Le présidentialisme ne doit pas éclipser la démocratie en RDC

La rupture entre Tshisekedi et Kabila confirme la puissance du pouvoir en place au détriment de l’état de droit.

Deux ans après avoir remporté l’élection historique de 2018, le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, a récemment démantelé l’alliance de gouvernement qu’il avait scellée avec l’ancien président Joseph Kabila. Mais qui bénéficiera de cette nouvelle donne politique en RDC : la présidence elle-même ou l’état de droit ?

Les derniers développements dans le pays illustrent plusieurs tendances de la politique congolaise et africaine, et notamment le fait que les acteurs politiques s’investissent davantage dans la conquête du pouvoir que dans son exercice d’une manière qui soit légitime et efficace.

Les nouvelles modalités du pouvoir sont encore en train de se mettre en place, mais la scission de la coalition marque l’échec d’une expérience de cohabitation turbulente entre une présidence et un Parlement contrôlés par des partis différents.

Idéalement, l’alliance Front commun pour le Congo-Cap pour le Changement (FCC-CACH) aurait pu déboucher sur une coopération productive entre le Parlement et l’exécutif, ce qui aurait créé une rupture avec la situation qui prévaut dans la plupart des pays de la région, à savoir le contrôle de toutes les strates du pouvoir par un seul parti.

Tshisekedi surfe sur la tendance des politiciens à changer de camp en fonction d’incitations matérielles, et non pas idéologiques

La principale raison de cet échec réside dans l’ambition apparente de Kabila de se porter candidat aux prochaines élections présidentielles. Par conséquent, le Parlement dominé par le FCC qui a émergé des élections de 2018 n’a jamais cherché à contrôler l’action du gouvernement en termes d’efficacité. Au contraire, il cherche à s’assurer que le gouvernement, en particulier le Premier ministre, contrebalance le pouvoir de Tshisekedi, avec l’aide de l’Assemblée nationale.

Kabila n’avait aucun intérêt à voir Tshisekedi réussir, car cela aurait pu entraver sa propre candidature à la présidence. La coalition aurait éventuellement pu fonctionner si Kabila n’avait pas nourri de telles ambitions, qui se heurtaient à celles de Tshisekedi.

L’échec de l’alliance FCC-CACH est symptomatique de deux facteurs. Premièrement, en Afrique, c’est l’exercice du pouvoir qui importe. Quels que soient les contre-pouvoirs mis en place par la Constitution, c’est le président en place qui possède un avantage illimité, tant dans son pays qu’à l’international. Le pouvoir présidentiel demeure l’axe central d’où émanent la plupart des dynamiques politiques dans le pays et au-delà.

Paradoxalement, Kabila, qui a bénéficié d’un large éventail de pouvoirs présidentiels, a fini par surestimer le poids de l’état de droit et de la législation dans sa tentative de rester l’homme fort tirant les ficelles.

Deuxièmement, la reconnaissance au niveau régional n’est pas sans nuance. Au niveau international, l’acceptation de l’accord passé entre Tshisekedi et Kabila peut avoir conduit ce dernier à surestimer le soutien dont il bénéficiait dans la région et au-delà. Lors de la réunion consultative de l’Union africaine qui s’est tenue à Addis-Abeba en janvier 2019, la plupart des pays voisins de la RDC se sont opposés à l’accord. L’alliance a finalement été « sauvée » grâce à sa reconnaissance par l’Afrique du Sud, mais il s’agissait d’une position minoritaire parmi les États présents à la réunion.

Tshisekedi peut former une nouvelle majorité, mais elle sera principalement composée d’anciens partisans de Kabila

Par rapport à d’autres pays d’Afrique centrale, la Constitution de la RDC semble beaucoup plus équilibrée eu égard au partage des pouvoirs entre un président directement élu et un Premier ministre issu de la majorité parlementaire.

