Le retour de Gbagbo donne à la Côte d'Ivoire une seconde chance de réconciliation

Plutôt que de nourrir de nouvelles polémiques, le gouvernement devrait profiter du retour de l'ancien président pour aplanir les divergences de longue date.

Après de nombreuses polémiques et la réticence à délivrer les documents de voyage de Laurent Gbagbo, le gouvernement ivoirien a autorisé l'ancien président à entrer sur le territoire le 17 juin 2021. Cette décision a été présentée comme un geste d'apaisement et pourrait favoriser la réconciliation nationale. Cependant, pour ce faire, elle doit s'accompagner d'un engagement politique ferme en faveur de la résolution des différends qui affligent le pays depuis trois décennies.

La Cour pénale internationale (CPI) a confirmé l'acquittement de Gbagbo et de son coaccusé, Charles Blé Goudé, le 31 mars. L'ancien président a été inculpé en novembre 2011 pour crimes contre l'humanité pour son rôle présumé dans les violences post-électorales de 2010-2011 en Côte d'Ivoire qui ont fait près de 3 000 morts. Gbagbo avait refusé de concéder sa défaite aux urnes.

Les critiques de la CPI y verront la 3e instance impliquant des accusés africains dans laquelle soit les charges ont été retirées (comme cela a été le cas pour le président kényan Uhuru Kenyatta), soit un acquittement a été prononcé pour insuffisance de preuves (comme dans le cas de Jean-Pierre Bemba). Bien que ces aboutissements illustrent la rigueur du processus judiciaire, ils pourraient toutefois nuire à la réputation de la CPI sur un continent où les victimes dépendent principalement des tribunaux internationaux pour rendre justice pour les violations des droits humains perpétrées par ceux qui sont au pouvoir.

Le rôle d’hommes politiques clés, dont Gbagbo, est au cœur du débat sur la réconciliation nationale

Le processus judiciaire, qui a duré dix ans, et la libération du duo politique ivoirien pourraient influencer l'avenir politique du pays et le processus de réconciliation nationale. Depuis que le président Alassane Ouattara a approuvé le retour de Gbagbo lors du Conseil des ministres du 7 avril, des négociations sont en cours pour lui offrir les avantages prévus par la loi pour les anciens chefs d'État.

Selon le ministre de la Réconciliation nationale, Kouadio Konan Bertin, des commissions techniques ont été créées pour travailler sur tous les aspects du retour de Gbagbo, qui n'est en aucun cas un événement anodin. L'accueil triomphal prévu par ses partisans ne masquera pas les vieilles tensions qui persistent dans le pays et qui nécessitent un nouvel engagement de tous les acteurs politiques ivoiriens pour les résoudre.

Depuis l'élection présidentielle de 2020, une fois encore marquée par des violences et des rivalités politiques et communautaires de longue date, la question de la réconciliation nationale se pose à nouveau avec acuité. Le rôle des principaux politiciens, dont Gbagbo, est au cœur du débat ; son retour pourrait donner à la réconciliation une seconde chance bien nécessaire, bien qu'il y ait des obstacles importants à surmonter.

La responsabilité des responsables des violences post-électorales de 2010-2011 n'a toujours pas été établie par le système judiciaire ivoirien ou la CPI. Pour les victimes de la crise, un sentiment d'impunité persiste, notamment concernant le rôle de Gbagbo. Pour ses partisans cependant, la justice a triomphé. Ces positions tranchées devront être réconciliées.

La responsabilité des auteurs des violences post-électorales de 2010-2011 n'a toujours pas été établie

Malgré les initiatives de vérité et de réconciliation du gouvernement, la justice est toujours perçue comme ciblant les opposants politiques de Ouattara, tandis que d'autres accusés échappent aux poursuites. Les quelques verdicts prononcés ont pour la plupart porté sur des crimes économiques ou d’atteinte à la sûreté de l’État, plutôt que pour les violences commises après les élections.

Un autre défi réside dans le fait que les recommandations de la commission Dialogue, vérité et réconciliation, notamment celles sur la réforme agraire, la réforme politique consensuelle et le soutien aux victimes, doivent encore être mises en œuvre. Beaucoup reste donc à faire pour parvenir à la réconciliation nationale, certainement plus qu'un accueil triomphal.

Le retour de Gbagbo en Côte d'Ivoire pourrait également affecter la dynamique politique, tant chez ses partisans que chez ses opposants. Un conflit déchire actuellement le parti politique créé par Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI). En son absence, le FPI a été secoué par des divisions internes et un manque de leadership. Deux factions rivales se disputent le pouvoir depuis dix ans, l'une aussi radicale l'une que l'autre. Gbagbo devra résoudre cette division pour préserver l'unité de son parti.

Le retour de Gbagbo pourrait également affecter la dynamique politique, tant chez ses partisans que chez ses opposants

Au niveau national, le contentieux sur les dispositions constitutionnelles et juridiques doit également être vidé, et Gbagbo pourrait jouer un rôle. Ces questions incluent la limite d'âge pour les candidats à la présidence, les limitations constitutionnelles des mandats présidentiels, le renforcement du Conseil constitutionnel, la refonte des organes de gestion des élections et des réformes judiciaires efficaces.

Plutôt que d'alimenter de nouvelles polémiques, le gouvernement devrait profiter du retour de Gbagbo pour renouveler l'effort collectif de stabilisation du pays. Un nouveau consensus politique et un dialogue national pourraient aplanir les différences politiques et socio-économiques persistantes et promouvoir le respect de la démocratie et la compétition électorale. L'état de droit et l'indépendance de la justice doivent également être consolidés.

Le gouvernement doit s'attaquer aux racines de la crise ivoirienne. L'histoire politique récente du pays montre que rien n'est acquis sans cela, et le danger d'instabilité n'est jamais loin.

David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS

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Crédit photo : REUTERS / Alamy Stock Photo

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