Tracer la voie d'un avenir meilleur pour la RDC
Après des années de stagnation, l'« union sacrée » de Tshisekedi pourrait transformer les perspectives du pays grâce à cinq choix de politiques sectorielles.
Publié le 14 mai 2021 dans
ISS Today
Par
Jakkie Cilliers
président du Conseil d’administration de l’ISS responsable de programme, Afriques futures et innovation
Kouassi Yeboua
chercheur principal, Afriques futures et innovation, ISS Pretoria
La population congolaise attend impatiemment le changement. L'absence de vision et de responsabilisation des dirigeants a fait de ce pays un exemple typique de la « malédiction des ressources naturelles ».
En décembre 2018, la République démocratique du Congo (RDC) a connu son premier transfert pacifique de pouvoir depuis son indépendance en 1960. Le gouvernement de coalition chancelant qui en a émergé n'a cependant que peu contribué à améliorer les conditions de vie de la population.
Après une lutte laborieuse, le président Félix Tshisekedi a habilement desserré l'étau que l'ancien président Joseph Kabila avait sur le pouvoir pour créer la nouvelle coalition de l'« union sacrée ». Bénéficiant d'une majorité au Parlement, le président et ses alliés ont une occasion unique de placer le bien-être de la population congolaise au centre de l'action gouvernementale.
Tout dépend de la volonté réelle de l'Union sacrée de changer le pays en mieux
Un nouveau rapport de l'Institut d'Études de Sécurité (ISS) se penche sur les avantages de politiques appropriées et d'une mise en œuvre rigoureuse par le gouvernement. L'analyse présente d'abord la trajectoire actuelle de développement de la RDC, puis elle explore l'impact de scénarios supplémentaires qui tracent les conséquences à long terme de politiques spécifiques.
Le tout dépendra de la volonté réelle des députés et autres membres du camp de Kabila qui ont désormais rejoint l'union sacrée de faire évoluer le pays dans le bon sens.
La pauvreté touche la majorité de la population de la RDC. Le produit intérieur brut actuel par habitant représente 40 % de sa valeur à l'indépendance. En d'autres termes, le Congolais moyen ne dispose que d'environ 40 % du revenu dont disposaient ses parents au moment de l'indépendance, il y a plus de cinquante ans. Non seulement l'extrême pauvreté n'aura pas été éliminée d'ici à 2030, mais plus de 60 % de la population vivra encore sous le seuil de 1,90 dollar américain par jour. Les niveaux moyens de revenus n'atteindront leur valeur de 1970 qu'après 2040.
La mauvaise gouvernance, les lacunes des institutions, la corruption, le manque d'infrastructures, les insuffisances en termes de réserve et de qualité du capital humain, la faible productivité agricole et la croissance démographique rapide sont les principaux facteurs qui entravent les progrès de la RDC.
À court terme, le développement agricole est la solution la plus accessible pour améliorer les moyens de subsistance
À l'aide de la plateforme de modélisation International Futures (IFs), l'ISS a étudié l'effet de cinq interventions politiques sectorielles que l'union sacrée pourrait mener dans le but de stimuler une croissance et un développement inclusifs et durables.
La première intervention, l'amélioration de la gouvernance, situe la responsabilisation démocratique au cœur de la réforme. Elle modélise la mise en œuvre des dispositions de la constitution de 2006 relatives à la décentralisation (qui n'ont pas encore été appliquées), d’une campagne de lutte contre la corruption et le renforcement des capacités et de l'efficacité de l'État. L'amélioration de la gouvernance et la sensibilisation régionale renforcent par ailleurs la sécurité.
La deuxième intervention, l'intégration physique du pays, reproduit l'impact de la construction et de la réhabilitation des infrastructures de transport. De même, le taux d'électrification des zones urbaines et rurales augmente grâce à des systèmes décentralisés en mini-réseau et hors-réseau utilisant des énergies renouvelables. Les progrès de la connectivité numérique permettent la prestation de services de base tels que l'eau et l'assainissement grâce à des partenariats public-privé.