Toutefois, comme le montrent les récents développements, la présidence reste le centre ultime de la prise de décision. Cela n’aggrave-t-il pas les défauts structurels que la politique congolaise connaît depuis des années ? Pour démanteler l’alliance FCC-CACH, Tshisekedi a clairement profité des opportunités politiques offertes par le penchant des politiciens du pays pour ce que les Congolais appellent la « transhumance ».

Tiré du principe pastoral de mobilité saisonnière du bétail à la recherche de meilleurs pâturages, le terme de « transhumance politique » désigne la facilité avec laquelle les acteurs politiques changent d’allégeance en fonction d’incitations matérielles, et non pas idéologiques. À titre d’exemple, Modeste Bahati Lukwebo, ministre de l’Économie sous Kabila, n’aurait probablement jamais rejoint le camp de Tshisekedi si son ancien patron l’avait choisi comme candidat à la présidence du Sénat.

C’est bien là le dilemme auquel est confronté Tshisekedi ; il peut former une nouvelle majorité, mais celle-ci sera toujours composée en grande partie d’anciens partisans de Kabila. Malgré de nombreux doutes quant à leur crédibilité, les résultats de l’élection présidentielle de 2018 ont indiqué que les deux tiers de l’électorat n’avaient pas voté pour le candidat de Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary.

Cependant, à terme, les partisans de Kabila constitueront toujours l’essentiel de la majorité parlementaire à partir de laquelle le futur gouvernement sera formé. Cela prouve que le premier parti en RDC n’est ni le FCC de Kabila ni l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Tshisekedi, mais bien l’opportunisme politique.

Le principal parti en RDC n’est pas celui de Kabila ni de Tshisekedi, mais bien l’opportunisme politique

L’évolution de la situation en RDC semble suivre une tendance régionale bien ancrée qui consiste à contourner les lois dans le seul objectif de marquer des buts politiques. Comme l’ont fait remarquer certains experts, la constitutionnalité des nominations judiciaires de Tshisekedi, qui ont entamé la rupture entre les deux alliés, est sujette à caution. Les récents efforts de Tshisekedi pour consolider son pouvoir seront vains s’ils ne font que conduire à une nouvelle phase de politique de gros bonnet aux côtés d’un Parlement dépourvu de pouvoir.

On ne sait toujours pas quelles sont les garanties institutionnelles pour s’assurer que la nouvelle « chaîne de commandement » ne reproduise pas les défauts des administrations précédentes en RDC. Les avis sont partagés quant aux réformes prévues, en particulier celles de la commission électorale et du système judiciaire, et à leurs résultats.

Veillera-t-on à ce que la voix des citoyens soit entendue ? Ou se contentera-t-on de nommer des personnalités proches du parti présidentiel, afin de faire plier les institutions et de garantir des victoires électorales lors des prochains scrutins ?

Ces doutes sont compréhensibles, étant donné que la gouvernance sous le nouveau président ne semble pas fondamentalement rompre avec les pratiques passées. Après plusieurs décennies passées dans l’opposition, l’UDPS de Tshisekedi peine à devenir un parti de gouvernement.

L’UDPS conserve sa base, qui pourrait alimenter le type de polarisation ethnique qui caractérise souvent les divisions politiques en RDC. En outre, la gestion des projets spéciaux des 100 jours a mis au jour de graves lacunes en matière de reddition de comptes et d’efficacité.

Se débarrasser de l’influence de Kabila en débauchant ses partisans ne peut être une fin en soi pour Tshisekedi et pour les acteurs politiques congolais. Les citoyens de la RDC doivent s’assurer que les changements en cours jettent les bases d’un meilleur contrôle public et d’un exécutif qui rende des comptes. Cela comprend notamment des exigences constitutionnelles pour la décentralisation du pouvoir. Faute de quoi, la reconfiguration politique actuelle risque de se traduire par un statu quo aux dépens des citoyens congolais.

Paul-Simon Handy, conseiller régional principal, ISS Dakar et Addis-Abeba, et Félicité Djilo, chercheur indépendant spécialisé dans la paix et la sécurité en Afrique

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