Un demi-siècle plus tard, la politique africaine envers les réfugiés toujours à la pointe
En dépit des défis croissants, la Convention de l’OUA de 1969 sur les réfugiés a profondément influencé les pratiques et l’élaboration des politiques sur cette question à travers l’Afrique.
« L’Afrique fait figure de référence en matière de solidarité » envers les réfugiés, a déclaré le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres lors du sommet de l’Union africaine (UA) qui s’est déroulé à Addis-Abeba en février 2019. « Malgré les défis sociaux, économiques et sécuritaires propres au continent, les gouvernements et les peuples d’Afrique ont maintenu leurs frontières, leurs portes et leurs cœurs grands ouverts à des millions de personnes dans le besoin », a-t-il souligné.
En fin 2018, l’Afrique comptait 7,4 millions de réfugiés et demandeurs d’asile. Soit dix fois plus qu’en 1969, lors de l’adoption par l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.
Malgré des difficultés croissantes, la politique continentale de l’Afrique à l’égard des réfugiés a enregistré d’importants progrès, comme en témoigne la déclaration de Guterres. Des pays tels que l’Ouganda et l’Éthiopie ont ouvert la voie à la mise en pratique de cette politique.
Les réfugiés qui ont fui le Soudan du Sud et la Somalie ont bénéficié d’une protection grâce à la définition élargie mise de l’avant par la Convention de l’OUA
Toutefois, il y a lieu de réfléchir à la contribution de ce traité historique, dont on célèbre cette année le 50e anniversaire et dont la rédaction s’inspirait du « nombre toujours croissant de réfugiés en Afrique ». Et quelle journée plus à propos pour cet exercice de réflexion critique que la Journée mondiale des réfugiés que l’on célèbre aujourd’hui ?
Ratifiée par 46 des 55 États membres de l’UA, la Convention est l’un des traités régionaux les plus largement acceptés en Afrique. Elle a profondément influencé l’élaboration et la mise en pratique de politiques envers les réfugiés, particulièrement en matière d’élargissement de la définition de « réfugié », d’émergence d’une reconnaissance prima facie du statut de réfugié, de création d’une plateforme défendant une « politique de la porte ouverte » de la part des pays africains, et, de mise au point d’un modèle de partage du fardeau et des responsabilités.
Premièrement, l’élargissement par la Convention de la définition de ce que constitue un réfugié régional est un élément essentiel. Cette définition va plus loin que celle adoptée par l’Organisation des Nations Unies, dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, quant aux facteurs pouvant forcer les populations à fuir une zone ; à savoir « du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public ».
La Convention de 1969 de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique est l’un des traités régionaux les plus largement acceptés du continent
Cette disposition a inspiré la législation nationale de plusieurs pays africains, dont l’Afrique du Sud, l’Angola, le Ghana, le Malawi, le Nigeria, l’Ouganda, le Sénégal et la Tanzanie. Parmi les réfugiés ayant bénéficié d’une protection grâce à cette définition élargie, comptent ceux qui ont fui le Soudan du Sud et la Somalie.
Cette nouvelle définition revêt une importance pérenne sur le plan international. Elle a inspiré la Déclaration de Carthagène en Amérique latine, la Convention arabe de la Ligue des États arabes sur la réglementation du statut des réfugiés dans les pays arabes (bien que cet instrument ne soit jamais entré en vigueur) et la définition que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) utilise dans le cadre de son mandat en matière de détermination du statut de réfugié.
Deuxièmement, la Convention est largement reconnue comme ayant façonné l’approche prima facie de la détermination du statut de réfugié. En vertu de cette approche, le statut de réfugié d’une personne est reconnu sur la base d’une présomption d’inclusion dans l’une des catégories prévues par la définition. Cela est particulièrement approprié en Afrique, où les conflits demeurent déterminant principal du nombre de réfugiés. L’approche prima facie est pertinente dans de tels contextes, car les États hôtes n’ont pas toujours la capacité de procéder à une évaluation individuelle du statut.
