Reconstruire les économies locales pourrait permettre de vaincre Boko Haram
Il est primordial de garantir les moyens de subsistance des communautés du bassin du lac Tchad afin qu’elles puissent résister et se remettre du conflit.
Les ravages causés par Boko Haram dans le bassin du lac Tchad ne se limitent pas aux personnes tuées et déplacées. Ces ravages incluent également de graves perturbations dans les activités économiques. Et s’il est difficile pour les communautés de maintenir leurs moyens de subsistance, ce n’est pas uniquement dû aux extrémistes violents, mais aussi aux mesures prises par le gouvernement pour lutter contre Boko Haram.
Selon une nouvelle étude de l’Institut d’études de sécurité (ISS), les activités dans les secteurs de la pêche et de l’agro-pastoralisme dans le bassin du lac Tchad étaient florissantes avant le conflit. La zone disposait également d’un secteur commercial transfrontalier dynamique, basé sur les échanges des biens produits dans la région et en-dehors. Aujourd’hui, le travail des pêcheurs, des agriculteurs, des commerçants et des transporteurs est entravé à la fois par les activités de Boko Haram et par les interventions de l’État contre le terrorisme.
L’étude de l’ISS a couvert le Cameroun (Nord et Extrême-Nord), le Niger (Diffa), le Nigeria (Borno, Adamaoua et Yobe) et le Tchad (Lac et Hadjer Lamis). Ces zones étaient déjà marginalisées sur le plan socioéconomique avant le conflit, et la présence inégale de l’État et des services publics a permis à Boko Haram de s'arroger des activités économiques et de les exploiter à son profit.
Régions du bassin du lac Tchad touchées par la crise de Boko Haram (cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Des extrémistes violents sont arrivés et ont détruit des fermes, tuant ou déplaçant les agriculteurs. Les zones de pêche sont devenues des zones interdites après que les habitants aient été tués ou déplacés. En outre, l’inccendie et le pillage des marchés a conduit des commerçants à la faillite. Le fonctionnement de réseaux importants tels que les syndicats de commerçants a été perturbé, privant leurs membres de l’accès aux capitaux ou au crédit.
Le déclin général des activités économiques a affecté les prestataires de services de transport, conduisant certains d’entre eux à fermer leur entreprise ou à réduire l’échelle de leur activité. En raison de la menace constante d’attaques, certaines grandes routes commerciales sont devenues inaccessibles, coupant l’accès aux clients et aux fournisseurs ou le rendant difficile et coûteux.
Les mesures prises par l’État contre Boko Haram ont involontairement affecté les communautés à plusieurs niveaux. La fermeture de certains marchés pour empêcher les extrémistes violents de les utiliser a porté préjudice à des producteurs et des commerçants innocents qui ont dû trouver d’autres débouchés pour vendre leurs marchandises.
Les postes de contrôle installés par la police et l’armée le long de certains axes de communication ont été utilisés de manière abusive par des fonctionnaires qui ont extorqué les commerçants et les transporteurs, augmentant ainsi les coûts de leurs transactions. Même si, la plupart des interdictions de commercialiser les produits tels que le poivron et le poisson, ont été levées, elles ont provoqué une chute des revenus pour les producteurs et les commerçants.
Avant le conflit, la pêche, les activités agro-pastorales et le commerce transfrontalier étaient florissants
Les femmes ont été particulièrement touchées par le conflit. Historiquement marginalisées par les normes liées au genre, elles opéraient déjà à une échelle plus reduite que leurs homologues masculins, par exemple en travaillant dans le commerce de détail plutôt que dans le commerce de gros. La crise de Boko Haram a aggravé leur vulnérabilité face aux chocs économiques et à l’affaiblissement des moyens de subsistance. Leur situation financière désastreuse les expose également à être exploitées, notamment sur le plan sexuel.
Les communautés essayent de faire face à ces changements de différentes façons. De nombreux commerçants et chefs d’entreprise ont réduit l’ampleur de leurs opérations, passant du commerce de gros au commerce de détail, par exemple. L’achat et la revente des biens s’est déplacé vers ceux qui ont accès à des lignes d’approvisionnement, là où la demande locale est suffisante.
Certaines personnes ont abandonné les activités économiques devenues non rentables en raison du conflit. L’afflux d’organisations non gouvernementales (ONG) dans la région pour aider à faire face aux effets de la violence a créé de nouvelles opportunités d’affaires – bien qu’il s’agisse là de solutions précaires et à court terme.
La crise de Boko Haram a aggravé la vulnérabilité des femmes aux chocs économiques
Les habitants du bassin du lac Tchad ont trouvé les moyens de tirer profit de « l’économie des ONG » en tant qu’employés ou sous-traitants. Cependant, beaucoup ont été complètement dépouillés de leurs moyens de subsistance et dépendent désormais entièrement des gouvernements et des ONG pour répondre à leurs besoins essentiels. Certains vivent dans des camps de déplacés, à l’intérieur du pays, tandis que d’autres habitent en zone urbaine, hors des camps.
Certaines personnes ont eu recours à des stratégies survie négatives en raison de la situation économique désastreuse. Pour continuer à produire et à commercer, elles ont traité avec Boko Haram directement ou exercé dans les zones sous son contrôle contre paiement de taxes. Certains membres des communautés participent désormais à l’économie de la violence en vendant des renseignements à Boko Haram ou en contribuant à la logistique du groupe.
Pour aider les communautés à résister et à se remettre du conflit avec Boko Haram, il faut protéger les personnes et leurs moyens de subsistance. Les habitants du bassin du lac Tchad ont déclaré à l’ISS que le fait de garantir la sécurité des fermes, des marchés et des voies de communication leur permettrait de relancer leurs activités économiques. Ils ont également besoin de crédits à faible taux voire sans intérêt pour leur permettre de compenser leurs pertes.
Les abus des fonctionnaires doivent être jugulés, et les pratiques d’extorsion par les personnels de sécurité doivent être combattues de manière ferme. Les impôts prélevés par l’État sur les chefs d’entreprises et les commerçants doivent être réexaminés afin de s’assurer qu’ils n’étouffent pas le commerce local.
La reconstruction des économies locales permettra de s’attaquer à certaines des causes du conflit lié à Boko Haram
La Stratégie régionale pour la stabilisation, le redressement et la résilience des zones du bassin du lac Tchad affectées par Boko Haram a permis de faire quelques progrès en octroyant des subventions et en reconstruisant des marchés et des routes. Toutefois, pour inverser durablement la tendance et compenser les pertes économiques de la région, les réponses doivent être adaptées aux secteurs économiques, au genre et au statut social des personnes concernées.
L’agriculture et la pêche constituent toujours le cœur des activités commerciales dans le bassin du lac Tchad, et il faut prendre des mesures pour améliorer leurs rendements et apporter de la valeur ajoutée à leurs productions. Les communautés ont besoin de se former et de se perfectionner pour intégrer l’économie de services, un secteur en pleine croissance, notamment dans l’hébergement, la restauration, le transport, la logistique et les services aux entreprises. Cela doit se faire tout en tenant compte de la nature temporaire de « l’économie des ONG ».
Reconstruire les économies locales permettra de s’attaquer à certaines des causes sous-jacentes du conflit lié à Boko Haram et rendra les communautés moins vulnérables à la cooptation par les extrémistes violents. Il s’agit d’une étape cruciale dans la guerre du bassin du lac Tchad contre l’insurrection.
Teniola Tayo, chercheuse, et Remadji Hoinathy, chercheur principal, Programme sur le bassin du lac Tchad, Institut d’études de sécurité (ISS) Dakar
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