La troisième intervention modélise l'effet d'une baisse du taux de fécondité, d'une augmentation de la quantité et de la qualité de l'éducation et d'un meilleur accès à des soins de santé abordables. La quatrième intervention montre comment une meilleure production agricole, grâce à des investissements dans des pratiques modernes, permet d'augmenter les rendements par hectare. Ceci est renforcé par l'amélioration de la récolte, du stockage et du transport, ainsi que par l'introduction d'une commercialisation efficace des cultures et des produits animaux.
Enfin, la dernière intervention, relative à la transformation économique, reflète un avenir où la RDC diversifie ses bases de production et d'exportation afin de réduire considérablement sa forte dépendance à l'égard des secteurs minier et des hydrocarbures.
Remédier au déficit d'infrastructures est essentiel à la croissance inclusive et à la diversification économique de la RDC
Des cinq interventions, c'est la dernière sur la transformation économique qui produit les effets les plus favorables sur l'expansion économique et la réduction de la pauvreté. Toutefois, à court terme, le développement agricole semble être la solution la plus accessible pour améliorer le bien-être de la population. Un effort politique concerté dans les cinq secteurs (le Scénario Global) permettrait d'améliorer sensiblement la croissance économique et la réduction de la pauvreté au cours des 30 prochaines années (figures 1 et 2).
Figure 1 : PIB - Scénario global et trajectoire actuelle
Figure 2 : Extrême pauvreté à 1,90 dollar US - Scénario global et trajectoire actuelle Source : Prévisions dans IFs version 7.54 ; données historiques de la Banque mondiale(cliquez sur le graphique pour agrandir l'image)
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Les problèmes complexes de développement de la RDC appellent à une action décisive de la part de Tshisekedi et de l'union sacrée. L'élite au pouvoir doit mettre fin à ses querelles récurrentes motivées par des intérêts personnels et partisans et se consacrer au bien-être de la majorité. Cela donnerait de l'espoir aux millions de Congolais qui vivent dans une précarité extrême.
Le gouvernement doit promouvoir la bonne gouvernance en investissant dans des institutions solides, lutter contre la corruption en assurant une meilleure transparence, accroître sa capacité à générer des recettes intérieures et optimiser les dépenses nationales.
Il est également nécessaire de pallier le manque d'infrastructures pour assurer une croissance inclusive et une diversification économique en RDC. Plus précisément, la fourniture d'infrastructures de base telles que les routes, l'électricité, l'approvisionnement en eau potable et les technologies de l'information et de la communication doit être accélérée.
Outre la refonte des systèmes d'éducation et de santé, la RDC doit s'attaquer à l'insécurité alimentaire et à la malnutrition généralisée en améliorant la production agricole. Cela pourrait se faire en augmentant les terres cultivées et en investissant dans les technologies agricoles afin d'accroître le rendement agricole.
Il convient en outre de diversifier l'économie nationale, largement dominée par le secteur minier, afin de réduire la dépendance de la RDC vis-à-vis de la volatilité du marché mondial des matières premières. Le gouvernement doit également assainir le mauvais climat des affaires afin de susciter les investissements nationaux et étrangers, notamment dans le secteur manufacturier.
Rien de tout cela n'est réalisable sans une volonté politique forte et des ressources financières conséquentes. Tshisekedi et l'union sacrée ont une occasion sans précédent de rompre avec le passé. Ils doivent commencer par mettre en œuvre les dispositions de la constitution de 2006 sur la dévolution des pouvoirs aux provinces et aux collectivités locales et soutenir ces changements par des réformes de la gouvernance à Kinshasa.
Kouassi Yeboua, chercheur et Jakkie Cilliers, Chef du programme Futurs africains et innovation, ISS Pretoria
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