Suspension de Madagascar par l’UA : des interrogations persistent
La politique de tolérance zéro de l’Union africaine envers les coups d'État devrait aussi s’appliquer à la mauvaise gouvernance.
Publié le 21 octobre 2025 dans
ISS Today
Par
Martin Ewi
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé en Afrique australe, ENACT, ISS Pretoria
Paul-Simon Handy
directeur régional pour l’Afrique de l’Est et représentant de l’ISS auprès de l’UA
Zenge Simakoloyi
chercheur stagiaire, Gouvernance africaine de la paix et de la sécurité
Le nouveau régime militaire instauré suite au départ de l’ancien président Andry Rajoelina, qui a quitté Madagascar après un mouvement de contestation, concentre désormais toutes les attentions. Les Malgaches se demandent si la junte incarne la continuité du système Rajoelina —arrivé au pouvoir par un coup d’État en 2009 — ou si elle marquera une rupture au service du bien public.
Le 25 septembre, des jeunes de la génération Z sont descendus dans les rues d’Antananarivo et d’autres grandes villes pour dénoncer les coupures fréquentes d’électricité et d’eau ainsi que la corruption endémique. Leurs revendications se sont ensuite élargies à des réformes politiques et à la démission du président.
Les mesures répressives et les pourparlers ayant avorté, c’est l’intervention du Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (CAPSAT) qui a finalement contraint le président à prendre la fuite.
Le 14 octobre, le Parlement a voté à 130 voix contre 1 sa destitution pour « abandon de ses fonctions ». La Haute Cour constitutionnelle a confirmé la décision et nommé le colonel Michael Randrianirina, chef du CAPSAT, à la tête de l’État. Alors que Rajoelina continue de revendiquer la présidence, Randrianirina a prêté serment le 17 octobre, annonçant une période de transition de deux ans, plus longue que les 60 jours proposée par la Cour, et la tenue d’un référendum constitutionnel.
Le 15 octobre, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a suspendu Madagascar de toutes ses activités, invoquant un changement de gouvernement inconstitutionnel. Il a appelé à un retour rapide à l’ordre constitutionnel par une transition et des élections inclusives menées par des civils. Deux jours plus tôt, le CPS avait chargé Mahmoud Ali Youssouf, président de la Commission de l’UA, de nommer un envoyé spécial à Madagascar et de réactiver la feuille de route de 2011. Cette sanction a irrité les Malgaches, pour qui la junte est légitime.
75 % de la population malgache vit sous le seuil de pauvreté
À l’inverse, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a opté pour une approche plus conciliante. Le 14 octobre, Peter Mutharika, président du Malawi et responsable de l’Organe de coopération en matière de politique, défense et sécurité de la SADC, a annoncé que le Panel des anciens et le Groupe de référence pour la médiation de l’organisation feraient office de médiateurs.
La crise à Madagascar met à l’épreuve les principes de gouvernance démocratique défendus par l’UA et les communautés économiques régionales. La position de la SADC est d’autant plus délicate que le président malgache en occupe la présidence jusqu’en 2026.
La réaction de l’UA aux changements anticonstitutionnels de gouvernement révèle son incapacité à soutenir les pays confrontés à des problèmes de gouvernance et à la contestation populaire. Sa politique de tolérance zéro semble protéger indirectement les présidents destitués malgré leurs manipulations constitutionnelles flagrantes.
Les griefs de la génération Z traduisent un malaise plus profond. En 2022, 75 % des 31,9 millions d’habitants de Madagascar vivaient sous le seuil de pauvreté. Le Programme des Nations unies pour le développement classe le pays au 183e rang sur 193 dans l’indice de développement humain 2024.
La corruption empire la situation. Madagascar se classe 142e sur 180 pays (parmi les 20 plus corrompus d’Afrique) dans l’indice de perception de la corruption 2024 de Transparency International. Avec un produit intérieur brut de 17 milliards de dollars américains et un revenu par habitant de 545 dollars, le pays est l’un des plus pauvres au monde.
L’approche de l’UA révèle son incapacité à soutenir les pays confrontés à des crises de gouvernance
Ces perspectives économiques moroses ont exacerbé l’histoire politique de Madagascar. Depuis son indépendance de la France en 1960, les transitions politiques se font souvent dans la violence, exposant l’île aux insurrections.
La crise actuelle résulte de revendications socio-économiques, tout comme les mouvements de 2024 et 2025 au Kenya. La jeunesse malgache avait su mobiliser les foules, mais leur manque d’organisation avait permis aux acteurs politiques et militaires de prendre le contrôle du mouvement.
L’histoire récente du pays montre que la transition n’aboutira pas nécessairement à un gouvernement compétent, capable de fournir les services sociaux essentiels.
Pour l’UA, ce coup d’État relance une question récurrente déjà soulevée lors du Printemps arabe : comment gérer les crises résultant d’une gouvernance défaillante ? Cette situation souligne également les lacunes de l’organisation en matière d’alerte précoce et de communication entre ses entités.
En août dernier, Ali Youssouf a nommé un haut représentant à Madagascar. Peu après, le CPS a recommandé la fermeture de certains bureaux de liaison de l’UA, dont celui de Madagascar, un manquement préoccupant. Pourquoi le mécanisme d’alerte précoce de l’UA n’a-t-il pas anticipé cette crise latente ? Le bureau de liaison aurait-il pu prévenir et exercer une diplomatie préventive ?
Rien ne garantit la mise en place d’un gouvernement compétent au terme de la période de transition
Quoi qu’il en soit, les relations entre l’UA et les communautés économiques régionales (CER) sont mises à l’épreuve. La SADC tente habituellement de limiter l’action de l’UA dans sa sous-région, ce qui engendre des divergences d’ordre politique et sécuritaire. La crise électorale de 2018 en République démocratique du Congo et le déploiement des troupes de la SADC au nord du Mozambique en 2021 en sont de parfaits exemples.
Dans ce contexte, la promesse de solidarité inconditionnelle de Mutharika envers les Malgaches, pourrait entrainer une impasse entre la SADC et l’UA.
Même si les observateurs qualifient les événements récents de coup d’État, pour plusieurs Malgaches, dont un leader de la société civile à Antananarivo cité anonymement par ISS Today, il s’agit de la destitution de Rajoelina par le peuple. Les Malgaches souhaitent revenir à un régime démocratique civil non aligné.
Les manifestations de Madagascar, à l’instar de celles du Nigeria, du Kenya et plus récemment du Maroc révèlent l’influence croissante de la génération Z qui pourrait s’étendre à d’autres pays africains. La jeunesse malgache reproche à l’UA de ne réagir qu’aux coups d’État, ignorant les questions de gouvernance telles que le boycott des élections de 2023 et l’autoritarisme du gouvernement précédent.
L’UA et les blocs régionaux ont du pain sur la planche. Ils doivent mieux s’outiller pour endiguer la propagation du mouvement génération-Z. Plusieurs chefs d’État en sont conscients, et ont invité en 2025 le président de la Commission de l’UA à réviser le Cadre de paix et de sécurité de l’organisation afin qu’il intègre les menaces contemporaines.
La politique de tolérance zéro de l’UA envers les coups d’État devrait aussi s’appliquer à la mauvaise gouvernance. Elle risque de perdre en popularité et en légitimité si elle ne s’adapte pas.
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