RDC-Rwanda : un accord de paix fragile
L’accord de paix médié par João Lourenço peine à offrir des garanties face à la crise dans l’est de la RDC.
Publié le 13 décembre 2024 dans
ISS Today
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Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, et le président du Rwanda, Paul Kagame, doivent se retrouver dimanche à Luanda sous les auspices du président angolais João Lourenço.
Ils tenteront de résoudre le long et difficile conflit qui persiste dans l'est de la RDC. Il s'agira de leur première rencontre en tête-à-tête depuis 18 mois.
João Lourenço espère qu'ils signeront un accord provisoire qui répondra aux principaux griefs de chacun d’entre eux. La RDC « neutralisera » les rebelles armés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) qui opèrent dans l'est de la RDC depuis plus de 25 ans. Le Rwanda retirera ses forces qui soutiennent les rebelles armés du M23.
Les FDLR ont été créées par les Hutus qui ont fui le Rwanda après avoir participé au génocide contre les Tutsis en 1994. Le M23 est essentiellement composé de Congolais tutsi.
Il n'est pas certain que les deux dirigeants signeront l'accord, et il est encore moins certain que la signature de l'accord réglerait leurs dissensions.
Lourenço a mené une diplomatie vigoureuse dans le cadre du processus de Luanda pour tenter de mettre fin au conflit de manière pacifique. Le 30 juillet, il a négocié un accord de cessez-le-feu entre la RDC et le Rwanda, qui est entré en vigueur le 4 août et prévoit un mécanisme de vérification de mise en œuvre.
Tshisekedi et Kagame refusent de céder sur la question clé des responsabilités
Dans la perspective d'un accord de paix substantiel, des experts de la RDC et du Rwanda se sont réunis à Luanda le 31 octobre afin d'élaborer un plan harmonisé pour la neutralisation des FDLR et le désengagement du Rwanda. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont ensuite approuvé un « concept d'opérations » le 25 novembre.
Ce concept d'opérations a été salué comme une avancée majeure. Cependant, il semble que de nombreux détails, susceptibles de constituer des obstacles, n'aient pas encore fait l'objet d'un consensus. Le plus important est probablement l'enchaînement des actions par les deux parties.
La ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner, a réitéré au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) les accusations fréquentes de son gouvernement selon lesquelles plus de 4 000 éléments des Forces rwandaises de défense (FRD) se trouvaient illégalement sur son territoire et menaient des actions offensives avec le soutien du M23.
L'ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a également indiqué que Kigali continuait à fournir une aide militaire substantielle au M23. Elle a déclaré au CSNU : « Nous avons été alarmés par les récentes violations du cessez-le-feu commises par le M23 sous le prétexte d’‟actions défensives” soutenues par les troupes des FRD. Ces actions, et leur approbation par les FRD, doivent cesser ».
Toutefois, malgré toutes ces accusations et les rapports du groupe d'experts de l'ONU qui les confirment, le Rwanda nie la présence de ses forces dans le pays et exige que la RDC neutralise les FDLR avant de mettre fin à ce qu'il appelle ses « actions défensives ».
Le Rwanda détourne l’attention de la responsabilité de son implication militaire
Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, a déclaré au CSNU que « présenter cette situation comme une hostilité intra-africaine diminue la complexité du conflit et le rôle des différents acteurs impliqués ». Il a ajouté qu'il était erroné d'accuser le M23 d'être à l'origine du conflit, comme l'a fait le récent rapport du Secrétaire général des Nations unies, car celui-ci était fondé sur la marginalisation des communautés minoritaires, principalement les Tutsis congolais, dans l'est de la RDC.
Thomas-Greenfield a souligné que le Rwanda et la RDC devaient respecter ce dont ils avaient convenu : « La RDC doit prendre des mesures contre les FDLR et cesser de les soutenir. Le Rwanda doit retirer ses 4 000 soldats du territoire de la RDC et cesser d’appuyer le M23. De plus, la MONUSCO [Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo] doit être autorisée à mettre en œuvre son mandat ».
Cependant, Stephanie Wolters, chercheuse principale et experte des Grands Lacs au South African Institute of International Affairs, est sceptique quant aux perspectives du concept d'opérations sur lequel Tshisekedi et Kagame doivent délibérer. Elle trouve problématique que « les éléments essentiels de ce concept reposent sur la neutralisation des FDLR et qu'ensuite le Rwanda retirera ses ‟mesures défensives” ».
Le fait que le concept d'opérations accepte la terminologie du Rwanda pour ses actions signifie que le « Rwanda sauve la face parce qu'il n'a même pas à reconnaître qu'il soutient le M23 ou même qu'il a des troupes en RDC, a-t-elle expliqué à ISS Today.
» Et le plus important, c'est que cela ramène l'ensemble du conflit comme étant de la faute de la RDC, c'est-à-dire [...] à la focalisation sur les FDLR.
Malgré les preuves contre le Rwanda, la MONUSCO reste spectatrice
» Comment est-il possible que nous passions du M23, auteur des crises humanitaires et des déplacements massifs et qui s'est emparé de vastes territoires dans le Nord-Kivu, à un recentrage sur le seul élément dont nous savons qu'il n’est pas la cause, à savoir les FDLR, ce que contredisent sans cesse les Rwandais ? »
Comme de nombreux analystes, Wolters ne croit pas que les FDLR soient la véritable raison de l'incursion militaire du Rwanda dans l'est de la RDC. Le concept d'opérations est donc basé sur une fausse représentation de l'origine et des facteurs du conflit.
Elle craint que cet accord ne soit même pas signé ce dimanche, car Kagame pourrait ne pas apposer son nom sur un document qui sonnerait comme un aveu de culpabilité concernant la présence de ses troupes en RDC. De son côté, Tshisekedi pourrait ne pas signer un document qui ne reconnaîtrait pas le rôle réel du Rwanda.
Et s'ils signent tous les deux, elle pense que le concept d'opérations pèse beaucoup plus sur la RDC que sur le Rwanda, car il sera difficile de neutraliser les FDLR, notamment en raison de leur interconnexion avec d'autres forces dans l'est de la RDC.
Elle est également consternée par la faiblesse de la réaction de la communauté internationale face à la hardiesse de l'invasion de la RDC par le Rwanda. Thomas-Greenfield a appelé le Rwanda à « retirer immédiatement ses systèmes de missiles sol-air du Nord-Kivu et à cesser d'interférer avec les signaux GPS, qui ont effectivement bloqué les opérations aériennes de la MONUSCO, sans parler de la mise en danger de la vie du personnel de l'ONU et du personnel humanitaire, ainsi que de nombreux civils ».
Il est ahurissant que les États-Unis et d'autres pays puissent accuser si allègrement le Rwanda de mener des opérations militaires d’une telle ampleur dans l'est de la RDC, et pourtant sembler si incapables d’y mettre un terme. Les remarques de Thomas-Greenfield suggèrent que la MONUSCO est devenue largement spectatrice. Il en va de même, semble-t-il, pour la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe en RDC. Bien que toutes deux aient pu jouer un petit rôle dans la limitation des exactions du M23, il est probable qu'elles placeront plus que d'autres leurs espoirs dans la capacité de Lourenço à résoudre la crise par la voie diplomatique. Le mandat de la MONUSCO expire le 20 décembre, et le CSNU a entamé des négociations en vue de son renouvellement.
Cependant, le peu d'attention qui a été accordée à la MONUSCO lors de la réunion du Conseil de sécurité de cette semaine soulève la question de savoir dans quelle mesure elle contribue à la résolution de la crise.
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