Cette approche est cruciale pour les réfugiés, car elle accélère leur accès à la protection. Parmi les pays l’ayant adopté figurent le Ghana, la Guinée, le Libéria et le Togo, spécialement pour les personnes qui cherchaient à fuir la Côte d’Ivoire lors de violences post-électorales. L’Éthiopie l’a également mise en œuvre pour reconnaître le statut des réfugiés provenant de Somalie et du Soudan du Sud.
Troisièmement, l’on attribue à la Convention le mérite d’être à l’origine de la générosité des États africains à accueillir des réfugiés. En 2017, plusieurs pays africains comptaient parmi les 10 principaux pays d’accueil des réfugiés dans le monde, notamment l’Ouganda, l’Éthiopie et le Soudan. Ces trois pays sont par ailleurs éligibles à des aides de l’Association internationale de développement de la Banque mondiale, car ils font partie des pays les plus pauvres du monde. L’ouverture de ces pays est d’autant plus importante que la plupart des réfugiés africains cherchent refuge dans les pays voisins.
La Convention a posé les jalons de la générosité des États africains à accueillir un nombre important de réfugiés
Quatrièmement, la Convention offre un modèle de partage régional du fardeau et des responsabilités, considéré « en avance sur son temps ». L’article II (4) stipule que « lorsqu’un État membre éprouve des difficultés à accorder le droit d’asile à davantage de réfugiés, cet État membre pourra lancer un appel aux autres États membres, tant directement que par l’intermédiaire de l’OUA ; et les autres États membres, dans un esprit de solidarité africaine et de coopération internationale, prendront les mesures appropriées pour alléger le fardeau dudit État membre accordant le droit d’asile ».
Au cours des années 1970 et 1980, le Botswana, le Lesotho et l’eSwatini ont invoqué l’article II(4). La mise en œuvre de cette disposition reste toutefois limitée. En 2017, le Rwanda a également annoncé la réinstallation d’un certain nombre de migrants originaires d’Afrique subsaharienne et de réfugiés provenant de la Libye.
Au regard de l’augmentation massive du nombre de réfugiés en Afrique, la mise en œuvre de la Convention n’a pas été sans difficultés. Des cas de refoulement ont ainsi été constatés et les réfugiés sont souvent perçus comme un problème de sécurité. Les enjeux sont également marqués par des causes migratoires de plus en plus complexes, notamment les répercussions des conflits combinées aux effets du changement climatique.
À l’occasion du 25e anniversaire de la Convention, l’accent était mis sur l’importance de raccorder la prévention, la gestion et la résolution des conflits à la protection des réfugiés. Aujourd’hui, ce défi persiste, en particulier en ce qui a trait à la prévention des conflits.
Alors que l’Afrique fête le 50e anniversaire de la Convention, la véritable épreuve est celle de l’efficacité avec laquelle les pays la mettent en œuvre. Plus les pays africains reconnaîtront la grande diversité des raisons pour lesquelles les individus sont contraints de fuir leur pays — et plus ils s’efforceront d’y remédier — plus la situation de ces populations s’améliorera.
La Convention et les initiatives de l’UA visant à prévenir et à résoudre les conflits, telles que la campagne « Faire taire les armes », ont des rôles complémentaires à jouer dans la lutte contre les déplacements forcés, y compris l’afflux de réfugiés. La feuille de route pour « Faire taire les armes » reconnaît l’importance de « remédier au sort des personnes déplacées et des réfugiés et d’éliminer les causes profondes de ce phénomène en appliquant pleinement les cadres continental et universel existants ». Menés à bien, ces efforts en faveur de la paix et de la sécurité pourront favoriser la mise en place de solutions telles que le rapatriement volontaire.
Tsion Tadesse, chercheure principale sur la thématique des migrations, ISS Addis-Abeba, Allehone Abebe, Conseiller juridique principal, UNHCR et Marina Sharpe, Conseillère juridique principale, UNHCR
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