Restreindre l’éligibilité aux élections présidentielles pourrait accentuer les divisions en RDC

La proposition de loi sur la congolité pourrait attiser la violence dans un pays dévasté par plus de vingt ans de conflit.

Au début du mois de juillet, Noël Tshiani, candidat à l’élection présidentielle de 2018 soutenu par une frange des députés, a proposé de modifier la législation régissant les critères d’éligibilité à l’exercice des plus hautes fonctions en République démocratique du Congo (RDC). Tshiani propose en effet que les candidats à l’élection présidentielle et les dirigeants d’institutions étatiques telles que l’Assemblée nationale et le Sénat soient ressortissants de la RDC nés de parents congolais.

Ces dernières semaines, le débat au sujet de cette question a de nouveau divisé le pays. Les partisans de la proposition de loi affirment que celle-ci vise à protéger la fonction présidentielle et à limiter l’accès au pouvoir de personnes présumées étrangères ou de Congolais ayant une double nationalité. Ils affirment que cette loi protégera la souveraineté de la RDC et limitera le risque que des binationaux au pouvoir ne restent pas loyaux aux intérêts du pays.

En revanche, les détracteurs de cet amendement déclarent qu’il viole la Constitution, qui met en garde contre toute politique discriminatoire. Ils trouvent également qu’il génère la division et l’exclusion et qu’il pourrait déclencher des conflits et mettre à mal la cohésion nationale. Pour eux, cette proposition de loi est une démarche opportuniste visant à mobiliser le soutien et à relancer les ambitions politiques de ses défenseurs.

La RDC rejoint le groupe de plusieurs autres pays dont les lois et les politiques ont été modifiées avant les élections dans le but d’éliminer des adversaires politiques. Le Bénin et le Sénégal ont connu cette situation. Leurs gouvernements ont adopté des lois qui, selon leurs opposants politiques, ont faussé le caractère concurrentiel du processus démocratique. Des modifications de ce type peuvent également menacer la sécurité nationale.

La RDC rejoint le groupe des pays dont les lois ont été modifiées avant les élections dans le but de se débarrasser des adversaires

Le débat sur cette proposition de loi doit être repensé à la lumière du contexte politique qui prévaut actuellement en RDC, avec sa majorité récemment formée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les deux chambres sont favorables à ce que le gouvernement reste aux commandes.

Dans le même temps, des acteurs politiques de premier plan commencent à se positionner en vue des élections de 2023. La plupart d’entre eux sont en train d’élaborer des stratégies visant à optimiser leurs chances de rester à la tête du pouvoir ou d’en rester proche. Les alliés du président Félix Tshisekedi pourraient vouloir l’aider à conserver son poste après 2023. Même s’il n’a fait aucune déclaration publique sur ce débat, ses partisans peuvent penser qu’il bénéficiera de la nouvelle législation.

Cependant, certaines organisations de la société civile et la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) mettent en garde contre la menace que représente cette proposition de loi pour la stabilité de la RDC. La cheffe de la MONUSCO, Bintou Keïta, a appelé les acteurs politiques à œuvrer en faveur d’élections inclusives et pacifiques et à prendre garde aux conséquences dangereuses du débat portant sur la citoyenneté en amont des scrutins de 2023.   

Les questions relatives à la nationalité des acteurs politiques ne sont pas nouvelles en RDC. L’arrivée au pouvoir de l’ancien président Joseph Kabila avait alimenté les spéculations sur sa nationalité. L’ancien premier ministre Samy Badibanga et l’ancien gouverneur de la province du Katanga, riche en minerais, Moïse Katumbi, avaient également été visés. Comme ce fut le cas pour Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, les partisans de M. Katumbi estiment que leur leader est directement visé et menacent de quitter « l’union sacrée » si cette loi est adoptée.

La manipulation politique des différences entre les communautés est une cause majeure de violence en RDC

Pourtant, d’aucuns pensent que la RDC est menacée d’infiltration par ses voisins, principalement par le Rwanda. Cela a contribué à la recrudescence des discours haineux à l’encontre d’individus perçus comme des étrangers.

Les partisans de la nouvelle loi doivent se rappeler que la manipulation politique des différences entre les communautés, y compris la citoyenneté, est l’une des principales causes des hostilités. La RDC est déjà confrontée à la violence intercommunautaire dans les provinces du Tanganyika, de l’Ituri, du Sud-Kivu et du Nord-Kivu. La crainte d’une fragmentation de l’est de la RDC a contribué à la crise de Minembwe, dans la province du Sud-Kivu, qui a provoqué des affrontements entre les communautés locales et les Banyamulenge, considérés comme des « étrangers ».

Si elle est adoptée, la proposition de loi sur la citoyenneté des candidats aggraverait l’insécurité qui règne dans ces provinces et compromettrait la cohésion nationale tant attendue. Elle entraînerait également une incertitude politique au moment où le gouvernement et ses partenaires extérieurs tentent de renforcer les acquis fragiles de la consolidation de la paix et d’engager la RDC sur une voie durable.

L’adoption d’une loi sur la congolité pourrait, à court terme, avoir un attrait émotionnel car il s’agit d’un slogan mobilisateur dont certains peuvent tirer un avantage politique. Néanmoins, à moyen et long terme, c’est la manière la plus sûre de courir à la catastrophe.

Le débat autour de « l’ivoirité » à la fin des années 1990 a conduit la Côte d’Ivoire dans l’abîme de la violence politique

Le débat qui fait rage sur la « congolité » n’est pas sans rappeler des querelles similaires sur « l’ivoirité » en Côte d’Ivoire à la fin des années 1990. C’est précisément cette politique qui avait conduit la Côte d’Ivoire dans l’abîme de la violence politique et d’une guerre qui a fait près de 3 000 morts. Il existe suffisamment d’exemples en Afrique, notamment dans des pays comme la Somalie, le Rwanda et le Soudan, où le micro-nationalisme, ou la manipulation des communautés et de l’identité, a mal tourné, laissant ces pays en proie à la dévastation.

La réglementation de l’accès aux hautes fonctions nationales doit garantir l’intégrité, la compétence et la capacité des dirigeants à tenir leurs engagements. Cela comprend notamment la défense du territoire du pays et la protection des citoyens. Dès le moindre soupçon d’exclusion politique, cette législation engendre l’instabilité, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour la RDC.

Plutôt que de prendre ce risque et d’ajouter aux problèmes existants de la RDC, il faudrait mettre l’accent sur des réformes électorales visant à améliorer les mécanismes institutionnels par lesquels les dirigeants sont choisis et les mécanismes de reddition de comptes qui s’appliquent à eux. Il faut créer les conditions d’une élection crédible, sans violence et transparente, en 2023. Le poids de la fraude qui pèse sur le choix des dirigeants nationaux doit être levé afin que les élus bénéficient d’une légitimité populaire.

La consolidation de la paix et de la démocratie exige des normes et des institutions qui favorisent l’inclusion, le respect des droits humains, l’équilibre des pouvoirs, la redevabilité et la prestation de services. Si ces divers éléments sont en place, il serait inutile d’avoir recours à des lois et à des politiques discriminatoires.

En examinant la législation proposée, les autorités nationales doivent réfléchir à son impact à long terme sur la paix et la stabilité en RDC, un pays dévasté par plus de vingt ans de conflit. La consolidation durable de la paix nécessite la contribution de tous les ressortissants, qu’ils soient dans le pays ou issus de la diaspora.

David Zounmenou, consultant de l’ISS

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