériens engagés dans les groupes djihadistes.

L’approche nigérienne, qui allie dialogue et action militaire, fait de ce pays une exception dans une région du Sahel central où la tendance est plutôt au renforcement de la militarisation de la lutte contre les groupes par la diversification des alliances stratégiques et l’emploi de civils.  

La singularité de cette approche repose sur une longue tradition de dialogue héritée de la gestion réussie des rébellions touarègues et de l’institutionnalisation de cette expérience au bénéfice d’une réponse plus holistique aux défis sécuritaires du pays. Le Niger s’est doté d’institutions qui sont au cœur du pilotage de l’approche voulue par l’État : la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP), logée à la présidence de la République et l’Unité de Coordination nationale des programmes de stabilisation et de prise en charge de la reddition (UCN/PSR), rattachée au ministère de l’Intérieur.

L’approche nigérienne, qui allie dialogue et action militaire, est une exception dans le Sahel central

En 2022, des forums pour la paix, la sécurité et la cohésion sociale, initiés par l’État et organisés dans plusieurs régions, ont encouragé les réconciliations dans les villages. Plusieurs médiations communautaires ont alors été menées, à l’image de celle qui a abouti, le 21 janvier 2023, à la signature d’un accord de paix entre les communautés peulhe et zarma de la commune de Banibangou. Cet accord a permis de mettre fin à un conflit de deux décennies autour des activités agropastorales de la zone et qui servait de prétexte aux recrutements des groupes jihadistes.

Pour susciter un consensus autour de la démarche, le président Mohamed Bazoum a usé de pédagogie politique pour expliquer son choix aux cadres nigériens (députés, leaders de la société civile, chefs religieux, directeurs d’administration et responsables de la sécurité) et les associer à la décision.

L’engagement personnel du chef de l’État nigérien, qui s’appuie sur une équipe de conseillers, a permis d’établir les contacts avec plusieurs djihadistes par le canal d’émissaires choisis parmi leurs parents biologiques ou leur communauté. Les discussions qui se poursuivent ont déjà enregistré quelques résultats. Les témoignages récents recueillis par l’ISS révèlent qu’une centaine de nouveaux repentis sont regroupés à Niamey, en attendant leur transfert au centre de réinsertion socioéconomique d'ex-combattants inauguré en mai 2022 à Hamdallaye, dans la région de Tillabéri.

Les repentis y recevront une formation religieuse visant à déradicaliser ceux qui ont fait l'objet d’un endoctrinement religieux et une formation professionnelle à l’issue de laquelle ils seront dotés de kits d’outils pour monter leurs propres ateliers en mécanique, soudure, plomberie, menuiserie ou couture.

Les autres pays du Sahel et du Golfe de Guinée gagneraient à s’inspirer de l’approche nigérienne

Des sources rencontrées par ISS signalent toutefois quelques limites dans la démarche. Elles estiment que certains émissaires choisis pour mener le dialogue avec les djihadistes ne sont pas forcément les plus habilités. Elles considèrent que d’autres personnes ressources, dont la crédibilité et l’assise sociale permettraient de mieux jouer ce rôle, ont été laissées à la marge. Une démarche plus inclusive, s’appuyant sur l'implication d'une diversité d’acteurs influents, pourrait ainsi améliorer l’approche et accélérer les redditions. Une meilleure coordination entre les institutions concernées par ce processus est également essentielle pour éviter la dispersion des efforts.

D’autres sources émettent des inquiétudes quant aux mesures prévues pour garantir une intégration réelle des nouveaux repentis dans les communautés à leur sortie du centre de Hamdallaye. Le gouvernement doit s’assurer d’une mise en œuvre rapide de ce processus, en capitalisant les enseignements du DDRRR mené dans la région de Diffa, pour prévenir les risques de réengagement parmi ces repentis et empêcher le recrutement par les groupes extrémistes de se poursuivre.

Le Niger, en faisant ce choix, expérimente une approche similaire à celles qui ont permis à l’Algérie et la Mauritanie de se prémunir, depuis une décennie, de la violence djihadiste. Les autres pays du Sahel et du Golfe de Guinée, touchés par le phénomène, gagneraient, eux aussi, à s’en inspirer pour espérer venir à bout de l’insécurité qui les déstabilise.  

Pour augmenter les chances de succès, ces pays devraient inscrire leurs initiatives dans une démarche régionale coordonnée qui mettrait partout la pression sur les groupes terroristes en les vidant progressivement de leurs ressources humaines.

Hassane Koné et Fahiraman Rodrigue Koné, chercheurs principaux, Programme Sahel, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le bassin du Sahel et du lac Tchad

Image : © Counterpart International

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